Gris
et rose… Pourquoi en gris et en rose me diras-tu ? J’écarte rapidement
toute spéculation si tu penses à un vol de flamands roses sous un ciel gris.
Avec une âme d’enfant, Takeshi Kitano complètera que ce sont les seuls pots de
peinture que son vieux avait en stock. Il revient ainsi sur sa mémoire, tisse
quelques mémoires à travers son regard d’enfant sur ce que fut ses jeunes
années. Il fait revivre alors, le temps de courts chapitres, la maison
familiale d’après-guerre. Dehors, quelques étrangers font leurs apparitions,
des blancs et des noirs, des soldats d’occupation. Give me gum. L’amuseur
public de la télévision japonaise ne semble pourtant pas avoir vécu une enfance
très rose mais plutôt grise, un gris d’un foncé très sombre. Une enfance parfois,
souvent, violente ; est-ce de là que viendra son goût d’afficher des
éclaboussures écarlates sur la chemise des yakuzas, trous dans la tête,
morceaux de cervelles sur le pare-brise…
« Quand
on est arrivé à la maison, le paternel était en train de frapper notre mère. Une
banale habitude dans leurs disputes conjugales.
Pitoyable.
Vraiment affligeant, ce genre de scène.
Comme c'était dimanche et
qu'il pleuvait, mon père n'avait pas pu aller travailler, et ma mère l'avait
sans doute engueulé parce qu'il ne fichait rien. Pour toute réponse, il l'avait
bourrée de coups de pied tout en buvant près de deux litres de saké. Et mon
frère qui chialait, déçu de ne pas avoir pu acheter le gant. Je me suis senti
obligé de pleurer, moi aussi. Quelle misère, je te dis pas ! »
Avant
d’être cinéaste, Takeshi traînait dans les quartiers chauds d’Asakusa, en
qualité d’amuseur public. Là, je l’ai lu dans « Asakusa Kid »,
premier roman où l’auteur affichait ses débuts dans le monde du spectacle. Avec
« La vie en gris et rose », l’auteur s’allonge sur un canapé pour se
psychanalyser et parler de sa tendre enfance. Pas si tendre. Un père
alcoolique, une mère rouée de coup, un frère doué pour les études, une pauvreté
qui le met à l’écart des autres. De rose, il n’en est jamais question, à part lorsque
son paternel, peintre en bâtiment en plus d’ivrogne notoire et d’ex-laqueur, repeint
la façade d’une maison avant de ravaler celle de sa femme. Entre les chapitres
de sa vie, l’auteur-dessinateur m’illustre d’un crayon naïf et enfantin ses
propos. Une case, histoire de montrer qu’il faut voir en Takeshi un artiste aux
multiples facettes, comique et producteur, comédien et réalisateur, peintre et
dessinateur, une trajectoire qu’une telle enfance ne laissait pas prévoir…