dimanche 25 octobre 2020

Pikadon


 Il y a des bruits qu’on souhaite oublier, qu’on ne souhaite même pas nommer, qu’on ne devrait même pas décrire, tant ils nous renvoient vers l’inhumanité de ce monde et vers l’odeur de chairs brûlées. Le Pikadon. D’ailleurs, d’où vient ce nom qui prêterait presque à sourire de mon point de vue occidental et qui ferait plus penser à une version peluchée d’un manga plutôt qu’au souffle d’une bombe déposée – larguée - sur les collines de Nagasaki, un 9 août 1945. Alors, je sors mon encyclopédie numérique : « Pika » signifie étincelle, lueur ou éclat soudain de lumière. D’une beauté poétique, en somme, c’est comme une aurore boréale sous des latitudes nippones. « Don » lui pourrait se traduire par un gros boum !, une genre de déflagration. Associés ensemble, ces deux mots marquent surtout la défaite de l’humanité.

 

« J’eus l’impression que le cœur du monde venait d’exploser. Certains allaient le décrire par la suite comme un bang mais il ressemblait plus au fracas d’une porte se rabattant violemment sur ses gonds ou à la collision de plein fouet d’un camion-citerne et d’une voiture. Il n’existe pas de mot pour ce que nous avons entendu ce jour-là. Il ne doit jamais y en avoir. Donner un nom à ce son risquerait de signifier qu’il pourrait se reproduire. Quel terme serait à même de capturer les rugissements de tous les orages jamais entendus, tous les volcans, tsunamis et avalanches jamais vus en train de déchirer la terre et d’engloutir toutes les villes sous les flammes, les vagues, les vents ? Ne trouvez jamais les termes adéquats capables de décrire une telle horreur de bruit ni le silence qui s’était suivi. »

 

lundi 19 octobre 2020

Angkor Wat

Même dans une cage dorée, on en peut empêcher un papillon de prendre son envol.


Ferme les yeux, et laisse toi emporter par la grande aventure. De celle qui fait couler des bouteilles de vodka dans un lupanar de Saint-Pétersbourg, de celle qui traverse des océans de poussière et des fleuves aux neufs dragons. Je t'emmène vers les années 1860 en compagnie d'Henri Mouhot, géographe et explorateur aussi dingue qu'Indiana Jones, la compagnie féminine en moins.

Viens avec moi, et je te montrerai le Papillon de Siam, d'une majestueuse rareté, une chimère diront certains, une enivrante beauté penseront les plus fous. Car il s'agit bien de folie, cette traversée du Cambodge à cette époque-là, et d'inconscience. Mais les explorateurs de ces temps-ci ont cela en commun, la soif de découverte, l'envie de laisser derrière eux, la trace de leurs découvertes et de leurs noms affichés royalement en lettres d'or sur les façades académiciennes ou dans les encyclopédies des grands savoirs.

Le soir, après avoir partagé le repas avec eux, un dîner composé de fruits, de riz et d'insectes grillés, les deux hommes rendent visite au chef du village. Ce dernier, un vieillard aux dents noires et usées jusqu'aux gencives à force de mâcher du bétel, les reçoit sous un banian gigantesque dont les racines aériennes forment une prison végétale qui le préserve du reste du monde, des hommes comme du soleil et de la pluie. Pour l'apercevoir, il faut soulever des feuilles de palme d'une taille gigantesque. La peau jaune et ridée du vieillard ressemble à celle d'une tortue centenaire, et ses yeux vairons dansent dans leurs orbites comme ceux d'un caméléon. L'homme semble lui même avoir pris racine depuis longtemps tant il fait corps avec l'arbre. Assis en tailleur au pied du banian, il fait corps avec l'arbre, il en gratte l'écorce avec l'ongle de son pouce, noir et dur comme du granit, produisant un son strident.

vendredi 16 octobre 2020

Double Peine


Paula Cid, 42 ans et néonatologue, mène une existence tranquille, une vie des plus ordinaires à Barcelone. La routine d'un couple sans enfants, un verre de vin le soir pour laisser derrière la passion de son métier. Sauf qu’un jour, son compagnon de route et de vie lui annonce brutalement qu’il la quitte pour une autre. Sauf que ce même jour, quelques heures après, son ex-compagnon de route et de vie se tue en vélo. La double peine, la tristesse de s’être fait larguée et celle de le voir mort, les deux le jour même, se mêle et s’entremêle dans sa tête. Un sentiment de désespoir et de rage qui cohabite en elle.

