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dimanche 20 octobre 2024

Toujours la même pluie

  Bonjour.
Une voix au téléphone.
Vous pourriez venir demain matin, Madame. Nous aimerions vous parlez. Vous pourriez nous aider. Je vous donne rendez-vous à 9h00 au poste de police du Havre.
Je n'arrive plus à sortir un son de ma gorge. Des images viennent et reviennent, viennent et reviennent. Comme ces vagues qui s'échouent sur le rivage. Ressac.

  Bonjour.
Reconnaissez-vous cet homme ? Non, pourquoi je devrais... Je ne sais pas. On a retrouvé le corps de cet homme sur la plage. Non, je ne le connais pas. Il n'avait pas de papiers, rien dans ses poches, juste un ticket de cinéma, la séance de lundi soir. Vous êtes sûr de ne pas avoir une petite idée sur son identité. Non… Au dos du ticket de cinéma, il y avait votre numéro de téléphone…

  "Il était midi quand je suis montée sur la digue - je voulais faire moi aussi la promenade au phare. Un halo d'humidité flottait sur la jetée, qui s'est évanoui dès que je me suis approchée, la barre devenant alors très réelle, tendue, et rehaussée côté mer d'un muret de béton tel un rab de rempart, si bien que j'entendais les vagues cogner contre la muraille, le boucan du ressac, mais je ne voyais rien. Au loin, le phare projetait son désœuvrement sur l'avant-port, flou et solitaire, résigné à attendre le soir pour émettre sa signature lumineuse : un éclat rouge toutes les cinq secondes visible à vingt et un milles nautiques. Le battement cardiaque de la nuit portuaire. Une pulsation électrique qui le distinguait parmi les phares et balises de la façade Ouest et clamait : je suis le phare de la digue Nord du Havre."

  Gros blanc dans la conversation. Ça tourne dans ma tête. Je sors du poste de Police. Besoin d'air, besoin de respirer, de sentir le vent s'engouffrer dans mes poumons, les déchirer même. J'erre dans les rues, une pluie fine m'embarque, je me pose sur le quai. Toujours la même pluie. Au loin quelques gros portes-conteneurs… Au loin, du gris. le ciel est gris, la mer est grise. de près aussi. La rue est grise. La ville est grise. Bienvenue au Havre. Un Havre bombardé, un Havre en guerre, un Havre reconstruit, sans charme, sans couleur, souvenirs d'une guerre. Dans les galets sur la plage, se trouvent encore les cris de ces habitants pris aux pièges sous des décombres de bombes et de poussières. Dans le ressac, les pleurs, larmes salées d'une époque pas si lointaine. Je rentre dans le café, Les Sirènes. Un café au comptoir, pas de sirène, juste une jeune ukrainienne qui a fui la guerre, les décombres, son pays, et puis qui veut s'enfuir encore, à nouveau, de l'autre côté de la mer… Cet homme sur la plage.

  Je passe devant le cinéma, une rétrospective comédie américaine. Je regarde la fille à la caisse, l'air aussi absent que le mort sur la plage quand elle me tend mon ticket sans même un regard. D'ailleurs qui regarde un mort en face. Sourire ne sera pas un mal. Même un sourire jaune d'une comédie noire. Vous connaissez, m'a demandé le flic, «Burn after reading» des frères Coen ? C'est le film qu'a été voir le mort, je l'appelle encore comma ça, je n'ai toujours pas réussi à mettre un nom dessus, ni même le flic. Son dernier film, des quiproquos et du burlesque. Dès le début, j'ai la banane, Brad Pitt m'a toujours éclaté dans ce film, il mâche un chewing-gum et ça m'éclate, son look très année quatre-vingt, même son prénom, Chad, m'éclate. Et puis y'a les habitués, George Clooney et Frances McDormand. Dehors, dans la grisaille, il doit encore pleuvoir. Tiens faudrait que je m'inscrive dans une salle de sport moi aussi, voilà ce que je me suis dit en sortant du cinéma.

  "Quand nous ressortons de chez Jacqueline, il fait nuit, le quai de Southampton est désert, nous marchons en silence sous les arcades de la rue de Paris, les faisceaux des réverbères projettent des ombres sur les façades des immeubles, ils auréolent le béton qui se colore rosé, bleuté, brun, émoussent les angles, et sans doute que nous voyons en cet instant notre ville comme nous ne l'avons encore jamais vue : l'architecture nous dit quelque chose qui n'est pas la Reconstruction, ni la Renaissance, la Réparation, tout ce qui commence par re pour que reviennent les rêves perdus, non, elle est la trace matérielle de ce qui a disparu, elle nous rappelle que notre ville est hantée : il y avait une autre ville avant, voilà ce qu’elle nous raconte."  

  Je regarde ce sable mouillé, ce sable tassé, des mégots de cigarette, un corps sur ces galets. D'où sort-il ? Mais bon, je ne suis pas dans un roman policier, alors je laisse couler l'affaire, je suis ici pour Le Havre, pour ses docks et ses marins, pour son côté gris, son côté poussière. Le Havre, le centre de cette histoire et c'est passionnant, fascinant, de rentrer dans une ville que l'on ne connaît pas, peu ou bien. On s'y voit, on s'y trace une route et on laisse la pluie couler sur les vitres du bar. Et toujours la même pluie.

 "Jour de Ressac", Maylis de Kerengal.
 

 

3 commentaires:

  1. Aurélien et Pierre, combo gagnant. Vu un concert du premier au cinéma, c'était électrique et j'espère le voir en vrai à son prochain passage. Billet prix pour le second : annulé pour cause de burn out (regrets éternels). Quant à Maylis... à quoi ça tient. Je l'ai entendue en interview il y a des années. Je l'ai trouvée tellement exaspérante que j'ai complètement zappé sa production. En même temps, il y a tant à lire qu'il faut bien éliminer d'une manière ou d'une autre. J'ai peut-être tort pour cette dame dont même le patronyme m'agace. Vraiment ça tient à rien.

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    1. Ca tient à rien... Moi je suis tombé sur de longues phrases, presque interminables, et j'ai aimé ça. Depuis, Maylis, je la suis, je la lis, et j'aime souvent beaucoup... Comme quoi ça tient pas à grand chose, peut-être une lecture sous la pluie avec Aurélien...

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  2. Si Aurelien ou Pierre me fait la lecture why not ? Mais les longues phrases interminables... tu as achevé de m'éloigner de la dame. Quand je feuillette un livre, je regarde la taille des phrases. J'ai besoin de phrases courtes et de ponctuation.

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