mercredi 31 mai 2023

Comme une ardente patience


« Et ce fut à cet âge… La poésie
Vint me chercher. Je ne sais pas, je ne sais d’où
Elle surgit, de l’hiver ou du fleuve.
Je ne sais ni comment ni quand,
Non, ce n’étaient pas des voix, ce n’étaient pas
Des mots, ni le silence :
D’une rue elle me hélait,
Des branches de la nuit, soudain parmi les autres,
Parmi des feux violents
Ou dans le retour solitaire,
Sans visage elle était là
Et me touchait.
… »

Un 31 mai, je me tiens silencieux, le regard perdu dans les rêves sur ce quai de gare. Prochain train vers le Sud, la pampa. Le sourire verdoyant de ses « collines ». Prêt à m’embarquer vers de profondes aventures, comme une ardente patience. Il est 7 heures du mat, des odeurs de café noir chatouillant mon esprit. Des hommes se précipitent dans les wagons, entassement de bêtes dociles. Un brouhaha amplifié par les charpentes métalliques de la gare. Épris d’un ardent désir, je suis prêt à m’embarquer vers cette nouvelle vie, ce buisson ardent, avec en son cœur le silence, l’amour et la poésie. Je regarde mon téléphone portable, attendant patiemment un message pour me donner le signal d’embarquer vers ce monde nouveau. En attendant, je feuillette un bouquin, des poèmes de Pablo Neruda écrits sur l’île Noire, les mémoires de Pablo, qui me ramène forcément à une ardente patience d’un autre chilien Antonio Skarmeta.
 

dimanche 28 mai 2023

Les Escales de Nad' et du Bison : Brésil

Lieu : Favela Berimbau, Rio de Janeiro
Lever du soleil : 6h24  | Coucher du soleil : 17h15
Décalage horaire : -5h
Météo : 29° Ressentie 33°. Beau temps, peu nuageux.
Coordonnée GPS : 22° 54' 24.648" S / 43° 10' 22.427" W
Musique : Highway to Hell, AC/DC
Un Verre au Comptoir : la Bière du Démon




Un hélicoptère de la police tourne dans le ciel. Flack Flack. Le bruit des pâles qui brassent l'air chaud et étouffant de cette fin d'après-midi. Schlack Schlack. Des bruits, des rumeurs, une descente de police au soleil tombé. La butte est encerclée. Les premiers tirs commencent, fusils AR-15 et HK-47, comme à un concert de hard-rock, explosions de grenades, comme à un concert de funk. Mais ici, favela Berimbau, Rio de Janeiro, c'est la samba qui coule son rythme sur une terre de poussière et de linges colorés séchant au vent. Une fumée épaisse. Puis le silence au petit matin. Les débris d'un hélicoptère. Du sang séché mêlé à la poussière. La vie reprend. Les policiers ont été refoulés à l'extérieur de la favela. Boum. Les tambours rejouent la joie de vivre, l'insouciance pour oublier la peur ou la misère. Boum. On compte les morts dans chacun des camps. Mais la butte reste là, fidèle à son point de vue. Les guetteurs reprennent du service. Le regard porté sur le vent. Attendant la prochaine livraison. De drogue. D'armes. Des larmes. Boum. Une musique défile dans l'étroitesse des ruelles. Le carnaval toute l'année...

jeudi 25 mai 2023

Une histoire d'oyseau et de saule, de bière et de jazz


Haruki Murakami est un formidable conteur. Il distille une ambiance comme d'autres distilleraient un bon rye à 50°. Du coup, qu'est-ce que je vais bien pouvoir te conter sur ces contes à la sauce Murakami. Pour être honnête avec toi, j'aime bien l’honnêteté, est-ce que ça vaut le coup d'ailleurs que j'essaie de mettre des phrases, sans âme, d'un homme, moi en l’occurrence, regardant une femme endormie sous des saules aveugles. Les yeux clos, elle garde son sourire, un sourire qui me rend aveugle de son éclat. Et à partir de cette image je pourrais te raconter tout ou n'importe quoi. Une histoire d'amour, une histoire de tristesse, une histoire de bières et de jazz. De toute façon dans ce genre d'histoire, il suffit d'une lune, couleur bleue et tout se lie.
 
