jeudi 30 avril 2020

Un Hôtel de Classe Internationale

L'heure du petit déjeuner, chocolat brûlant, pour ces premières heures de vacances. Maman, a laissé le journal à côté de mon bol, page des petites annonces. J'ai quelques poils qui poussent sur le menton, le signe que j'attendais pour trouver un job d'été. Pas encore dix-huit ans, et pourtant une sacrée manne de connaissances, le gars, le grand Maximo (sic) Seigner. Il faut dire que pendant que ses petits camarades découpent des photos de lingeries dans les catalogues maternelles de vente par correspondance, lui le grand Maximo, abonné depuis des années à la revue « Ici et Maintenant », découpe, classe, fait des fiches sur tous les articles à teneur hautement scientifique, la chaîne du Carbone n'a plus de secret pour lui ni le rôle des mitochondries dans la respiration cellulaire. Et si tu es du genre à penser que mitochondrie est une insulte, abonne-toi de suite aux revues « Connaissance » et « Ici et maintenant », voir à « Sciences et Vie Junior » pour les moins téméraires.

« Quand elle haussa épaule et bras, sa robe mouillée souligna les volumes de sa poitrine. C'était une robe d'été couleur crème, qui lui mouillait la taille, les hanches et le buste, et qui n'était vraiment pas conçue pour être portée mouillée, car le tissu paraissait maintenant collé à son corps, comme fraîchement peint sur la peau. Il me sembla que c'était une robe très moulante pour une femme mariée qui sort seule le soir, et je me demandai un instant si cette rivière alcoolisée que son haleine et sa conduite trahissaient avait été ingérée seule ou accompagnée, et par qui. »

dimanche 26 avril 2020

Quarantaine

« L’agent sanitaire a maintenant introduit le thermomètre dans son oreille droite. Un bip retentit, telle une alarme. T-K est aussitôt pris d’une violente quinte de toux. L’inspecteur s’écarte précipitamment.
Les contrôles sanitaires ont été mis en place pour contrer une épidémie. Une maladie contagieuse a franchi les frontières du pays où elle s’était déclarée et se propage comme une traînée de poudre à travers le monde. Mais personne n’a encore pu identifier avec certitude les vecteurs de contamination. Un médicament est à l’étude, et les États, par peur d’en manquer, s’arrachent tous les vaccins disponibles. Heureusement, le taux de mortalité de cette maladie n’est pas très élevé. T-K, qui s’est fié aux déclarations répétées des journaux télévisés de son pays, a cru qu’il suffirait de respecter une hygiène personnelle rigoureuse pour se garder à l’abri de ce virus hautement transmissible. »


J'arrive à l'aéroport, l'esprit encore vaseux de la cuite de la veille. L'embarquement comateux, je regarde quand même l'hôtesse de l'air, genre #jenesuispasunvirus et jambes à la coréenne. Un putain de mal de crâne. Le whisky ou ce rhume que j'ai choppé et qui s'attache à moi comme des morpions avides de mon sang ambré. Le débarquement ressemble au début d'un cauchemar, inspection sanitaire et thermomètre dans le cul, c'est bien meilleur. Fièvre matinale, mal dans sa peau, le cœur qui s'emballe. Ces gars en combinaison d'astronaute, même si j'ai toujours rêvé de devenir cosmonaute, me foutent un peu les jetons. La communication entre nous est difficile, de par leur masque, de par ma compréhension de la langue. Pas la peine de chercher un taxi, on m'emmène direct à mon nouveau lieu de résidence, un hôpital bien gardé. Mais, bon, je ne devais pas être assez atteint, la libération suit son court, je sors dehors, à l'air libre, un nuage m'enveloppe, une fumée blanche que les institutions sanitaires vaporisent à partir de camion citerne naviguant de rues en ruelles. J'entre dans l'immeuble, un appartement à l'étage loué par ma société, le gardien a le masque de circonstance, je me sens perdu dans ce pays inconnu. Et c'est à ce moment-là, je le sens, que je bascule dans un autre monde. Personne ne semble prévenu de mon arrivée, j'essaie de joindre l'autre bout de la planète, malgré le décalage horaire, c'est que je crois que j'ai oublié en partant mon clébard dans mon appartement, la vieille grincheuse du dessus doit être encore en train de pester contre les aboiements intempestifs du chien de mon ex-femme. Une voix me répond, le chien baigne dans une mare de sang avec mon ex-femme. Je savais que cette fois-ci j'avais « un peu » trop bu...

mercredi 22 avril 2020

Rue du Bon-Augure, Wuhan.


