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mercredi 15 février 2023

L'île Littéraire


C’est le grand jour sur l’île du Mozambique. Le grand festival littéraire va ouvrir ses portes, avec en invités les plus grands romanciers africains venus discourir sur leurs conditions, celle d’être écrivain, celle d’être africain, celle d’être femme africaine. Être écrivain, c’est avant tout poser son regard sur la beauté. Celle qui t’entoure, le rivage avec les vagues venues lécher langoureusement l’étendue de sable blanc, les fesses de cette belle femme venues caresser l’air de ce trottoir, le sourire de la lune quand le soleil se couche au-delà de l’horizon. Et puis le blizzard, avis de tempête, les vents se lèvent la poussière fouette les cases, les palmiers se couchent dans une atmosphère apocalyptique. Serait-ce la fin du monde sur cette île qui donnera une nouvelle couleur à ce dernier festival littéraire ?

« C'est ainsi que tout commence : un énorme éclair déchire la nuit, l'île se détache du monde. Un temps s'achève, un autre commence. A ce moment-là, personne ne s'en rendit compte. »

Jour 2. Après la tempête. L’île est seule, entourée de brumes. Plus personne n’arrive, comme coupée du monde. Certains tentent de partir, de l’autre côté du pont, mais personne ne revient. Les réseaux téléphoniques et internet demeurent silencieux. Et sans internet, que nous reste-t-il du monde des vivants. Rien. A croire qu’ils sont tous morts. Que faire, à part contempler la mer, cet océan bleuté avec une bouteille de bière à ses pieds, et lire un excellent bouquin troublé par les effluves de cette île, regardant passer les vivants et les autres.

« Luzia se réveille couchée sur le côté, avec la sensation qu'il y a quelqu'un allongé, immobile, derrière elle. Cela arrive fréquemment, et pourtant elle s'affole à chaque fois. Il est un peu plus d'une heure du matin. La jeune femme se lève, ouvre la porte qui donne sur la terrasse et sort. L'air chaud et humide se colle à son corps comme un peignoir de soie. Il y a un homme assis sur le ponton, face à la mer mais il n'y a pas de mer. L'eau semble avoir reculé presque jusqu'à l'horizon. Les silhouettes des barques enterrées dans le sable se dressent à la rencontre de la Voie lactée. Elle pense qu'elle pourrait vivre pour toujours dans cette île. Elle s'imagine pendant un court instant vieillir à l'une des tables de café Âncora de Ouro, en regardant les enfants qui jouent dehors devenir des vieux, et donc elle décide que non, il vaut mieux continuer de vivre à Luanda, nourrie de l'énergie bruyante de la grande ville, pleurant parfois, mais riant le plus souvent, même quand tout semble perdu. »

Alors que je m’imagine être caressé par le soleil, la peau séchée au goût de sel, je la vois passer, une noire déguenillée qui parle un dialecte qui m’est inconnu. Je sens une ombre me frôler tout d’un coup, un type me regarde étrangement attendant probablement des réponses que je n’ai pas. Qui sont ces autres. Des doubles d’écrivains, des êtres sortis de l’imagination de leur page. Bien étrange cette histoire, quand je vous dis que c’est la fin du monde, il n’y a même plus de glace pour rafraîchir les idées et le corps, même la bière est tiède maintenant. Jusqu’à quand vont-ils tenir sur cette île du Mozambique. Heureusement le festival clôture dans trois jours. Bien étrange ce roman, mais passionnant et vivant et poétique comme le Mozambique.

« Les Vivants et les Autres », José Eduardo Agualusa.
Traduction : Danielle Schramm.


Sur une masse critique, 
Merci donc à Babelio et les éditions Métailié
pour ce murmure littéraire...




2 commentaires:

  1. J'avais également aimé l'étrangeté d'un autre de ses titres (et le seul que j'ai d'ailleurs lu, à ce jour, de l'auteur) : Le marchand de passés. Le narrateur en est un gecko, cela donne le ton...

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    1. Faudra que j'aille voir parce que j'ai énormément apprécié celui-là... Un gecko !

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