samedi 27 mars 2021

Le Cuirassé Noir


"La masse impressionnante de nuages qui avait tout à l'heure surgi de loin là-bas, vers le sud, s'amoncelait maintenant de plus en plus, déployant dans le ciel d'étranges reliefs de la couleur du plomb annonciateurs de tempête, telle une énorme barrière qui se serait soudain dressée entre la corvette et l'horizon. Les rayons d'un soleil, déjà à demi voilé filtraient tristement à travers les nuages, s'irisant, comme une sorte d'auréole, d'une écharpe brillante et multicolore, qui tombait dans la mer.
L'averse était imminente.
- Au cacatois et au perroquet ! hurla l'officier de quart."
 
Les vagues déferlent sur le pont, l'océan se fait sauvage, l'écume blanchâtre lèche le sol lavé des pêchés de ce bas-monde. Les matelots alignés par vents et marées, la vieille corvette rentre à son port. Les marins débarquent, les bars seront bruyants cette nuit, les femmes sortent leurs sourires en plus de leurs parures. Nuit de sueur. A son bord, reste Bom-Crioulo, un colosse ébène, la sueur luisante, le regard troublant. Les muscles saillants, cette machine dans la tête, le cuirassé noir, machine sourde et tempête, le corps fier, leitmotiv, nuits secrètes. A son bord, le jeune Aleixo, charmeur et charmant mousse, le corps fragile d'un éphèbe dans la nuit brésilienne. Un regard, un sourire, sur un quai humide, la sueur brûlante. Saudade.     

dimanche 21 mars 2021

Les Escales de Nad' et du Bison : Cuba

Lieu : La Havane
Lever du soleil : 7h36  | Coucher du soleil : 19h39
Décalage horaire : - 5h
Météo : 31° ressenti 38°. Beau temps peu nuageux, rafales de sud 25 km/h.
Coordonnée GPS : 23° 07' 58" Nord, 82° 22' 58" Ouest
Musique : El Quinto Regimento / Los Cuatro Generales / Viva La Quince Brigada, Charlie Haden
Un Verre au Comptoir : Rhum Clément




« - Faut que tu évolues, Pedro Juan. [...]
- J'aime pas qu'on me touche le derche.
- C'est du machisme, ça. Tu dois apprendre à jouir par-devant et par-derrière.
»

lundi 15 mars 2021

Au Fond du Couloir

les chroniques transat 

La MAISON

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Pas d’ascenseur, je prends les escaliers quatre à quatre, comme une urgence, un besoin irrémédiable, une envie pressante. Je ferme la porte derrière moi, me déchausse, vais au fond du couloir, la porte de droite, m’allonge sur mon lit, le regard déjà porté sur le plafond. Des années que je l’observe et que je découvre cette frêle fissure qui strie mon horizon. Le plafond de ma chambre, c’est un peu mon univers, ma vie. Le plafond, c’est ma MAISON. J’attrape mon casque, le majeur sur le bouton « Play », et m’enferme dans ma bulle, une bulle qui s’est construite petit à petit depuis des années et qui m’enveloppe intégralement maintenant. La musique, c’est ma MAISON. Le plafond, cette musique, je le fixe, la nuit qui s'élève, les étoiles qui scintillent, je l'observe, cette impression de solitude, ce sentiment d'isolement, je la garde en moi, comme un tout, une image de moi. 

Mais quelle maison en ce premier album, une révolution qui se prépare dans ma tête, qui bouscule mon âme. Combien de fois n’ai-je ma entonné dans ma tête ce petit gimmick, been dazed and confused for so long it’s not true, qui déchire à chaque fois un peu plus mon âme. Je ne cherche pas à comprendre les paroles, le blues par définition, c’est un mélange de tristesse et de poussière – et une ligne de basse qui vient l’inaugurer. Mais revenons, à la maison, allongé dans le noir, le regard sur les étoiles brillantes de mon plafond. J’y vois une évasion, bercé par la voix de Robert, déchiré par les riffs de Jimmy. Mes camarades de chambre, 4 fidèles compagnons de solitude - Robert Jimmy John John-Paul, 4 albums essentiels plus ou moins un, je ne me pose même pas la question s’ils regardent également leur plafond respectif, je ne pose aucune question. Je laisse simplement les émotions venir, elles sont là, viennent en moi, me bousculent, me transportent, repartent, libres comme cette part des anges qui s’évapore dans les cieux, bien au-delà de mon plafond. 1969 et un zeppelin s’écrase dans ma MAISON.   