« Des étrangers venus de toutes les provinces débarquent à Wuhan le week-end en avion. Le jour, ils restent enfermés dans leur chambre d’hôtel et, la nuit, ils vont manger rue du Bon-Augure, bien décidés à passer une bonne soirée. Mais la rue du Bon-Augure n'est plus seulement un marché de nuit où l'on vient grignoter. Pour vingt yuans, on peut manger à s'en faire éclater la panse. Le styles des plats n'égalent pas celui des grands restaurants. Ce ne sont que des petits plats comme à la maison, aussi banals que la fille d'à côté. Quand on vient dépenser son argent dans la rue du Bon-Augure, c'est pour autre chose, et cette autre chose, chacun la choisit à sa guise. Quoi que l'on vienne y chercher, quoi que l'on ait en tête, tout le charme réside dans cet "à sa guise". La rue du Bon-Augure est un fantasme, une sensation, c'est un port flottant sans entraves, c'est une grande liberté, une grande libération, un grand fatras, un grand chaos, une longue nuit où l'on peut rêver les yeux grands ouverts. C'est le show de la vie que tout le monde joue sans s'être concerté. »

Dans la rue du Bon-Augure, sous la lune bleue et le bleu étoilé des cieux, il est de bon augure d’aller déguster les cous de canard de la célèbre Célébrité, la grande spécialité de Wuhan dans ce marché nocturne et bouillonnant d’un peuple ivre et bruyant qui vagabonde entre les étals et les marmites de pangolins bouillis. Célébrité dort le jour, travaille la nuit, ne va pas la réveiller avant 15 heures, sinon, de mauvais poils, elle te rabrouera vers ta charrette. C’est pourtant ce que fit son grand frère, venu profiter de la bienveillance de sa sœur, le sourire de son neveu devant la porte. C’est que si les hommes apparaissent souvent comme des piliers de comptoir, Célébrité est le pilier de cette famille. Elle a le caractère fort mais ne peut rien refuser à son neveu, comme s’il était devenu son propre fils… Après tout, c’est elle qui lui a donné le sein, et le sein dans la pensée chinoise est culturel. Ainsi autour de Célébrité, gravitent les membres de la paresse, de l’avidité ou de la luxure, ses frères et sœurs et belles-sœurs, chacun ayant à ses yeux ses propres tares…

dimanche 19 avril 2020

Leticia Anyways

« Demain, tu me tireras deux balles dans la tête, à bout portant et ça me tuera. Tu auras mal pris mon amour, j'imagine.
Tu peux prendre ce qui suit comme le journal de mon amour pour toi. Ou l'objet de ta haine pour moi. A ta guise. Tu es libre.
Moi, je suis mort(e). Je ne suis qu'un(e) amoureux(euse) résolument mort(e).
»

Je suis dans la cafétéria du collège E.O. Green Junior High School à Oxnard, en Californie ; and the sky is grey. A la différence que ça sacre comme un québecois élevé au sirop d'érable. Larry King, seul à sa table, la Saint Valentin approche. Des cœurs dessinés sur les murs, sur les vitres, la fête s'annonce rose, un parfum d'insouciance flotte entre les odeurs de sueur de l'équipe de basket venue s'assoir à la table voisine. Larry en pince grave pour Brandon. Un amour qui ne se mesure plus, inconditionnel, une évidence bercée sous la lune bleue. Une histoire d'amour, à sens unique.   

mercredi 15 avril 2020

L'Océan des Mots


« - Tu sais pourquoi nous avons l'intention d'appeler ce dictionnaire La Grande Traversée ? 
[...]
- Cet ouvrage sera un bateau pour traverser l'océan des mots, annonça Araki avec le sentiment de dévoiler le fondement de son âme. Les hommes monteront dans cette embarcation qui leur permettra de rassembler les petits points de lumière qu'ils distingueront au loin. Pour transmettre aux autres ce qu'ils pensent le plus précisément, le plus correctement possible. Sans dictionnaire, nous ne pourrons nous lancer sur cette mer des mots qui nous serait incompréhensible.  »

Voilà donc un drôle de livre, un livre qui trame la genèse d'un autre livre. Et pas n'importe quel livre : un DICTIONNAIRE. Non, non, n’aie  pas peur... Ce gros truc souvent austère, qui pèse autant qu'une haltère quand on est gamin, à la couverture souvent déchirée, qui se passe de père en fils, et traverse quelques générations avant de finir sa triste vie dans le rôle ô combien pratique de caleur d'armoire lorsque le pied de celle-ci est cassé. 

« On peut dire d'un dictionnaire que c'est une cristallisation de la sagesse humaine, non seulement parce qu'il accumule les mots, mais surtout parce qu'il incarne l'espoir au sens propre du terme, l'expression de la volonté inébranlable de ses auteurs.  »

vendredi 10 avril 2020

Histoires pour une Dernière Bière

Un café, une bière, un whisky, une photographie de Wim Wenders sur la couverture m’accompagnent. Le ciel est bleu, le soleil se couche dans ce lointain horizon, quelques flaques d’eau renvoient ses derniers rayons. Une station-service qui semble déserte, à croire que le monde est en confinement. Un dinner qui sent la tarte à la cerise sortie du four. Des histoires pour une dernière bière. C’est toujours un plaisir de retrouver la plume simple, d’un autre temps, celle d’un Raymond Carver. En neuf histoires et un poème. Il décortique la vie, le couple, les histoires derrière une fenêtre ou une porte, celles qu’on se racontent autour d’un verre ou de deux, celles qu’on s’imagine lorsqu’on est allongé sur le dos et que sa femme appose ses lèvres sur ton sexe vieillissant. Dans ces histoires, j’y retrouve mon compte, un pauvre type qui se trouve vieillissant, un couple se confrontant à l’hospitalisation de son fils, une serveuse esseulée, un type qui veut boire une bière, un autre type qui veut boire une autre bière, un troisième type qui veut boire une énième bière. Tiens, j’ai envie de boire une bière également.    