 

« Un verre de vin à portée de main, le deuxième déjà. J'essaye de savoir si avant je buvais avec la même fréquence. Je sais que non, que je ne buvais pas autant, mais je fais semblant d'avoir un doute. Lorsqu'on est seule, il est primordial de maintenir un certain dialogue avec soi-même, de se mettre dos au mur, de ne pas tout se permettre. Après cinq minutes, l'alcool est passé dans le sang, l'idée étant de m'écraser dans le canapé et laisser l'éthanol déprimer mon système nerveux central, m'endormir et faire chuter l'intensité de mes fonctions cérébrales et sensorielles, mais j'échoue, comme pour tout ces derniers temps. » 

 

mardi 13 octobre 2020

Tournée Générale de Viandox


Je sors de la gare de Bléville, une odeur de mazout, de port et de morue pas fraîche m’étreint la gorge. A une ère où il n’était pas encore question de tri sélectif, des panneaux d’avertissement affichent ouvertement : « Gardez votre ville propre » ? Je déambule dans les embruns, des ruelles étroites zigzaguent sur mon plan de la ville. J’hume, j’inspecte, je renifle, des odeurs de pisse, des odeurs de clopes. Un bistrot ouvert dès 5 h pour accueillir les premiers dockers et leurs premiers blancs secs. Je m’engouffre dedans comme le vent sous la jupe des vieilles rombières.

 

« Ça sentait l’eau de Cologne, le tabac, le sel et la poussière de ciment. »

 

Je me colle au comptoir, encore plus collant de la veille et de la décennie passée. De quoi rester scotcher pendant des heures. Un vieux juke-box au fond de la salle, sous un amas de poussière, comme des bijoux de famille qu’on ressort une fois l’an.

J’y vais de ma pièce de 1 franc, appuie sur la touche F puis 3. Cela commence par un solo de batterie, un air de jazz du temps, au vent marin, à l’étrangeté iodée. Je me recolle sur mon tabouret, skaï rouge craquelé. Un verre de bière devant moi, la mousse brute et lourde. Une nana est à l’autre bout, une jolie brune devant son Picon-bière. Genre Fatale, genre brune inoubliable, il y a des sourires qui ne s’oublie pas, celui d’une nana devant un verre de bière en fait partie.

 

mardi 6 octobre 2020

Le Nouveau Condo

« Fallait que j'oublie cette journée. Perdu dix dollars au champ de courses aujourd'hui. Quelle chose inutile. Ferais mieux de me fourrer la queue dans une crêpe au sirop d'érable. »

 

Charles BukowskiSur l'écriture.

 


On a toujours à apprendre des grands penseurs de notre temps. Je ne joue pas encore aux courses, mais j'ai du sirop d'érable. Putain, je n'y avais jamais pensé. Maintenant je sais quoi faire de mon sirop d'érable. 

Après cette dérive culinaire ô combien passionnante et érotisante - oui je dois être du genre à être excité par du sirop d'érable, je retrouve Paul Hansen dans son nouveau condo à Bordeaux. Il neige, il fait froid, l’atmosphère est humide, les os gèlent et les majeurs deviennent bleus, des cafards se faufilent sous les draps gris d'un matelas puant la sueur et la pisse, bienvenue à la "Prison de Bordeaux". Je te présente également son coturne Horton, ex-Hell Angels, passionné des gros cubes, et philosophe à ses heures, surtout à heures fixes, quand il dépose de magnifiques étrons parfumant cette piaule, hôtel de luxe de l’île de Montréal, là où les trottoirs craquent sous le froid hivernal et la neige recouvre les chars.    

« Tout avait débuté un an auparavant, je crois, au début de l’hiver 1981. Après les premières chutes de neige, le froid commença à faire craquer les routes et les jours raccourcirent brusquement, comme s’ils étaient pressés d’en finir. Durant ces changements de saison, quelque chose se modifiait en nous, une lassitude diffuse s’installait et, avec elle, une part de mélancolie. »

jeudi 1 octobre 2020

Comme une Chronique de France Inter à Ouagadougou


« Et surtout madame Sankaké, gardez bien confiance dans l'administration judiciaire de votre pays, car si le chemin de la liberté est parfois tortueux, il arrive toujours à la justice. »

 Et je suis là à allumer la radio, le genre où tu mettais 6 grosses piles dedans pour faire crachoter de la musique ou une chronique de France Inter. J'écoute cette odeur de poulet qui mijote. Des parfums de cuisine et d'enfants qui jouent dans la cour, autour d'un ballon ou d'un vieux pneu usagé. La voisine prépare des galettes au miel. Un délice, un retour en enfance. Au son des tam-tam, la nuit se profile, la lune se défile, les étoiles illuminent. Une soirée autour d'une bière chaude, des femmes en pagnes, l'ambiance africaine.