dimanche 31 décembre 2023

Feu la poésie d'Arthur


"Journal d'une nuit espérée, rendue triste par la situation en général. Il est douloureux d'imaginer que cela aurait pu être autrement. Roulis d'un soir sans crépitement, je devinais sous la profonde écriture un sens caché aux choses du monde qui attendent une heure. Qui attendent leur heure. Que quelqu'un nous donne l'heure. Avez-vous l'heure ?"
 
Je regarde ma montre. Peu m'importe l'heure, le temps qu'il fait dehors. Je regarde l'eau couler sur la fenêtre du salon. Un type devant un clavier, une tasse de thé, parfum pu-ehr. Une platine qui défile les titres, disque de Feu Chatterton ! Donc, ma montre me dit que j'ai cinq minutes pour finir mon pu-ehr, j'aime bien ce nom, et cinq autres avant de décapsuler une bière. Le temps est compté, mais le temps ne compte pas pour la poésie. Poésie dite minute, écrite sur l'instant, sans réfléchir. Comme un brouillon de la pensée.

Alors, tu veux mon avis ? C'est bien pour ça qu'on est là. Mais mon avis n'a que peu d'importance dans ce monde-là. Après tout c'est comme des nouvelles, on en pioche une, on aime bien, on en pioche une seconde, on aime moins, mais on continue, on trouve une belle phrase, on la note, on essaie de s'en souvenir, on la garde pour soi. Et on l'écrit ici, par exemple. "Dans le noir la pudeur n'a plus d'ennemi." Puis on referme le livre et on le ré-ouvre. D'une facilité déconcertante, comme pour décapsuler une bière ou caresser les jambes d'une femme.
 

mercredi 27 décembre 2023

D'une Terre Brûlée un Whiskey Tourbé


 A travers les champs bleus, je me promène ainsi sous le regard bienveillant de la lune. Platitude de la terre, mais pas des sentiments, je ne vois dans mon panorama que tourbières et pubs, la beauté de l’Irlande. Une odeur saline pénètre mon âme fouettée ainsi par le vent et la pluie oblique. Il faut un feu de cheminée pour supporter l’humidité – l’intimité - de cette chaumière, un feu de tourbes, une odeur de chèvre. La campagne irlandaise, quoi ! Une terre brûlée au vent des landes de pierres, un whiskey tourbé.

« Décembre est arrivé, pluvieux. Margaret n’avait jamais vu une pluie pareille. Elle ne tombait pas droit du ciel, mais à l’oblique, entraînée par le vent. Il y avait du sel sur les fenêtres et une odeur d’algues dans l’air. Tandis que les oiseaux souffraient de la faim, les gens là-bas en ville se mettaient à boire. »

Au pub, on me sert une bière brune, presque noire. Avec une mousse qui tient ainsi au sommet du verre, un long col blanc, comme une collerette de curé au sommet de sa robe noire. Car même dans un pub, même devant une pinte, la religion ne s’absente pas. Elle est toujours présente dans l’esprit des hommes, et des femmes. Surtout. Et des femmes, j’en découvre d'un autre monde. Fortes, solitaires, rejetées, elles sont présentes tout au long de cette aventure froide et humide, verte et saline, les modestes d’Erin.