mardi 9 mars 2021

de Cendres et de Poussière


Des fleurs de cerisier, amours éphémères, s'envolent derrière le jardin du temple. La plus belle des poussières ces fleurs, avec celle distillée par la lune bleue qui illumine de son sourire mon verre de bière. Je prends le pouls du temple, silence, et respire sombrement mes pensées. Je monte les escaliers, ceux qui me mènent au ciel au sommet de la falaise, dans l'ombre d'une forêt d'érables et de cryptomérias. Là, une vue s'étend à l'horizon,
je vois presque l'Australie, le ciel se confond à la mer, le bleu turquoise devient azur, l'azur plonge dans l'immensité de l'océan. Un bâtiment de brique rouge, et une longue cheminée qui longe le ciel. Une fumée grise s'échappe, s'envole comme l'amour ou les papillons. L’incinérateur chauffe sa mélodie, ritournelle incessante, trouble l'atmosphère, suffoque et tousse ses rejets carbonisés. Sakutaro lève les yeux, son regard se perd dans la fumée grise qui s'enfuit lentement de la cheminée. Poussière d'Aki qui s'envole ainsi au milieu des nuages, les gris se mélangent, se confondent, disparaissent. Le souvenir d'Aki qui se dépose, comme une poussière de cendres qu'il recueille entre ses mains.
 
Nous avons échangé un baiser au moment même où les dernières traînées du jour s'effaçaient à l'horizon. Nous étions restés un moment les yeux dans les yeux. Nos lèvres se sont jointes spontanément lorsque nous avons pris conscience de l'invisible consentement qui était monté en nous. Les lèvres d'Aki avaient un goût de feuille d'automne. Peut-être était-ce dû à l'odeur des feuilles mortes que l'homme en pantalon blanc faisait brûler dans la cour du temple.

 

vendredi 5 mars 2021

Les Violons de Chosta et la Neige

Qu’ils s’appellent Roxane, Mélissa ou Kevin, qu'ils aient à peine douze ans, qu’ils vivent dans un quartier populaire, qu'ils habitent dans un « bloc » d’appartements, Hochelga-Maisonneuve…


Ils se croisent à peine mais grandissent plus vite face à l’adversité de la vie. Ils essayent surtout de survivre, tout en gardant une part de rêve dans un recoin de leur tête. L’espoir qu’un jour leur père ou leur mère reviendront à la réalité, celle qui consiste à former une famille, aussi petite soit-elle, à retrouver de l’amour et de la complicité même dans et sous les coups durs.


« Roxane ferme sa porte. Des cris. Des cris. Des mots. Des coups. Son nom. Sa mère qui crie son nom. Roxane ouvre son tiroir. Cherche ses écouteurs, trouve ses écouteurs.
Chostakovitch, les violons. Plus fort, plus fort encore. Les violons la fenêtre la neige snieg qui tombe comme des lignes du ciel à l’eau comme des lianes pour s’agripper, pour monter très haut, jusqu’en haut, les flocons tombent en lianes du sol au ciel, le violon de Chostakovitch coule sur elle, puis coule en elle. Roxane est une corde, stridente sous l’archet, Roxane vibre, Roxane explose, vole par-dessus la rue, par-dessus les corps morts, par-dessus la marde, jusqu’aux bateaux, jusqu’au fleuve, jusqu’en Russie. Roxane est une symphonie. »


Le tableau dans ce coin de Montréal ne fait pas dans le rose-bonbon. Entre un père « catcheur » loseur et vieillissant qui perd son job au garage, une mère alcoolique qui se fait tabasser par son chum et une autre qui a totalement délaissé sa fille et arpente le trottoir des putes de jour comme de nuit, même par avis de tempêtes… Bref, je suis dans la chronique sociale qui ne respire pas le grand bonheur ni même l’éclat’ joviale.