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dimanche 22 septembre 2024

Les Cigognes de Wacheng


"Ce que le vent de ce printemps précoce cherchait à subjuguer, ce n'étaient pas les arbres encore dénudés des vastes terres du Nord, c'étaient les rivières prises par les glaces. Il brûlait d'embrasser leurs bouches scellées tout l'hiver sous la neige et la glace. Rien n'était plus difficile que de leur arracher des mots d'amour. Pourtant, ce vent printanier plein d'audace et de sentiment les caressa sans fin de ses lèvres ardentes avec une vive passion, un jour, deux jours, trois jours, quatre jours, inlassablement, jour et nuit. Au bout de sept ou huit jours, la rivière Jinweng du Grand Nord, cette belle dame hautaine, enfin réveillée par ces lèvres brûlantes, abandonna ses vêtements de glace pour ouvrir son cœur à ce baiser longtemps repoussé."
 
Et si je te contais un peu de poésie ce midi,
une prose de plumes et de gastronomie. 
Et si je te racontais la légende de la cigogne,
à contempler comme un verre de Bourgogne.

Sur les bords de la Jinweng, j'observe les saisons, le temps qui défile, parfum de chlorophylle. Situé au nord de la Chine, mieux vaut ne pas y rester l'hiver, surtout quand le blanc recouvre son manteau vert. Mais dès les premiers rayons de soleil, liquide ambré au fond d'une bouteille, l'air me réchauffe l'âme, comme la flamme le cœur de la femme. A propos, de l'autre coté de la colline, trois bonzesses entretiennent le Temple de la Déesse, pas topless, même si mon esprit lubrique ne s'y dérangerait pas, c'est que j'ai la pensée érotique.

Et moi j'erre à l'écoute du vent, dans la réserve ornithologique de Wacheng, à quelques pas du couvent. Là-bas, un couple de cigognes y a fait son nid, le début d'une colonie, en attendant la cacophonie des volailles, j'écoute la symphonie de ces retrouvailles. Mais l'homme-cigogne est blessé, le mâle a mal à la patte, de mon regard j'y reviendrai plus tard. En attendant, oui je suis conscient de ma répétition, mais là-bas, il faut savoir prendre le temps, l'attention est dans l'attente. C'est un moment précieux, à observer les cieux, c'est un instant magique quand cette fable écologique - et cynique - se découvre et que je découvre le plaisir de la chair le temps d'un picnic, la nonne est bonne, pique et nique et colégram.   

"Dans une des versions de la légende des oiseaux migrateurs, un canard sauvage s'était métamorphosé en une femme d'une merveilleuse beauté, apparue au pied du lit de Zhuang Rulai en pleine nuit, épuisant toute sa force vitale. Cette version était surtout transmise par les femmes. Les hommes en préféraient une autre, selon laquelle un cygne lui avait apporté un alcool venu de la Voie lactée; il s'en était enivré et il était mort d'en avoir trop bu."

Entre deux légendes, quelques bières flamandes, mes yeux se tournent sur l'étal de la marchande, canard laqué de contrebande. L'homme est un rapace, il se lèche les doigts d'une telle carcasse, au mont Parnasse avec quelques pétasses blondasses putasses. Remplis-moi ma tasse, dis-je au sourire de la marchande, de ton alcool le plus fort, que je retienne mes larmes les plus salées. Remplis-moi mon bol, dis-je aux seins de la marchande, forts et gouleyants, de lait ou d'eau tourbée. Le wok frémit, les spatules sautent d'un légume sauté à l'autre, les baguettes jouent la mesure d'une orchestration millimétrée, la gastronomie de rue appelle la grue, cendré il en est ainsi dans cette contrée. Des parfums et des embruns, des senteurs et des odeurs, je finis par quelques beignets avant de replonger dans la forêt.
 
Mais l'été touche à sa fin, les oiseaux vont commencer à avoir faim. Le mâle est toujours blessé, il ne peut pas le montrer, mais il essaye d'apprendre à son bébé de s'envoler. Hey Babe !, j'ai envie de lui crier, Petit, bas des ailes, encore et encore, bas des ailes, plus fort et plus fort. Aux premières neiges, si tu es encore sur cette berge, tu seras croqué ou gelé, alors, vole, vole, lisse tes plumes frivoles, et vole vole, tu es toi aussi un migrant, alors vole et vole, voilà un roman vibrant, aux charmes envoûtants. 
 
Et si je terminais, enfin putain tu me dirais, par t'expliquer avec un verre de Sancerre, que les ailes de ces cigognes servent de registre des vivants et des morts au dieu des Enfers. Sur leurs plumes, vaudrait mieux pas y dénicher mon nom, sinon ce billet en deviendrait posthume.  

"Le temps se refroidit, le givre fit son apparition. Le bassin de la Jinweng passa rapidement du début au cœur de l'automne; les feuilles des arbres de la forêt et l'herbe des berges humides changeaient d'un jour à l'autre; la nature entra dans une période de forte émotion.
Regardez ! Une feuille juste porteuse hier d'un soupçon de jaune, touchée par le givre ce matin, puis offerte au soleil, comme enivrée par un vin capiteux, a viré au jaune d'or. Une autre feuille, à peine teintée de rouge aujourd'hui, battue toute la nuit par un vent froid, aspire avidement les rayon du premier soleil, et son visage s'empourpre aux flammes de l'astre. Le vent se fait alors entremetteur : au matin, il les souffle l'une vers l'autre, elles s'étreignent étroitement; elles qui ne se connaissaient pas hier, l'une de peuplier, l'autre de bouleau, empoignées par le vent, détachées de leur arbre, volent, volent avant de se laisser choir au même endroit, un fossé peut-être, ou un tapis d'aiguilles de pin, où elles s'épousent. Un mariage initié par le vent, aussi fou que bref. Une violente averse d'automne, et voilà herbes et feuilles trempées qui s'altèrent, leur visage se couvre de pustules, elles se fissurent, partent en lambeaux, toute splendeur disparue. Posés sur elles, les insectes d'automne gémissent sur ce triste sort."
 
"Le Courage des Oiseaux Migrateurs", Zijian Chi.
Traduction : Yvonne André.



4 commentaires:

  1. Ok pour le Sancerre (un de mes vins préférés) mais cette lecture... mouais, pas sûre d'agréer.
    Mais Imagine Dragons c'est beau, je ne connaissais pas.
    J'aime beaucoup son costume de scène.

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    1. Une lecture drôle et contemplative et gourmande... Mais pas pour tous les goûts effectivement...
      Le costume de Dan Reynolds m'émeut moins (jaloux ! me diras-tu) mais j'aime bien le lyrisme des Imagine Dragons comme j'ai aimé le lyrisme de ces cigognes dans la réserve ornithologique...

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  2. Comme tu le sais, nous sommes férus sur l'Avenue de littérature asiatique. Mais je dois dire que depuis quelques années, un peu déçu de ce que propose les éditions Picquier (hormis Ogawa Ito). Peut-être nos goûts ont changés, évolués...J'ai lu cet été (entre autre grace à un de tes billets) "Le convoi de l'eau" qui est exceptionnel !

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    1. Pas forcément que nos goûts ont changés, mais le catalogue Picquier s'élargit aussi, et du coup ne rentre pas à tous les coups des nos goûts... C'est une maison d'édition que je pouvais lire en aveugle au début. Maintenant, je regarde parce que effectivement tout n'y est plus de mon goût ou de mon envie maintenant... Mais celui-là, fût une belle découverte, une belle ouverture sur la Chine continentale.

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