dimanche 24 décembre 2023

La Playlist d’un type Ordinaire


 « La leçon que j'ai tirée de la débâcle avec Charlie, c'est qu'il faut boxer dans sa catégorie. Charlie était d'une autre classe : trop jolie, trop maligne, trop spirituelle ; trop. Je suis quoi, moi ? Ordinaire. Un poids moyen. Pas le cerveau du siècle, mais pas débile non plus : j'ai lu des livres comme L'Insoutenable Légèreté de l'être, L'Amour au temps du choléra, et je les ai compris, je crois (ils parlent des filles, c'est ça ?), mais je n'ai pas beaucoup aimé ; mon palmarès des livres, c'est Le Grand Sommeil de Raymond Chandler, Dragon rouge de Thomas Harris, Sweet Soul Music de Peter Guralnick, Le Guide du routard de la galaxie de Douglas Adams, et je sais pas, un truc de William Gibson ou de Kurt Vonnegut. Je lis le Guardian et l'Observer, et aussi le New Musical Express et des fanzines ; je ne suis pas contre aller à Camden voir des films sous-titrés (palmarès des films sous-titrés : 37,2 le matin, Subway, Attache-moi, L'homme qui voulait savoir, Diva), mais finalement je préfère les films américains (palmarès des films américains, et donc des meilleurs films du monde : Le Parrain, Le Parrain II, Taxi Driver, Les Affranchis, Reservoir Dogs). »

J’entame donc l’histoire d’un pauvre type qui s’est fait larguer et qui depuis une dizaine d’années reste obnubilé par cet amour. Disquaire de profession et dans l'âme, il vit pour et dans la pop et le rock. Heureusement que la musique le sauve de son morne quotidien. Le rock, donc et les listes. Le jazz aussi mais ça c'est une autre histoire, pour un second tome. Il a cette manie, lubie, qu’à chaque instant marquant de sa vie, il fait des listes : les 5 nanas inoubliables, ou les 5 ruptures inoubliables, c’est la même chose, les 5 bouquins à emmener sur une île déserte (1.Moon Palace…), les 5 musiques à écouter à 15 ans en se masturbant (1.Violator…), les 5 disques sur lesquels on peut - doit - faire l’amour au moins une fois dans sa vie (1.The Köln Concert…). Bref les listes de 5, c'est sa life, putain de vie.

mercredi 20 décembre 2023

Y a de la bière dans le frigo si t'as soif


 Au volant d’une vieille Dodge, évitant les chiens errants dans la poussière de la Caroline du Sud, regardant les chiens écrasés sur la double deux voies, je file à toute berzingue et à travers quelques instants de ma vie poussiéreuse. Je m’arrête chez un pote, un ancien du Viêt-Nam, y’en a toujours un dans les bons romans américains. « Assieds-toi, vieux, dit Blue. Y a de la bière dans le frigo si t'as soif. », me dit-il. - Petit aparté. Déjà Blue me fait penser immédiatement à la trilogie new-yorkaise de Paul Auster, l’œuvre ultime des romans américains. Fin du petit aparté totalement personnelle et subjectif. - Et là, avec nos bières fraiches et décapsulées, on s’assoit sur la terrasse, de vieilles planches en bois posées à même la poussière, de son mobil home, face au soleil couchant. Le silence est là, un silence pas dérangeant, un silence de complicité avec son ami, avec sa bière, avec sa lune. D’ailleurs on en reprend une troisième pendant que les étoiles commencent à illuminer la solitude des coyotes. Au bout d’une ou deux heures, j’abrège donc le silence, il est temps que je reprenne la route, direction Coronado.

J’allume l’autoradio, un morceau de Dave Matthews s’en échappe. Je file, je m’arrête pour prendre une autostoppeuse qui monte à l’arrière, l’air fatiguée, une pute qui veut changer d’air et reprendre sa main en vie, devenir reine sous le soleil californien ou au moins actrice de sitcom. On s’arrête au bord de la route, un bar poussiéreux mais aux néons qui tranchent dans le vif, colorent ta nuit semblent-ils te dire. Je commande un Aerolite Lyndsay. « Elle fait tinter les glaçons dans son verre. Tire une bouffée de sa cigarette. » Rien qu’une telle pensée me met dans un état d’excitation intense. Mandy est partie dans les toilettes, probablement se refaire un brin de fraîcheur et une ligne de coke. 

samedi 16 décembre 2023

Des Odeurs de Goulash et de Haine


 A Nykøbing Falster, je croise le regard apeuré d’un jeune garçon. Plus tard, celui-ci, alias Knud Romer, écrivit un roman à consonance autobiographique « Cochon d’allemand » et joua devant la caméra de Lars von Trier dans « Les Idiots ». Mais pour le moment, ce petit garçon est triste, ses yeux humides sont effrayés rien qu’à l’idée d’aller à l’école ce matin, comme tous les autres matins. Souffre-douleur de ses camarades, il n’est pas rare qu’il se voie rouer de coups, brimer, humilier. Pourquoi tant de haine ?

