samedi 28 décembre 2019

C'est pas la Fin du Monde

Les dernières pièces de théâtre que j’ai lu doivent remonter à mes années collèges. Je ne sais même plus, depuis ces lustres ancestraux, son auteur, un type qui se faisait prénommer Molière ou Corneille, peu importe, bref ce classicisme scolaire m’ennuyait profondément, parce que j’ai toujours pensé que le théâtre se vivait d’abord avant de se lire…

Alors, je me suis dit, avant d’annoncer ma mort imminente – à moins qu’intérieurement elle soit déjà survenue, il fallait que je me remette au théâtre, par choix, par goût et plus par obligation. Et du coup, pas n’importe quel texte. Il fallait quelque chose qui me transcende, la dernière pièce de théâtre, le dernier acte d’une vie. Celle qui servira de testament ou de chronique posthume car demain sera juste la fin du monde.

J’adore Xavier Dolan, même si j’ai une nette préférence pour ses films dans sa langue natale, et c’est avec beaucoup de plaisir (encore plus qu’à sa sortie en salle) que je me suis replongé dans la campagne française avec Gaspard Ulliel, Vincent Cassel et Nathalie Baye, adaptation cinématographique d’une pièce de Jean-Luc Lagarce. Il fallait que je jette mon dévolu sur ce texte et ô combien que j’ai apprécié ce plaisir, presqu’autant qu’une bonne broue aux saveurs locales d’outre-Atlantique. Merci Xavier de m’avoir permis de m’aventurer hors de mes prairies habituelles où l’herbe aromatisée à la vodka est si verte…

mardi 24 décembre 2019

Senteur Littéraire

« Un pic épeiche gras s’envole d’un froissement d’ailes. Le gars a glissé la main sous sa jupe, écarté les jupons, et joue avec trois doigts dans sa parenthèse rouge. Les poils sont rêches, la chair suave, dégoulinante. Miel rose. Elle respire vite, le dos collé au tronc de l’arbre, tendue, les cuisses écartées en avant, comme une ogresse qui veut pisser debout pour y noyer le monde. Des nuages de buée s’échappent de leurs bouches et leurs corps frottés à vif fument dans la blancheur crue de l’aube. »

La nuit, un jour. Le hasard d’une rencontre, et cette promenade dans l’obscure forêt qui entoure mon âme. La lune bleue n’illumine plus la clairière de la vie, elle s’enfuit à l’ombre des nuages, là où l’âme miséreuse ne peut la regarder, la sublimer. Un vent souffle, emportant tous ses parfums, de la résine de pins à la fleur de jasmin. Quelques étoiles, pour lesquelles on ne croit plus, j’hume ces 3 heures du mat’, le meilleur instant de la journée, de cette vie, à peine recroquevillé pour garder une once de chaleur en moi. Un bouquin sur les genoux, qui sent plus le sapin que le jasmin. Je me trouve dans cette forêt aux milles senteurs, qui chatoient mon âme nocturne. C’est une putain de rencontre, peut-être la plus belle plume de cette année. J’ai été émerveillé par la poésie de l’auteur.

En une nuit, j’ai visité « le camp des autres ». J’y suis resté plusieurs nuits, tant je me suis senti à mon aise, longtemps j’ai observé, jusqu’à ce que le temps s’estompe dans ma mémoire. Le jour est apparu, le soleil est venu. La nuit est réapparue, pas la lune. Je fais avec, désormais. Tristement, je sens ces herbes sauvages qui s’envolent des pages comme les volutes d’une cigarette laissée à l’abandon dans un cendrier à la terrasse d’un café. Je n’ai jamais autant senti dans un bouquin, cette ode aux parfums de la nature. Respire. Inspire. Fraîcheur d’hiver, senteur de la forêt. Une petite fumée sort de mon corps chaque fois que je respire, ce souffle qui s’échappe c’est un peu de mon âme qui s’enfuit. Et pendant ce temps, un petit enfant erre dans cette forêt. Et moi, en sauvage que je suis, je le poursuis, les pages se tournent comme les feuilles qui s’envolent. La brume entoure la brume. Elle devient intense, comme le plaisir que j’ai à lire cet étonnant bouquin, dans le genre jamais lu jusqu’à présent. A la limite, je me fous de Gaspard, probablement mon coté peu sociable qui ressort même dans mes lectures, mais je respire ces sensations olfactives parce que ce putain de bouquin est rempli d’odeurs et d’émotions.

