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jeudi 23 juillet 2020

Le Sommet des Dieux


Je le vois descendre de la montagne, le regard vidé de sens, vidé de vie. Un montagnard solitaire, berger à ses heures perdues, qui recherche aux sommets de ses alpages la quiétude, le bien-être, cette sensation de tutoyer les dieux. Dieu, il en sera question, Elohim, tout là-haut, comme une rencontre divine qu’un vent a ramené jusqu’à ma conscience.  

« Le dernier pas de la montée lui faisait toucher l’extrémité où s’arrête la terre et où commence le ciel. Un sommet atteint est un bord de frontière entre le fini et l’immense. Là, il arrivait à la distance maximale de son point de départ. Un sommet n’est pas une ligne d’arrivée, c’est un barrage. Là, il faisait l’expérience du vertige qui, en lui, n’était pas un appel du vide vers le bas, mais se pencher sur le vide du haut. Là, sur le sommet, il percevait la divinité qui s’approchait. Là-haut, il s’enveloppait de vent. Un sommet sans choc de masses d’air sur soi est effrayant. Car l’immense retient son souffle. »

Là-haut, l’alpiniste y trouve ce vent teinté d’un profond silence, propice à la réflexion. Là-haut, où qu’il soit, sur le sommet alpin qui se dresse devant sa minuscule personne, il ferme les yeux, se retrouve au Mont Sinaï, et entends des voix, les paroles divines, le décalogue murmuré par le vent.

« En montant, il rencontrait des arbres, il s’arrêtait près du dernier, celui qui avait pris racine à l’écart des autres, le plus exposé à la foudre. Celui qui s’approche d’un arbre sait qu’il est enlacé par son ombre. En échange, il donne une caresse au tronc. »

Là-haut, je ne me suis pas senti à mon aise. En fait, je ne sais pas quelle sensation j’allais éprouver. Me mesure à la grandeur de la Nature, certes. Mais me mesurer à Dieu, Elohim. Croiser des brebis, des chamois, le Dahu, certes. Mais rencontrer Abraham, Moïse, ce gars de Nazareth…  

« Tu disais qu’en montagne on est un intrus et qu’on passe grâce à une indulgence de la nature. Il suffit de peu pour être repoussé, pour devoir renoncer. C’est ainsi que tu mesurais notre taille d’êtres humains et tu l’estimais insignifiante. Pour le savoir, tu avais besoin de cette vaste solitude. »

Là-haut, j’y cherchais la poésie d’Erri De Luca, des moments intenses de silence et de beauté. Je l’ai trouvé dans les premières pages, les tous premiers mots, je m’étais mis en condition pour grimper vers le sommet et découvrir petit à petit la forêt se clairsemer. J’étais prêt à survoler les nuages, dominer la vallée embrumée, sentir les pins et le silence d’un pic. Mais finalement, je n’étais pas prêt à cette montée d’altitude, pour atteindre le sommet des Dieux. Avec Dieu, Elohim, quel que soit son nom. Le Mont Sinaï est loin, je n’ai pas la culture hébraïque nécessaire à la compréhension de ce court récit de poésie biblique. Je ne connais que le silence de la vie.

« La foule du campement cessa toute occupation pour s’approcher. Tout leur tomba des mains, sauf les enfants des bras de leurs mères. Ils accoururent dans une effervescence de pas. Le silence qui suivit fut celui du lait qui caille. Dans la paix d’un puits, dans la circoncision d’Abraham sur lui-même, dans la paume d’une main passée sur les yeux, il existe un silence de condensation. Ils respiraient seulement par le nez pour ne pas faire de bruit en eux-mêmes. »

« Et Il Dit », Erri De Luca.
Traduction : Danièle Valin.



6 commentaires:

  1. Salut, le Bison
    Voilà une chronique nous présentant un ouvrage dans lequel il s'agit d'être prêt à plonger, car pas si facile que cela.
    As-tu donc renoncé avant d'atteindre le sommet ?
    J'aime bien la phrase associant l'ombre de l'arbre et l'enlacement.
    Un titre à ajouter à la liste des lectures futures...
    Personnellement, je préfèrerais rencontrer Elohim plutôt que le dahu...

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    1. bonjour Carol,

      Le dahu étant mythique, sa rencontre semble presque plus improbable qu'Elohim... Les deux méritent à être connus :-).
      Le roman est si petit que l'on n'a pas vraiment le temps de penser au renoncement. C'est comme de boire une bière, même fade, on l'a fini quand même...
      Si le sujet est pour le moins religieux, certaines phrases d'Erri de Luca sont des petits bonheurs de littérature. Après, sans discussion possible, j'ai nettement mieux préféré "Trois Chevaux" ou "Le poids du papillon".

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  2. Je garde de beaux souvenirs doux et profonds de mes rencontres littéraires avec l'auteur.
    En tentant d'atteindre les sommets du ciel on se brûle forcément un peu l'âme et le coeur avec les rayons du soleil. Mais de cette brûlure on se relève beaucoup plus fort pour monter encore plus haut la fois d'après...
    Mots d'un mercredi matin, qui valent bien ce qu'ils valent...

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    1. Celui-là est tut de même resté en demi-teinte. Je ne ois pas avoir l'esprit des sommets ou celui de l'âme et du coeur.
      Les mots du mercredi matin valent bien ceux du samedi après-midi...

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  3. Trois chevaux et Le poids du papillon, je retiendrai (Violon jour aussi, mais un peu moins)... Donc je passerai mon tour pour cet Erri là 😁

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    1. Sauf si tu veux parfaire ta culture hébraïque :-)
      Mais dans mon inculture à moi, mes précédentes lectures atteignirent par moment les sommets des nuages.

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