Revenons quelques années en arrière... Le temps file et défile dans ma bibliothèque ; c'était il y a plus d'une décennie, peut-être même deux, certainement, au bout de deux pintes, j'ai du mal à additionner correctement les nombres, je découvrais la plume indienne de Sherman Alexie dans "Phoenix, Arizona". Et j'avais beaucoup apprécié cette confrontation entre la culture amérindienne et le modernisme de l'Amérique. On y buvait du whisky, on y jouait au basket. Après tant d'heures d'attente et de pages tournées et retournées, de couvertures pliées et de livres rangés, je décide enfin de replonger dans cette Amérique-là... Une Amérique post 11 septembre vue de l’œil indien, celui de Sherman Alexie qui se met toujours plus ou moins en scène. De la fiction ancrée dans le réel, dirai-je.
"Après avoir déjeuné seule au Good Food, un restaurant postcolonial miracle qui servait du teriyaki japonais, des sandwiches à la saucisse polonaise, des pizzas italo-américaines, du riz aux haricots mexicain ou créole, elle but son café, puis chercha le garçon du regard. Il y avait plus d'un quart d'heure qu'il était parti avec sa carte de crédit et il ne revenait toujours pas. Peut-être qu'il est en train de sauter une serveuse dans la cuisine, pensa-t-elle. Mais ne soyons pas homophobe, peut-être qu'il saute le mignon petit aide-serveur guatémaltèque. Ou peut-être qu'il utilise ma carte bleue pour accéder à du porno ou à des biographies de célébrités sur Internet ; peut-être que c'est un employé amer et paresseux ; ou peut-être qu'il est gentil, correct, mais nul dans son travail ; ou peut-être que ma banque a fini par bloquer mon compte débiteur et que le fisc va me faire arrêter. Elle se demanda si les États-Unis ne risquaient pas de rétablir la prison pour dettes. Dans ce cas, elle serait sûrement condamnée à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. La prison ne serait pas mal, en définitive, se dit-elle. Et en isolement cellulaire, elle aurait la paix. Épouse d'un grand homme et mère de deux fils adolescents, elle détestait leur cacophonie masculine. Elle aimait davantage la solitude et le silence méditatif à l'époque où elle était une enfant de sept ans vivant dans les vastes forêts de pins de la réserve des Spokanes, qu'elle ne les aimait aujourd'hui à cinquante ans, prisonnière d'une ville elle-même prisonnière des eaux. Elle avait été une nonne prépubère. Elle avait été plus proche de Dieu lorsque son vocabulaire était de soixante-quinze pour cent plus réduit. Elle donnerait volontiers tous ses mots de cinq, de quatre et de trois syllabes pour retrouver Dieu. Il lui manquait. Et son serveur aussi lui manquait. Peut-être que son serveur n'avait jamais existé. Peut-être qu'il s'agissait d'un fantôme. Peut-être que je suis en proie à des hallucinations et que je ne m'en rends même pas compte. Les fous savent-ils qu'ils sont fous ? Regardez-moi ça, la schizophrène paranoïaque qui déjeune au restaurant. Elle éclata de rire et se demanda comment elle avait pu devenir cette femme qui mangeait seule et riait tout haut en public. Je suis une folle et une S.D.F qui paye un loyer. Bientôt, je porterai des sacs en guise de robes. Qu'est-ce que Chanel en penserait ? Bon Dieu, où est passé ce serveur ? Elle promena son regard sur la salle à la recherche d'une preuve de son existence : un tablier taché, un stylo-bille, une odeur d'eau de toilette imprégnée de phéromones. Le serveur avait disparu. Envolé, volatilisé."
Et si je puis donner mon avis, j'ai pris autant de plaisir qu'à un match de NBA, j'ai dansé la pluie comme à un concert de Pearl Jam, j'ai été ému comme si je buvais un bourbon avec Kurt Cobain. Bref, j'ai adoré, un très grand moment littéraire. Bref, j'ai déjà acheté un autre Sherman Alexie. Hey l'ami, sers m'en un autre, ça raconte quoi tes histoires. C'est simple, ça parle de l'Amérique, ça cause de la place des Indiens dans cette Amérique blanche, ça parle des femmes dans la société, ça cause des Indiennes dans cette Amérique patriarcale, ça boit de la mauvaise bière, ça boit du mauvais whisky, ça voit des tours s'effondrer, ça sent la peur du terrorisme. Avec une certaine rage contenue ou impuissance tue, à en casser les cordes de sa guitare, la voix Spokane s'écrie au delà des tipis ou des deux tours pour décrire le portrait de son peuple, ici et maintenant. Hey l'ami, sers m'en un autre, elle te dit quoi cette voix. Elle me dit de trouver un boulot, d'être heureux dans la vie, d'être à ma place dans la société. Bref c'est pas gagné... Je comprends mieux pourquoi je reste subjugué par la voix de Kurt. Car, à Seattle, son fantôme règne toujours, comme les ancêtres Spokanes du temps des plumes et des scalps. Hey l'ami, sers m'en un autre, savoure et tais-toi maintenant.
Dix Petits Indiens, un tomahawk lancé dans la littérature américaine.
"- Combien le bourbon ? ai-je demandé au barman, un gros Blanc ?
- Le mauvais ou le plus mauvais ?
- Le plus mauvais qu vous ayez.
- Un dollar le verre."
"Dix Petits Indiens", Sherman Alexie.
Traduction : Michel Lederer.
Quel enthousiasme! M'étonne pas de toi. Ayant lu il y a des siècles Indian Killer et Phoenix, Arizona, je t'accompagne évidemment dans cette histoire. Ca m'embête un peu si bière et whisky ne sont pas bons mais boire en bonne compagnie c'est déjà une lueur de Nirvana. A +.
RépondreSupprimermauvaise bière, mauvais whisky, je compense avec un très bon bouquin et une très bonne musique ;-)
SupprimerComprends pas, je semble tombé dans l'anonymat. Mais c'est bien moi. 🎸
RépondreSupprimerOn retombe vite dans l'anonymat... Dès fois, ça fait du bien, j'imagine que pour toi le guitariste sur l'avant scène underground, ça repose de la folie de tes groupies :-))
SupprimerL'avant-scène underground... 😄c'est légèrement exagéré pour un folkeux besogneux hors d'âge. A la tienne l'ami.
SupprimerIls étaient dix donc... car avant il y a eu 10 petits nègres, mais ça ne se dit pas. J'adore le teriyaki japonais.
RépondreSupprimerEt oula, il était en forme Kurt, ou pas en forme du tout. Cela dépend de quel côté de la guitare on se place. En tout cas ils en avaient pour leur argent les spectateurs.
Et l'autre qui joue de la basse carrément sur les genoux !!!
En tout cas, ils n'avaient pas grand soin du matériel. Pas sûre que j'aurais aimé vivre ça en live.
Oh mon dieu, tu me veux des ennuis, citer les 10 petits nègres, peut-être mon premier vrai livre lu et que maintenant on n'a plus le droit d'appeler ainsi...
SupprimerJ'adore aussi le teriyaki, cette sauce, ce parfum...
Il était particulièrement en forme ce soir-là, le Kurt, je ne m'en lasse pas...
Ralala, j'ai jamais pris le temps de lire de ses nouvelles. Je fais pourtant confiance à la collection Terres d'Amérique. Je note, je note...
RépondreSupprimerOui, je fais confiance aussi en tout ce qui est Terres d'Amérique...
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