mercredi 29 juillet 2020

Une Rivière de Sang et de Poussière


Balade bucolique en Virginie. C’est avec une sensation d’émerveillement que je traîne les sabots ce jour dans cet état. La nature se pare de tons, d’ombres et de lumières. Vert, ocre, noir, forêt sombre, sentier lumineux. Je vois un vieil homme, un bras inerte, une âme meurtrie. Il soulève la poussière d’un chemin piétiné quelques années auparavant par des milliers d’hommes. Il appelle son chien, compagnon de route depuis des années. Le crane en vrac, coup de massue, laissé pour mort, il reprend difficilement ses esprits, après l’attaque sauvage qu’il vient de subir. Ce coup qui a failli lui être fatal – son chien kidnappé – le replonge dans les souvenirs de guerre, trente ans plus tôt. C’est son dernier voyage, sa dernière pérégrination, usé par la vie et par le sang de ses souvenirs.  
 
« Dans le champ, les lignes de l'Union s'incurvaient et pliaient, des sections s'en détachaient et se précipitaient dans le vert profond des bois que la fumée assombrissait toujours plus. La Wilderness était remplie de cris, de hurlements et d’épouvantables éclats de mitraille. Dans le champ, l'herbe jaune était tondue par le métal brûlant qui sortait des armes à feu de part et d'autre. De petits groupes d'hommes ayant atteint les fortifications des Rebelles s'y battaient à coups de poing et de crosse. Quelques zouaves en uniformes voyants avec leurs taches de rouge et de bleu, décorés de jaune et aux guêtres maculées de boue, changèrent de direction pour les rejoindre et furent fauchés comme s'ils avaient été balayés par un vent aussi tranchant qu'un rasoir. Les couleurs vives de leurs corps se détachaient sur l'herbe. D'autres arrivèrent. Quelqu'un donna l'ordre, la section d'Abel et David se leva des fortifications, se mit à pousser des hurlements et chargea dans le champ à découvert. Derrière eux, dans la Wilderness, des lambeaux de fumée pendaient aux branches comme une étrange mousse...

... et si vous aviez été là pour voir cela, pour l'entendre, le toucher, le goûter et le sentir, c'eût été quelque chose. Oui, vraiment c'eût été une expérience d'être là ce jour-là. A cette heure-là. C'était la fin de quelque chose - ils le sentaient tous. Et le commencement de quelque chose d'autre. [...] Le champ de Saunders était un chaudron en ébullition, les arbres sombres qui le bordaient se balançaient et se heurtaient comme sous un grand vent, comme si quelque créature proprement monstrueuse rôdait entre les troncs tandis que des milliers de balles déchiquetaient leurs branches, tandis que les boulets de canon les démembraient. Dans de grands gémissements, leurs racines s'arrachaient du sol marécageux. Des colonnes de fumée s'élevaient, formant de grosses volutes sombres et le soleil s'éteignit. Des hommes tombaient dans le champ, des hommes tombaient sur les remblais rebelles, des hommes tombaient sur la Vieille Route de Pierres où une section d'artillerie de l'Union tirait dans les arbres et dans le dos de ses propres soldats. L'air lui-même était brûlé, et on entendait un rugissement incessant, comme celui d'une chaudière chargée jusqu'à la gueule et chauffée à blanc. Des éclaboussures rouges sur l'herbe, des taches rouges sur la route. »

jeudi 23 juillet 2020

Le Sommet des Dieux


Je le vois descendre de la montagne, le regard vidé de sens, vidé de vie. Un montagnard solitaire, berger à ses heures perdues, qui recherche aux sommets de ses alpages la quiétude, le bien-être, cette sensation de tutoyer les dieux. Dieu, il en sera question, Elohim, tout là-haut, comme une rencontre divine qu’un vent a ramené jusqu’à ma conscience.  

« Le dernier pas de la montée lui faisait toucher l’extrémité où s’arrête la terre et où commence le ciel. Un sommet atteint est un bord de frontière entre le fini et l’immense. Là, il arrivait à la distance maximale de son point de départ. Un sommet n’est pas une ligne d’arrivée, c’est un barrage. Là, il faisait l’expérience du vertige qui, en lui, n’était pas un appel du vide vers le bas, mais se pencher sur le vide du haut. Là, sur le sommet, il percevait la divinité qui s’approchait. Là-haut, il s’enveloppait de vent. Un sommet sans choc de masses d’air sur soi est effrayant. Car l’immense retient son souffle. »

Là-haut, l’alpiniste y trouve ce vent teinté d’un profond silence, propice à la réflexion. Là-haut, où qu’il soit, sur le sommet alpin qui se dresse devant sa minuscule personne, il ferme les yeux, se retrouve au Mont Sinaï, et entends des voix, les paroles divines, le décalogue murmuré par le vent.