« Et puis, soudain, je disparus. 
Peut-être était-ce la faute de la lune. Ou bien la faute de cette musique dans la nuit. »
 
Donc par où commencer. Par le début me semble logique. Alors je sors la bouteille du frigo, la caresse de mes mains, pour sentir sa fraîcheur. En quelques secondes, elle devient humide, perle de sueur le long de son corps de verre. Envie de lécher la moindre goutte, mais je réserve ma patience pour d'autre embruns. Je la décapsule ainsi et la verse aussitôt dans un verre à pied aux formes harmonieusement arrondies. Et là, je respire, cette sensation de fraîcheur, cette fragrance légèrement herbacée. Les yeux clos, je m'imagine dans une autre vie, pleine d'espoir, de beauté et d'odeur de jasmin ou de spaghettis, ici ou dans la baie de Hanalei. Je choisis un disque au hasard en me parlant à moi-même comme si je lisais un poème.  

lundi 22 mai 2023

Et une larme coule sur ma joue

Je ne suis pas un héros.
J'ai été un père de marde.
Je suis un père de marde.
Voilà donc toute l'histoire de ce bouquin, celle d'une vie, celle d'un père alcoolique.

Toute ressemblance avec un semblant d'héros serait donc fortuite. Alors qu'il se sait mourant, le foie qui lâche, l'histoire de quelques mois, ce père, ce héros, alcoolique depuis des années, essaie de renouer le contact avec sa fille Gabrielle qu'il a laissé depuis deux décennies. C'est donc une histoire de rédemption et de pardon. Yvan qui vit en coloc avec Miche, amante plus par solitude, et un chat recueilli par défaut. Gabrielle -
tu brûles mon esprit, ton amour étrangle ma vie et l'enfer -, qui semble malgré tout accorder tant d'amour à ce père si longtemps absent.  

"- T'es pas aussi méchant que t'aimerais qu'on le croie. Si t'étais un vrai cynique, tu pleurerais pas devant Downton Abbey..."

En fait, une question se pose : qu'est-ce qu'un héros à tes yeux ? Attention, je ne te parle pas d'un type en cape et collants. Non, là, je te cause d'un vrai héros. Le genre ordinaire, un pauvre type qui peut s'émouvoir d'un vol de lagopèdes à queue blanche, sentir le frémissement de ses majeurs sous le souffle du blizzard, regarder en silence la migration des bernaches à l'approche de l'hiver canadien, en s'enfilant quelques frettes dans le frette québécois... Ou est-ce juste un père alcoolique sous le regard de sa fille...

samedi 13 mai 2023

Le Vent de Tchoukotka

"L'existence a plusieurs faces. Peut-être vivons-nous bien aujourd'hui, mais qui peut savoir comment vivrons nos descendants !"
 
Là-bas, très loin, au delà des étendues de glace et des envolées de blizzard, aux confins du monde blanc, au plus éloignée de la Sibérie, la Tchoukotka, sujet fédéral de la grande Russie, au bord de la mer de Béring. Autant dire que si loin de tout, il n'y a même plus de vodka dans les tentes. 
 
Il va s'en dire aussi qu'il ne vaut mieux pas être frileux pour s'aventurer là-bas. -30°. Sauf si tu y est né. Et là, né pauvre, tu vis dans une tente jour et nuit, pratiquement nu, avec seulement quelques "peaux de phoque" comme habit primaire. Même les tenues vestimentaires tu les partages entre frères, chacun sort à son tour, si ce n'est que tu connais mal la fratrie, parce que de ton œil observateur de l'autre côté de la banquise, tu ne les vois jamais ensemble. La pauvreté à l'extrême. 

lundi 8 mai 2023

L'Eider Cancaneur


Attablé au bar du Gros Temps, j'ai commandé une salade de homard en guise de dîner. La serveuse, une fille qui n'a vu de ses yeux gris que l'horizon proposé du rivage de Terre-Neuve, m’amène ma bière, bien fraîche. Les portes claquent, les volets cognent, la lumière s'affaiblit par instant, une énième tempête. Je n'ose même pas proposé mon regard à la vitre, je sais que je n'y verrais rien. Que de la brume sur cette terre abandonné où autrefois vécurent des vikings et des inuits. Une brume de lait. Alors autant regarder le fond de mon verre, et ainsi ne plus penser à la vie. Putain de blizzard qui se lève aux aurores et qui semble jamais ne se fatiguer sur cette lande entre terre et mer. Dans le temps, les voyageurs pouvaient s'émerveiller de voir une baleine au loin, un soupir de désespoir ou d'exaspération qui s'élève de l'océan, ou un phoque allongé sur un morceau de glace qui dérive lentement, le long de l'horizon, une virgule noire sur un banc blanc. Je feuillette le journal local, L'Eider Cancaneur, savourant ainsi ces cancans éloignés.
 
