Je n’aurais jamais dû t’emmener à Menderley... Sur la côte de Cornouailles, l’ambiance est lourde et le brouillard épais. Dans une déferlante de pluie démentielle, la mer noire s’agite d’une rage affolante. Elle peine à abîmer au passage ta beauté, pourtant immuable, intemporelle. C’est l’Angleterre. Les lieux sont fraîchement hantés par le souvenir de Rebecca, disparue en mer. Ma Rebecca… Le château de Manderley est encore habité de ta présence. Oui, c’était beaucoup trop tôt pour t’y emmener… La gouvernante ne te ménage pas - elle reste fidèle à Becca - tu ne mérites pas sa hargne et son amertume. Elle te fait payer cher d’être la deuxième madame de Winter. Non, ta place n’est pas ici, sur ces chemins broussailleux où la froideur des lieux anesthésie ta fougue. Viens que je t’emmène au pub du coin. Entre deux frettes - pas si frettes en réalité - et trois quatre bigorneaux coincés entre les dents, j’essaierai de te raconter Rebecca. Que la page se tourne…
"Ce qui rendait la cassette si spéciale pour moi, c'était cette chanson en particulier : plage numéro 3, Auprès de moi pour toujours. Elle est lente, fin de soirée et américaine."
Depuis ce jour tragique, je m’étais pourtant promis de ne plus jamais naviguer. La Manche ne pardonne pas ; en un rien de temps elle vous aspire vers ses profondeurs et fait de vous un endeuillé de ses vagues meurtrières. Naufrages, noyades, sabordages, l’étendue des causes est aussi vaste que l’amplitude de ses agitations. Mais j’ai promis à Kath, Ruth et Tommy de faire la traversée entre les Cornouailles et Hailsham pour venir les voir. Il y a des lunes que nous ne nous sommes pas retrouvés, surtout depuis la disparition de Becca. Ils trouveront remède à ce chagrin qui me mine un peu plus chaque jour, vieux saule inconsolable. Mais bien avant qu’aient lieu ces événements tragiques, il m’avait aussi semblé comprendre qu’il se passait des choses étranges là-bas, desquelles nous ne pouvions discuter que dans le secret de nos retrouvailles. Je partirai donc demain matin à l’aube ; les marées y seront plus favorables. Bien au frais dans la cale, reposeront quelques bouteilles de Brown Ale bien fraîches…
"Je pense toujours à cette rivière quelque part, avec cette eau qui coule vraiment vite. Et tous ces gens dans l'eau, qui essaient de se raccrocher les uns aux autres, qui s'accrochent aussi fort qu'ils peuvent, mais à la fin c'est trop difficile. Le courant est trop puissant. Ils doivent lâcher prise, se laisser emporter chacun de son côté. Je pense que c'est ce qui nous arrive, à nous. C'est dommage, Kath, parce que nous nous sommes aimés toutes notre vie. Mais, à la fin, nous ne pouvons pas rester ensemble pour toujours."
La pluie ruissellera sur les joues de nos héros, des larmes d'embruns lécheront le rivage de sa mélancolie. Les histoires s’entremêleront dans une profonde tristesse, comme toutes les histoires d'amitié qui s'étiolent au fil du temps, comme toutes les histoires d'amour qui se perdent dans les Cornouailles ou dans les vapeurs de whisky. Seul le piano au son de son Never Let Me Go continuera de se battre face au vent pour distiller quelques dernières notes à la lune et aux étoiles, des perles de chagrin.
Une longue escale en terre anglaise, non loin de la mer et de ses pubs, entre la lune et les étoiles. Merci pour Bill Evans et la traversée. Deux grands livres dans nos baluchons...
RépondreSupprimerDésolé pour cette lenteur, cette attente. Quand je rentre dans un pub, j'en sors que des mois après, surtout si dans le-dit pub, passent Bill Evans ou Pink Floyd...
SupprimerIl n'y a aucune presse lorsqu'on fait escale, surtout si Pink Floyd est du voyage...
RépondreSupprimerQuoique... une bonne pression de temps en temps, ça fait un bien fou, anonymous...
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