« Le matin, le soleil entrait par la fente des rideaux, traversait la pièce tel un tigre et me léchait la joue. Je me réveillais toujours avant qu'il me dévore ; il disparaissait aussitôt, mais je l'entendais mugir dehors. Je croyais dur comme fer que des tigres et des lions se promenaient dans les rues, parfois je croyais entendre d'autres animaux encore - des babouins, des perroquets -, et la haie qui entourait notre maison avait précisément pour fonction de tenir à l'écart les bêtes sauvages, exactement comme dans Pierre et le loup. »

Dans la cour de récréation, se protégeant des coups de pieds et des crachats, un refrain repris à tue-tête hurle dans sa tête : 
« Cochon d’allemand ! Cochon d’allemand ! ». 
Qu’il est difficile de vivre enfant, au Danemark ou dans cette Europe d’après-guerre, quand on a une mère allemande. Jamais adoptée par son nouveau pays, avec l’accent fort du pays, finalement elle abandonnera la partie au profit de la vodka.

mercredi 13 décembre 2023

L’homme parfait s’appelle Bertrand


Aujourd'hui, je découvre Eric Reinhardt comme on découvre une forêt ou un amour. A petits pas, j’avance dans l’histoire, prenant le temps de respirer entre chaque paragraphe, car c’est du lourd, aussi lourd qu’une vieille souche abandonnée d’un arbre presque centenaire, qu’au aura coupé par sadisme ou par déchéance. 

Dans cette forêt entre Metz et Strasbourg, vit un homme des Bois, aussi gentil que Robin, maniant tout aussi bien l’arc et les flèches. Mais surtout, j’essaie d’apercevoir dans la pénombre sylvestre le regard souriant d’une Bénédicte Ombredanne. Dans cette forêt, elle a retrouvé le sourire perdu il y a plus de dix ans. C’est que la vie entre Metz et Strasbourg ne prête pas à sourire, surtout en hiver, mais ce n’est pas le moment de plaisanter, car ce roman n’en demande pas. Il est sombre, difficile, cruel. Il est émouvant, poignant, plombant. Alors une certaine rage s’empare de moi, comment est-ce possible, comment est-ce envisageable. Et pourtant, oui, je n’ai guère de mal à ressentir ce mal-être, cette souffrance inadmissible, le harcèlement mental de son mari. 

« C'était la première fois qu'elle roulait sur le segment sud de l'autoroute A4, entre Strasbourg et Metz. 
Sur le tronçon nord, qu'en revanche elle empruntait régulièrement pour aller voir ses parents en Champagne, des panneaux se succédaient qui attestaient que l'histoire de cette région n'avait été qu'une suite de traumatismes et de péripéties blessantes ou décisives : VERDUN, L'OSSUAIRE DE DOUAUMONT, LA VOIE SACRÉE, LA BATAILLE DE VALMY, LES TAXIS DE LA MARNE, LA FUITE À VARENNES, GRAVELOTTE 1870, de sorte que l'automobiliste, au fil des kilomètres et des pancartes, finissait par se demander si l'existence de tout un chacun ne serait pas de la même façon une suite de traumatismes et de conflits, d'attaques, d'injustices, de spoliations, d'hostilités sanglantes et destructrices, mais dans une impassible continuité paysagère, une résistance aux faits, une forme d'indifférence aux souvenirs de la douleur, avec même, parfois, certains jours, de grands et réjouissants ciels bleus, des oiseaux mouvementés. On a beau devoir faire face aux événements les plus pénibles, on avance, les arbres repoussent, le temps passe, on peut renaître, il y a de lentes postures de ruminants aux endroits où s'amoncelaient les cadavres, les jours s'écoulent et continuent leur incessant décompte. Ce trajet nous enseigne que notre vie est bel et bien le ciel des événements désagréables qu'on est amené à affronter, qui n'en sont que le sol, la terre, et les cailloux : les champs de bataille. »