lundi 20 juillet 2020

Les Escales de Nad' et du Bison : Corée du Sud

Lieu : Corée du Sud
Lever du soleil : 5h26  | Coucher du soleil : 19h50
Décalage horaire : + 7h
Météo : 23° ressentie 27°. Ciel couvert, pluie faible.
Coordonnée GPS : 37° 33' 57.6" Nord, 126° 58' 42.2" Est
Musique : C. Schumann, Three Romances for violin and piano, Op. 22, Clara-Jumi Kang & Yeol Eum Son
Un Verre au Comptoir : Winter is Coming N°2




« Les flocons se dispersent au hasard.
Dans le vide noir que la lumière des réverbères ne traverse pas.
Sur les arbres noirs et silencieux.
Sur les cheveux des passants à la tête baissée.
»

jeudi 16 juillet 2020

Portraits Chinois

Histoires et curiosités. Avec une pointe d'humour, de cynisme et d'ironie, je pars à la découverte des petits travers - non pas de porc à la sauce caramélisée, bien que ça me fasse sacrément envie - mais des simples gens qui gravitent autour de Lao Ma. L'auteur décrit ici ses pauvres compatriotes à sa sauce, plutôt aigre-douce. Des portraits chinois légèrement acides.

Dans le genre flash fictions, deux ou trois pages, la situation prête souvent à sourire. Rire jaune, sans tomber dans le racisme asiatique. Car si le sourire est présent, il est fortement imbibé parfois d'alcool de riz mais souvent de sarcasme et de mépris. Et c'est toute la Chine populaire qui passe dans les mailles de ces historiettes peu glorieuses. 

A picorer de temps en temps, peut-être, histoire d'ébaucher un vague sourire de temps en temps, plutôt que de suivre la tristesse et la bassesse de ce monde au quotidien... Grandeur et décadence. 

mardi 7 juillet 2020

Bien au-delà des Mots

Je commence par la saveur d'une bière fraîche, une blonde de 33 cl. 979 pages plus loin et quelques capsules, je me retrouve dans la poussière des vaincus. Même pas eu peur, j'ai fait fi du nombre de pages, passionné par l'histoire de ces deux frères jumeaux à Three Rivers, dans le Connecticut, Dominick et Thomas Birdsey. 

Et pourtant, la première scène est frappante. Thomas, aux tendances schizophréniques, se tranche la main dans la bibliothèque municipale. Guidé par Dieu, persécuté depuis tous temps par la CIA et les communistes, la voix divine lui a donné sens à son sacrifice, sa manière de protester contre l'absurdité de cette guerre du Golfe orchestré par Bush père. 

« Toute ma vie, mon frère a été comme une ancre qui me tire vers le fond. Même avant sa maladie. Avant de péter les plombs devant... Comme une ancre. Il me laisse tout juste assez de longueur de corde pour rester à la surface. Pour respirer. »

Et pendant que Thomas se voit interné de force dans un asile psychiatrique plus proche d'une prison que d'un centre de soin, Dominick se démène avec son passé, ses origines, son père... Il a ce besoin de comprendre ses racines, peut-être pour sa rédemption, une façon à lui d'apaiser la culpabilité qui le ronge depuis tant d'années. Triste, sombre, intérieurement colérique, il s'en veut, en veut à tout le monde, son "père", son grand-père, sa mère surtout qui lui a toujours refusé la vérité sur son vrai père, et qui lui a fait promettre à la veille de sa mort de toujours veiller sur son frère. Mission échouée.

mercredi 1 juillet 2020

Poussière Rouge

« Le soleil est haut maintenant. Aux abords des calanques la mer est d'un turquoise à vous rayer la rétine. Les roches ont quitté leurs teintes pastel pour revêtir un orange intense. Genre tenue de gala. Jour de fête. Grosse soirée en perspective... »

Le corps à terre, meurtri de coups et de douleur, la gueule dans la poussière. Le sang coule, sombre et visqueux. Il s'écoule tel un ruisseau assoiffé dans les sillons des roches rouges. Une poussière rouge.

Tu prends un whisky, tu as à peine l'âge et tu attends déjà la maturité de la vie. Pourtant tu vis encore chez tes parents, un poster de Kurt Cobain au-dessus du lit. Tu as laissé tomber les études, tu t'es fait virer de ton job de mécano, tu passes tes journées à fixer le plafond, allongé sur ton pieu. Tu passes tes nuits à imaginer ce plafond. La musique s'enchaîne, se déchaîne, la chaîne s'échauffe, chauffe la musique, en toi. Par moment ou par ennui, tu prends même les disques de ta mère, Cabrel et compagnie. Une fissure qui s’agrandit et se lézarde. Ton esprit ne voit pas au-delà de ce fossé creusé dans le plafond, par lequel tu voudrais t'échapper. Mais tu restes là, incapable d'aller plus loin dans cette vie poussiéreuse. Tu as merdé sur toute la ligne. Ton karma. Et tu penses à elle. Leila, ou tout autre prénom en a. Tu l'as rencontré un peu par hasard, un peu sans prévoir, des discussions anodines, belle comme une ondine. A parler musique avec elle, tu as trouvé le grand amour, celui qui restera unique.