« Quand l’orchestre s’interrompit à nouveau, Ralph chercha les toilettes des yeux. Il distingua des portes qui semblaient animées d’un mouvement perpétuel à l’autre extrémité du bar et il mit le cap sur elles. Il titubait un peu. Il était ivre à présent, il le savait. Une des portes était surmontée d’un bois de cerf monté sur écusson. Un homme la poussa, entra ; un second la retint, sortit. Ralph entra à son tour et se joignit à la file qui s’était formé devant l’urinoir. Tandis qu’il attendait, il se mit à fixer d’un œil hypnotisé les deux cuisses écartées et la vulve ouverte maladroitement dessinées sur le mur au-dessus d’un distributeur de peignes en plastique. Sous le dessin, on avait griffonné : BOUFFE-MOI, et plus bas encore une autre main avait inscrit : Betty M. bouffe les minettes, RA 52275. La file avança et Ralph suivit le mouvement, le cœur serré à la pensée de cette Betty. Il accéda enfin à l’urinoir et se soulagea. Le jet lui fit l’effet d’un éclair jaillissant. Il soupira, se pencha en avant et appuya son front sur la paroi. Oh ! Betty, songeait-il. Sa vie avait changé, il s’en rendait bien compte. Du fond de son ivresse, il se demanda s’il existait d’autres hommes qui, en se penchant sur un incident isolé de leur vie, étaient capables d’y déceler les prémices d’une catastrophe qui bouleverserait par la suite le cours de leur destinée. Un moment encore, il resta dans cette posture puis il abaissa son regard et s’aperçut qu’il s’était pissé sur les doigts. »

mardi 7 avril 2020

la Lune et le Froid


La Lune

La lune est de sortie.
J’ai vu la grande chose toute simple
Quand je suis allé pisser un coup.
J’aurais dû la regarder plus longtemps.
Je suis un piètre amoureux de la lune.
Je la vois d’un seul coup et c’est fini
Entre moi et la lune.

Il y a des silences qui font partie de ma vie. Ceux de Leonard en sont de ceux-là. Passionnément. Entre deux notes de musique, un peu blues, blue note, un peu rock & folk, beaucoup d’âme, je l’écoute religieusement. Entre deux disques et un recueil de poèmes, il est d’ailleurs souvent question de religion, de son expérience de moine zen Rinzaï, méditant à l’ombre d’un pin de Californie. Il parle de son maître zen, de son Di-u, de ses femmes. Ses textes contiennent les épices de sa vie et de chez Schwartz's, l’amour comme la tristesse et des tas d’autres trucs que j’ai pas franchement compris en tant que misérable bison.

Et puis les pages défilant jusqu’au deux tiers de ce livre, Leo amène une note au lecteur chinois. Bon, je suis pas chinois, heureusement parce que côté bière, côté rhum, c’est un tantinet pauvre, et puis y’a surtout trop de monde là-bas - je pourrais même pas bouffer mes nouilles sautées dans le silence qui se doit -, mais j’ai lu attentivement cette sorte de recommandation qu’il aurait dû placer plus tôt dans son bouquin, le gars avec son chapeau…

jeudi 2 avril 2020

Rangée 7, Place A

« - Votre mission, docteur Krüger, si vous voulez sauver la vie de Nele, consiste à activer la bombe psychique qui se trouve à bord.  »

Musique. 
Genre générique de film, genre mission impossible, genre Lalo Schiffrin. 
C'est pour l'ambiance. 
Un esprit confinement, c'est pour le côté anxiogène. 
Enfermé dans un avion, vol long courrier Lufthansa, Buenos Aires - Berlin. Une jolie hôtesse de l'air, grande et blonde, m'accueille. les seins généreux, le tailleur bien lissé, genre allemande. 
Rangée 7, place A. 
A l'avant de l'appareil. 
Envie d'une blonde allemande, genre Paulaner, me propose-t-elle, avant de m'enfoncer dans mon siège, l'esprit peu serein à traverser l'Atlantique, les pieds en l'air, la tête dans les nuages.  

« - Il y a deux sortes d'erreur. Celles qui te pourrissent la vie. Et celles qui y mettent fin.  »

A son bord, plus de six-cent passagers. 
Une confiance aveugle dans un pilote, ou dans une carlingue de métal. 
Difficile de dire la folie des hommes à poursuivre le rêve d'Icare. 
La vie peut dépendre de si peu de chose, comme par exemple d'un psychiatre reconnu dans ce même avion. 
Un coup de téléphone, profitez-en, la liaison est offerte par la compagnie. 
Un inconnu au bout du fil. 
Un cri dans la nuit... Ou dans l'immensité du ciel. 
A vouloir tutoyer les anges... 
A s'en brûler les ailes...