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lundi 18 mars 2024

Paix Dieu et Amour


« Pour expliquer la vie au monastère, il faut avant tout mentionner le silence. Pendant mes années passées ici, j'ai appris que le silence n'était pas seulement le calme ou l'absence de bruit. Au contraire, il s'agit plutôt d'une écoute très attentive. Le silence est nécessaire pour percevoir le bruit au-delà du bruit, la sensation au-delà de la sensation. »
 
Sous le regard de la lune, pleine et bleue, contemplant le silence, je me remémore la vie de Frère Jean. Il y a des vies que l'on n'oublie pas, comme des instants de bonheur venus éclaircir votre horizon. Frère Jean est là devant moi, dans sa robe monacale. Il est vieux maintenant, plus le genre à monter sur une échelle. Pourtant, il a encore la mémoire vive et les souvenirs douloureux. Oui l'amour fait mal. Il cogne, il frappe quand on ne l'attend pas. Il fait se poser des questions, puis il disparaît le jour, un jour, pour revenir chaque nuit, une vie. 
 
« Le silence ressemble à un miroir sombre qui parvient à révéler les os et la chair même à travers plusieurs couches de vêtements. D'une certaine manière, c'est quelque chose de redoutable. Lorsque je décidai de prendre l'habit de moine, j'étais plein d'admiration pour ce calme, mais je n'avais pas imaginé qu'il possède un tel pouvoir. Je ne me souviens pas précisément, mais il me semble que je me retournai alors timidement vers la gare. Le sifflet de mon train qui repartait me parut irréel. J'eus le sentiment d'avoir laissé ma courte jeunesse dans ce train, avec le bruit, mes peurs, joies, dégoûts, angoisses, pleurs, envies, jalousies... Comme je posais un pied dans le long couloir plongé dans la pénombre, j'aperçus furtivement mon âme toute nue par l'entrebâillement des rideaux du vacarme. »
 
Frère Jean me plonge dans ce monastère bénédictin près de Daegu, en Corée du Sud. Avec quelques moines allemands venus délivrer la parole de Dieu, il y sera question de foi et de choix, d'amour et de guerre, et beaucoup de silence. Le silence et l'amour sont étroitement liés, comme la lune et le sourire d'une femme. A chaque livre ouvert, il y a ce silence et ce sourire. A chaque bière bue, il y a ce silence et ce sourire. Aujourd'hui une Paix Dieu, pour communier avec Frère Jean, avec le sourire de cette femme qui a bousculé sa vie, avec ce monastère. Et avec la littérature.
 
Oh oh vertige de l'amour. La fidélité à Dieu. Yeah vertige de l'amour. Dieu avait mis un kilt. Et la Corée se déchire, se divise. La rouquine carmélite. Et mon errance littéraire dans les couloirs froids de ce monastère, l'cœur transi reste sourd, quelques bouteilles de vin à vider. En Corée.

« Je ne me souviens pas bien de qui s'avança en premier. En tout cas, ses lèvres, aussi froides que de la glace carbonique, aussi brûlantes qu'un haut-fourneau, aussi douces que des pétales de roses, aussi tranchantes que la lame d'un rasoir, laissèrent en moi cette nuit-là une trace indélébile.
Au moment du contact, tout mon corps se désintégra en poussière d'argent et jaillit jusqu'au sommet de la montagne ; le sang dans mes veines afflua à la vitesse d'un rapide dans une rivière, et un courant électrique de plusieurs milliers de volts me fit fondre sur place ; je me répandis tel le vent sur une vaste plaine. Ce n'était là qu'un léger baiser, assis côte à côte sur un banc, chacun notre canette à la main, mais bientôt So-hui m'enveloppa le cou de ses bras et nous nous embrassâmes passionnément. »

 
Il y a des bouquins dont vous ne soupçonnez pas leur portée avant d'avoir tourné la dernière page. Comme pour les histoires d'amour. Au mot FIN, vous essayez d'ouvrir un nouveau chapitre de votre vie, comme pour les histoires d'amour, mais clairement vous vous en sentez incapable, parce que trop ancré en vous. "L'échelle de Jacob" est ce roman, avis totalement personnel, je ne parle toujours qu'en mon nom propre pour ne pas m'imposer dans la vie des lecteurs, qui marque une vie, la mienne. Il me rappelle d'ailleurs, dans le même registre - ce n'est peut-être donc pas un hasard, "Au col du mont Shiokari". Jamais je n'oublierai les mots de l'auteure, comme le sourire de cette femme ou le clair de lune qui illumine mes lectures comme mes musiques, mes nuits. 

« L'échelle de Jacob », Gong Ji-young.
Traduction : Lim Yeong-hee et Mélanie Basnel.
 
 

3 commentaires:

  1. Oui l'amour fait mal, surtout quand il disparaît.

    Bon c'est pas tout ça mais j'ai envie de lire Kornwolf si tu vois ce que je veux dire...

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    1. Ça veut dire que tu as aimé John Kaltenbrunner de Baker...

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