jeudi 19 décembre 2019

Born on the Bayou


Le ciel devint noir, le silence impose sa loi. Seules les grenouilles continuent à jacasser leurs dernières soirées dans un marais infesté d’alligators. Les vents s’engouffrent entre les branches nues des arbres déracinés. Une pluie furieuse se déchaîne et s’enchaîne dans un rythme endiablé, Doug Cosmo Clifford à la batterie, une même furie. Une pancarte s’envole « La Nouvelle-Orléans par les Bayous ». Born on the bayou. John Fogerty chante dans ma tête, même dans les sombres vies, la musique reste mon salut. La terre est abandonnée à la sauvagerie de la nature. Je ne croise personne, à part quelques vieux et quelques nègres, abandonnés à leur sort. Et le vain espoir que le gouvernement leur portera secours. Ou la lucidité de n’être rien à leurs yeux. Juste des poussières de vie noyées dans ce torrent de boue qui se déverse dans les rues, abandonnées de toutes âmes, une ville fantômes sans ses musiciens ni mêmes ses putains.

« Moi, Josephine Linc. Steelson, négresse depuis presque cent ans, j’ai ouvert la fenêtre ce matin, à l’heure où les autres dorment encore, j’ai humé l’air et j’ai dit : « Ça sent la chienne. » Dieu sait que j’en ai vu des petites et des vicieuses, mais celle-là, j’ai dit, elle dépasse toutes les autres, c’est une sacrée garce qui vient et les bayous vont bientôt se mettre à clapoter comme des flaques d’eau à l’approche du train. »

Cela fait longtemps que les romans de Laurent Gaudé m’attendent. Je le sentais bien ce type. Sa plume incisive, son rythme sans relâche, son immersion dans les bayous, dans la Louisiane, dans l’ouragan même. Les alligators hachent leurs proies, un prêtre au hachoir qui se perd, un enfant perdu qui se noie, une vieille négresse à la peau fripée qui survit, la fierté dans son regard, la bonté dans son cœur. Ce roman, on pourrait en faire une chanson, comme un ouragan qui passait sur moi l’amour a tout emporté… Emportées les vies, sauf celles des nègres, restés.  

vendredi 13 décembre 2019

La Vie en Bleu


Ma première approche, très caricaturale, remonte aux années 89-90, la rencontre avec Raymond Babbit. Ray compte les cartes, « pouvoir » très intéressant sur une table de blackjack, et ça, Tom Cruise a bien perçu le potentiel de son nouveau frangin. Rain Man, le syndrome du savant, à l’époque associé à cette époque-là au syndrome d’Asperger. Une minuscule facette de cette « vie » qui a eu au moins le mérite d’évoquer au grand public la notion d’autisme.

Daniel Tammet a ce même profil, capable de te citer les plusieurs milliers de décimales qui composent le nombre pi. Moi, je n’en connais que 5, je sais c’est minable. Mais avant tout, dans ce bouquin, il montre sa vie, ses difficultés, surtout pour son entourage, et ses joies, ses amours. En fait, il vit avec ce syndrome comme une personne lambda, comme toi comme moi, il voit simplement les choses de façon différente, une association de couleur, des mots bleus, de la chaleur ou des idées qui s’associent. Très intéressante, cette perception du monde, pour comprendre comment son cerveau fonctionne.

lundi 9 décembre 2019

La Poussière, la Bécane, le Cuir et la Sueur

« Nous avions à peine vingt ans et nous rêvions juste de liberté. » Voilà, au mot près, la seule phrase que j'ai été foutu de prononcer devant le juge, quand ça a été mon tour de parler.

Une poussière se soulève de l'asphalte brûlant, la poussière de ma bécane, la poussière de ma vie. Le moteur vrombit au milieu d'un silence qui s'épanche comme sur les plaines d'un cimetière. Une lune, bleue, illumine la voie, celle qui me mènera au bonheur complet, à la liberté, celle de vivre, celle d'aimer. Aimer la vie, aimer le sourire de cette serveuse venue rouler son cul avec ma pinte de bière. Je craque toujours pour un sourire, ma braguette, elle craque pour son cul. Je me retrouve dans un coin de la salle, dans la pénombre des vies tristes, là où la poussière est plus abondante, là où je ne risque pas de gêner ces gens heureux qui roulent des mécaniques, qui roulent sur des machines rutilantes ou sur des femmes ruisselantes en écoutant Led Zep.