"Finalement le bout du monde, sauvage, posé au bord de l'abîme. Aucune trace humaine, rien, ni navire, ni avion, ni animal, ni oiseau, pas un flotteur de casier bouchonnant sur l'eau, pas une bouée. L'impression d'être seul sur la planète. L'immensité du ciel se rua vers lui et instinctivement il leva les mains pour s'en protéger. Des déferlantes diaphanes, murailles vert sombre de dix mètres de haut, venaient s'écraser sur la roche, répandant un lac bouillonnant de lait crémeux. Même à trente mètres au-dessus de la mer, le sel des embruns lui piquait les yeux et perlait son visage et son blouson de fines gouttelettes."

jeudi 4 mai 2023

Saúde ! São Paulo


Cette ville pousse à boire, ma première réflexion, ou celle d'un auteur connaissant parfaitement ce coin-là, São Paulo. La plus grande ville de l'Amérique du Sud, de hauts buildings, richesse d'une économie florissante, quartier d'affaires et de magouilles. Juste à côté, la favela, immense bidonville où survivent un peuple aux origines diverses. Entre les deux, du trafic, de drogue, de sexe, de dollars. Pour encadrer ce marché florissant, des gouvernements qui se succèdent. Lula, Dilma, Temer, et pour finir Bolsonaro. 2003 - 2018, une grande épopée brésilienne au cœur de São Paulo.  
 
"La voiture s'arrête dans le coin le plus éloigné de cette aire de jeu bétonnée. Ils sont à peu près à la même altitude que le sommet de la colline de la favela. A peut-être un kilomètre et demi à l'est, à vol d'oiseau. Les cratères débutent là où s'arrête la route principale. Briques et poussière. Des néons clignotants de gargotes de restauration rapide. Ils surplombent tout le trafic automobile. Des nuages stagnent, lourds gonflés dans des cieux bleu sombre. A leur place, je ne bougerais pas non plus, se dit Leme. Personne n'a envie de faire grand-chose. Baisser les stores, se branler un coup et piquer un roupillon est à peu près tout ce qu'on peut envisager de faire dans une telle chaleur. L’ambition sous les tropiques." 
 

mardi 2 mai 2023

La Révolution du Danseur de Flamenco


"C'est à Moscou, dansant en pantalon court sur la scène d'un cabaret et buvant du champagne à discrétion, que je vécus les dix fameux jours qui bouleversèrent le monde ; autrement dit la prise du pouvoir par les bolcheviks.
Après la tournée en Ukraine, refroidis par la mine patibulaire des paysans, nous décidâmes de nous réfugier à Moscou. Si la campagne russe était peuplée de brutes capables de tout, il nous semblait impensable qu'une ville civilisée pût devenir le théâtre de grandes atrocités. En septembre et octobre 1917, la gaieté et l'insouciance y régnaient encore. Le gouvernement de Kerenski était extrêmement permissif ; les cabarets et les maisons de jeux avaient fleuri durant l'été. Pendant que l'argent y circulait allègrement, les miséreux attendaient aux portes des boulangeries. Mais les russes sont accoutumés à ce genre de contrastes." 

C'est par le plus grand des hasards, comme seule la vie permet de rencontrer un danseur de flamenco ou le sourire d'une femme, que je me trouve là à errer dans les rues de Montmartre, d'Istanbul ou de Petrograd. A chaque fois, mes pérégrinations suivent le flots de mes fuites. S'échapper, pour éviter la première guerre, de la place du Tertre, se retrouver aux portes de l'Asie en pleine soulèvement turc avant enfin de poser mes chaussures de danseurs de flamenco au pays des soviets. Et là encore, c'était sans compter sur cette grande machine du temps qui compose l'Histoire. Être là au mauvais moment dans le mauvais endroit.