Je
le vois descendre de la montagne, le regard vidé de sens, vidé de vie. Un
montagnard solitaire, berger à ses heures perdues, qui recherche aux sommets de
ses alpages la quiétude, le bien-être, cette sensation de tutoyer les dieux.
Dieu, il en sera question, Elohim, tout là-haut, comme une rencontre divine qu’un
vent a ramené jusqu’à ma conscience.
« Le
dernier pas de la montée lui faisait toucher l’extrémité où s’arrête la terre
et où commence le ciel. Un sommet atteint est un bord de frontière entre le
fini et l’immense. Là, il arrivait à la distance maximale de son point de
départ. Un sommet n’est pas une ligne d’arrivée, c’est un barrage. Là, il
faisait l’expérience du vertige qui, en lui, n’était pas un appel du vide vers
le bas, mais se pencher sur le vide du haut. Là, sur le sommet, il percevait la
divinité qui s’approchait. Là-haut, il s’enveloppait de vent. Un sommet sans
choc de masses d’air sur soi est effrayant. Car l’immense retient son
souffle. »
Là-haut,
l’alpiniste y trouve ce vent teinté d’un profond silence, propice à la
réflexion. Là-haut, où qu’il soit, sur le sommet alpin qui se dresse devant sa
minuscule personne, il ferme les yeux, se retrouve au Mont Sinaï, et entends
des voix, les paroles divines, le décalogue murmuré par le vent.
« En
montant, il rencontrait des arbres, il s’arrêtait près du dernier, celui qui
avait pris racine à l’écart des autres, le plus exposé à la foudre. Celui qui
s’approche d’un arbre sait qu’il est enlacé par son ombre. En échange, il donne
une caresse au tronc. »
Là-haut,
je ne me suis pas senti à mon aise. En fait, je ne sais pas quelle sensation j’allais
éprouver. Me mesure à la grandeur de la Nature, certes. Mais me mesurer à Dieu,
Elohim. Croiser des brebis, des chamois, le Dahu, certes. Mais rencontrer
Abraham, Moïse, ce gars de Nazareth…
« Tu
disais qu’en montagne on est un intrus et qu’on passe grâce à une indulgence de
la nature. Il suffit de peu pour être repoussé, pour devoir renoncer. C’est
ainsi que tu mesurais notre taille d’êtres humains et tu l’estimais
insignifiante. Pour le savoir, tu avais besoin de cette vaste solitude. »
Là-haut,
j’y cherchais la poésie d’Erri De Luca, des moments intenses de silence et de
beauté. Je l’ai trouvé dans les premières pages, les tous premiers mots, je m’étais
mis en condition pour grimper vers le sommet et découvrir petit à petit la
forêt se clairsemer. J’étais prêt à survoler les nuages, dominer la vallée
embrumée, sentir les pins et le silence d’un pic. Mais finalement, je n’étais
pas prêt à cette montée d’altitude, pour atteindre le sommet des Dieux. Avec Dieu, Elohim, quel que soit son nom. Le Mont Sinaï est loin, je n’ai pas la
culture hébraïque nécessaire à la compréhension de ce court récit de poésie
biblique. Je ne connais que le silence de la vie.
« La
foule du campement cessa toute occupation pour s’approcher. Tout leur tomba des
mains, sauf les enfants des bras de leurs mères. Ils accoururent dans une
effervescence de pas. Le silence qui suivit fut celui du lait qui caille. Dans
la paix d’un puits, dans la circoncision d’Abraham sur lui-même, dans la paume
d’une main passée sur les yeux, il existe un silence de condensation. Ils
respiraient seulement par le nez pour ne pas faire de bruit en
eux-mêmes. »
« Et Il Dit », Erri De Luca.
Traduction : Danièle Valin.
Salut, le Bison
RépondreSupprimerVoilà une chronique nous présentant un ouvrage dans lequel il s'agit d'être prêt à plonger, car pas si facile que cela.
As-tu donc renoncé avant d'atteindre le sommet ?
J'aime bien la phrase associant l'ombre de l'arbre et l'enlacement.
Un titre à ajouter à la liste des lectures futures...
Personnellement, je préfèrerais rencontrer Elohim plutôt que le dahu...
bonjour Carol,
SupprimerLe dahu étant mythique, sa rencontre semble presque plus improbable qu'Elohim... Les deux méritent à être connus :-).
Le roman est si petit que l'on n'a pas vraiment le temps de penser au renoncement. C'est comme de boire une bière, même fade, on l'a fini quand même...
Si le sujet est pour le moins religieux, certaines phrases d'Erri de Luca sont des petits bonheurs de littérature. Après, sans discussion possible, j'ai nettement mieux préféré "Trois Chevaux" ou "Le poids du papillon".
Je garde de beaux souvenirs doux et profonds de mes rencontres littéraires avec l'auteur.
RépondreSupprimerEn tentant d'atteindre les sommets du ciel on se brûle forcément un peu l'âme et le coeur avec les rayons du soleil. Mais de cette brûlure on se relève beaucoup plus fort pour monter encore plus haut la fois d'après...
Mots d'un mercredi matin, qui valent bien ce qu'ils valent...
Celui-là est tut de même resté en demi-teinte. Je ne ois pas avoir l'esprit des sommets ou celui de l'âme et du coeur.
SupprimerLes mots du mercredi matin valent bien ceux du samedi après-midi...
Trois chevaux et Le poids du papillon, je retiendrai (Violon jour aussi, mais un peu moins)... Donc je passerai mon tour pour cet Erri là 😁
RépondreSupprimerSauf si tu veux parfaire ta culture hébraïque :-)
SupprimerMais dans mon inculture à moi, mes précédentes lectures atteignirent par moment les sommets des nuages.