Quand j'ai fini ma bière, pis mon whisky, j'enfourche ma bécane bichonnée et je roule seul, au milieu de la poussière, avec j'imagine, un sentiment de liberté. Même pas envie de fonder un club, la solitude est ce qui me va le mieux, même en bécane, surtout. Alors un club avec écusson et règles, je sais pas, j'ai pas eu le temps de mater tous les épisodes de Sons of Anarchy. Je poursuis donc mon chemin, la voie tracée sur le bitume brûlant. Quelques gars derrière moi. La vie de bohème en somme, le cuir usé et poussiéreux, les santiags usées et poussiéreuse, ma vie trop longue et encore plus poussiéreuse.

jeudi 5 décembre 2019

Chroniques Ferroviaires


J’arrive sur le quai de la gare, essoufflé, tout en sueur de désir et du grand amour qui m’attend probablement de l’autre côté de la voie, à l’autre bout de la ligne du train bleu. Le soleil commence à se lever. Personne sur le quai. A croire que les cheminots sont en grève. Juste une femme, sublime avec son prénom à l’odeur de poussière et d’atmosphère, Arlette. Brune et grande, le genre à porter du Simone Pérèle taille 100 bonnet D, l’espoir dans son sourire. Elle me raconte autour d’un café brûlant sorti d’un thermos sa vie sa passion pour les trains, et surtout ces petites gares qui égrainent le passage dans une certaine France, loin des grandes agglomérations où les gens s’agglutinent sur les quais. Là, je respire le silence en même temps que cet air frais qui brûle un peu les poumons et ce parfum de jasmin qui s’évapore de son corps.

Arlette navigue de trains en trains, de gares en gares, de bars PMU en bars PMU. Elle les connait tous, les fréquentent tous à une haute fréquence, carte grand voyageur à la recherche de son Juju. Elle me raconte ses souvenirs, ses anecdotes, ses rencontres. Elle me parle de ce numéro de téléphone graffité sur la porte des toilettes avec son message alléchant « Gros Zob au 06 11 36 xx xx ». Bien sûr, elle a appelé. Elle me parle longuement de René-Georges, ce type secrètement amoureux d’elle, grande gueule et chemise ouverte, odeur de sueur et de naphtaline, représentant de la France profonde et de l’anisette.   

mardi 3 décembre 2019

Anisette Corsée


Le soleil irise de son feu le ciel de Corse ou de Rome, je m’égare dans ma géographie, d’autant plus que la gare n’est plus qu’un souvenir. Tous ce que je sais c’est qu’on s’y enfile encore quelques pastagas sous le soleil exactement, ou lorsque la lune fait son apparition. Tout en bout de comptoir, ma place fétiche, le regard qui se porte sur les serveuses, jeunes et généreuses, qui tournent autour des tables, un plateau à la main, des verres de pastis, des pintes de bière, les seins charitables qui ne demandent qu’à être pris en main, je profite de ce spectacle seul dans mon coin, histoire de philosopher sur ma vie. Ou sur la chute de Rome, bien que là, je crois que je risque de m’y perdre, autant faire ce que je sais faire, me contenter de boire mon pastis devant un bon bouquin, aux phrases longues et presque interminables – contrairement au contenant de mon verre - que j’apprécie particulièrement. En plus, la plume se met au service d’un bar… Ce n’est pas Saint Augustin qui va m’empêcher de reluquer les seins des saintes serveuses si vertueuses qu’elles me caressent l’âme sensible, les sévices de mon imagination.  

« - Vous êtes une bande d’ivrognes et une bande d’enculés,
Et les suivait dans le bar. Marie-Angèle, derrière le comptoir, refaisait les gestes qu’elle connaissait si bien et qu’elle aurait tant voulu oublier, s’affairant avec aisance entre les verres et les bacs à glaçons, notant mentalement, dans l’ordre et sans la moindre erreur, les commandes de tournées lancés à un rythme infernal par des voix tonitruantes et de moins en moins assurées, elle écoutait les conversations décousues, les mêmes histoires racontées cent fois avec leurs variantes et leur invraisemblables hyperboles, la manière dont Virgile Ordioni n’oubliait jamais de découper dans les entrailles fumantes du sanglier mort de fines lamelles de foie qu’il mangeait comme ça toutes chaudes et crues, avec une placidité d’homme préhistorique, malgré les cris de dégoûts auxquels il répondait en évoquant la mémoire de son pauvre père qui lui avait toujours enseigné qu’il n’y avait rien de meilleur pour la santé, et le bar retentissait maintenant des mêmes cris de dégoût, des poings serrés tapant sur le zinc du comptoir éclaboussé de pastis, et il y avait encore des rires et on disait que Virgile était un animal mais un sacré bon tireur et, tout seul dans un coin, Vincent Leandri fixait son verre avec des yeux remplis de désespoir. »