« Cette histoire est destinée à être lue au lit dans une vieille maison par une soirée pluvieuse ». Par la fenêtre, ruissellent donc les gouttes d’une pluie froide. Le ciel d’un gris sale et sombre, ou les anges venus du paradis, pleurent probablement de ce qu’ils voient d’en-haut, à savoir l’étang de Beasley, près de la ville de Janice. Lemuel Sears en cet hiver y découvrit les joies du patinage, quelle beauté ce lac gelé et quel plaisir de sentir ce blizzard vous fouetter les couilles rabougries, pendant que les lagopèdes à queue blanche fuient le temps de la saison cette contrée. D’ailleurs dans ses souvenirs, Lemuel Sears étant plus proche de sa fin de vie que de ses prémices vu qu’il a la quarantaine bien établie, cet étang de Beasley, on dirait vraiment le paradis. Sauf que depuis quelques années, l’étang sert officieusement de décharge publique à ciel ouvert. Les camions arrivent, déposent leurs merdes et autres déchets polluants, et repartent, le tout bien orchestré par la mafia locale et la mairie de Janice, les deux se rejoignant autour d’une poignée de mains et d’une mallette de billets.
« C'était par une soirée pluvieuse. Il n'y avait a priori pas de rapport pour Sears entre le bruit de la pluie et sa connaissance limitée de l'amour, pourtant, il existait bel et bien là un lien. Il pensait que le peu qu'il savait de l'amour lui avait été révélé alors qu'il écoutait la musique de la pluie. Les petites averses, les grosses gouttes, les pluies torrentielles, les inondations paraissaient liées à l'amour dans son souvenir, même s'il n'y pensa pas alors qu’il se baignait avec grand soin, puis s'habillait. L’importance de la pluie est nourricière, et elle concerne beaucoup de gens, puisque la multitude est l'un des aspects de l'amour. Jusqu'à un certain point, l'obscurité appartient à la pluie, mais l'obscurité, dans une certaine mesure, appartient à l'amour. Dans d'innombrables lits, Sears s'était estimé heureux d'entendre la pluie tomber sur le toit, il l'avait entendue s'écouler d'une gouttière défectueuse, inonder les champs, les jardins, les toits et les cours de nombreuses villes. Ce soir-là, il traversa la ville à pied sous la pluie. »