dimanche 10 décembre 2023

Baron Samedi ou Dimanche


 « Le vent essoufflé poussait sans y croire des morceaux de nuages. La mer remuait ses mauvais souvenirs. La terre hélait en vain miséricorde. Les femmes et les hommes ruminaient leur silence. Tout semblait à part, vampirisé par une désolation que même les rires d'enfants n'arrivaient pas à conjurer. Et dans tout Paulette une question se chuchotait. Que cherchait l'étranger ? Ainsi m'avait-on nommé. »

L’étranger, c’est moi. Ce pauvre type venu s’immiscer dans les rêves d’une autre vie, sur une autre rive. Ô Régina, jeune et belle Régina, ô belle mulâtresse aux jambes ensoleillées… 
Régina fût kidnappée un matin de soleil rosé, à cause de son teint trop clair, voilà tout le malheur de Marie-Soleil, sa mère.

« J'ai avalé deux ou trois verres de rhum. », l’appel de Cuba, l’appel d’Haïti, l’appel de Sainte-Lucie, de la Jamaïque, de Guadeloupe. Ce n’est pas de ma volonté mais c’est pour comprendre le mythe de ces îles, moi l’étranger sur cette terre, m’immerger dans ce paysage où le vent soulève la poussière de ma misère. Entre rhum et poussière, vivent des poètes, et des filles si jolies que… que le malheur engloutit ces îles. Ô Régina, ô Cuba, ô Haïti... Au-delà des flots et des cimetières, je croise le raconteur. Le raconteur est un conteur d’histoires, un gars qui autour d’un verre de rhum dévoile la vie de Régina, d’une île, de la misère. Celle d’être trop belle dans cette île trop pauvre. Et au milieu de ce malheur, Baron Samedi fait son apparition, tient on est lundi…  Peu importe, pas de jour pour le rhum, pas de nuit pour le vaudou. 

mardi 5 décembre 2023

Manger des Manchots


"Un soleil hypocrite fait étinceler les gouttes d'humidité comme des myriades de diamants. En arrière-plan, la plaine fume légèrement. Des otaries et des éléphants de mer se prélassent en bâillant de plaisir. Il regarde autour de lui et pense que rien, pas un vol d'oiseau, pas une vague, pas un brin d'herbe, rien ne changera s'ils disparaissent ici." 
 
Soudain, prendre une année sabbatique, faire une croisière autour du monde, le cap Horn, le cap de Bonne espérance, ça te tente...
Allez ! On y va, se dirent Louise et Ludovic, la trentaine sans enfants, c'est le moment idéal, une façon de découvrir le monde tout en tissant de forts liens entre eux, d'abnégations, de peurs et d'intimité. A bord de Jason.

Soudain, une île au milieu de la Patagonie. Des oiseaux, le soleil derrière, une légère brise marine, les flots bleus noirs, bleus purs. Un panorama magnifique. J'opte pour ce regard que l'on porte vers le large, loin des hommes. Un clin d’œil à l'aventure, cette île interdite. Notre couple s'y accoste et découvre les décombres métalliques d'une station baleinière abandonnée depuis des décennies.

"Dans la baie, l'océan aux couleurs émeraudes près de la plage vire au noir dans les grandes profondeurs, en un pur miroir, les falaises brunes et les hauteurs semées de neige. Leur île resplendit et malgré leur désarroi, ils goûtent cette beauté éphémère. Il règne sur tout cela un silence, seulement ponctué de l'appel d'un manchot, du gazouillis d'une sterne dans son terrier ou de l'éructation d'un éléphant de mer, les bruissements rassurants de leur basse-cour australe."