samedi 25 août 2018

Un goût de bois, de sel et de poussière


« Nous longeons des hauts fourneaux, des stations-services et des caravanes alignées sur le bord de la route. »

Avec un goût de poussière dans la bouche, le dos fourbu par cette route interminable et cahotante. Je crache par terre le peu de salive qui me reste en bouche. Ma main, par habitude, plonge dans la glacière mais ressort à nue. J'ai déjà bu la dernière bière il y a bien soixante miles. C'est donc avec un sourire salutaire que je tourne le volant, et m'engouffre dans ce qui ressemble le plus à de la vie, un soupçon de vie dans une poussière balayée par le vent. Ferme la vitre ! on n'arrive plus à respirer.

« Il engage sa vieille voiture dans le parking d'un vaste bâtiment en bois surmonté d'un panneau qui annonce 'The Ranch' en grandes lettres malingres. Le soleil commence tout juste à se coucher, mais l'endroit est aussi illuminé que Las Vegas. Toute une armée de pick-up sales encombre le parking. »


Se frayer un chemin entre les rétroviseurs et les pare-chocs chromés et suivre le brou-haha d'une meute gueularde et assoiffée. Un lieu qui n'a pas de nom, comme un ranch sans nom. Un air abîmé, par le temps, la poussière et le fracs de la vie, j'imagine déjà les âmes qui y règnent. De la peine et de la bière qui coulent à flot sur le comptoir et qui déversent son lot de solitude et de tristesse. Être un cow-boy solitaire a son revers, celui de se retrouver seul à boire sa bière, dans la fraîcheur d'une pénombre en coin, ou dans un coin d'une moiteur extrême.
  

vendredi 17 août 2018

Miles, Milos, Paco ou Pepe…


Aïta et Ama coule des jours paisibles avec leurs trois enfants entre Irun et Aranjuez. Des promenades main dans la main dans les jardins de la ville, senteurs d’orangeraies qui distillent un parfum d’amour et de soleil dans cette vie-là. Mais si je suis ici, ce n’est pas pour te conter l’amour et le bonheur. Enfin presque, l’amour, il y sera toujours question mais le bonheur s’éclipsera devant la montée d’un homme, Franco et ses troupes qui avancent dangereusement pour des activistes républicains. La famille est contrainte à l’exil.

L’exil vers un nouveau pays. Tenter de se reconstruire et de maintenir unie cette famille. De l’autre côté des Pays basques, la vie n’est plus ce qu’elle était, mais au moins la famille est libre. Elle a un toit, même si la chaumière occupée est étroite, puante, sans eau ni électricité. Mais ils sont libres. Libres et ensemble. Mais en France, les heures sombres viennent aussi se mêler à cette vie de pauvreté. Les allemands jouent les tortionnaires psychologiques. Alors dans ces conditions, difficile de se sentir bien chez soi, ne restent que des « rêves oubliés » d’une vie d’avant, entre Irun et Aranjuez.

« Ama, je n’ai pas de mots, je ne porte en moi que du silence. Et pourtant ce silence, loin d’être vide, est plein de vie, plein de toi. Je le sens se mouvoir comme une force lente, constante, comme une masse ardente. Tes mains diaphanes l’ont sculpté pour lui donner tes traits. Je n’ai qu’à fermer les yeux, et tu es là, en moi, à portée de cœur.
Enlacée.
Comme j’aimerais te décrire ces silences qui sont les miens, leurs approches furtives de toi, à l’affut d’une caresse. Comme ils se faufilent dans mon souffle pour soulever, sur ta nuque, les mèches de cheveux qui s’échappent de ton chignon. Y déposer un baiser.
Ama, tu as chassé de mon âme tout ce qui devait l’être pour n’y laisser que l’essentiel de l’émerveillement et de l’amour.
Chacun de tes sourires abandonne, à son insu, une bribe de toi en moi. Ces bribes sont devenues un jardin fou, une forêt où chaque arbre porte un souvenir de nous. Je m’y promène à ma guise, toujours ébloui par ces instants passés ensemble et par l’espérance de ce qui nous reste à vivre.
Ama, perdons-nous encore. »

vendredi 10 août 2018

Ces yeux bleus qui pleurent sous la pluie

T’es pas un loser, p’tit. En fait, j’ai l’impression que si. C’est comme ça, mec. La loose, je la sens en moi, j’la ressens même. L’archétype du pauvre type. Si tu savais comme ce qualificatif me colle à la peau. La vie dans une putain de vie, une vie qui bascule en vadrouille dans le Nevada. Une nuit d’hiver à Reno, nuit froide nuit d’ivresse, l’esprit se bouscule à l’intérieur et puis un bruit, un choc, laisser le cycliste au bord de la route. Prendre la route dans une vieille Dodge, modèle 74, le vieux Tom Waits qui braille dans les haut-parleurs de la caisse et prendre la fuite.

Je l’ai senti de suite que cette nuit allait mal finir. Dès que le pigeon s’est écrasé contre ma fenêtre, la brisant et laissant entrer le froid s’engouffrer sous la couette. Jerry Lee et Frank, deux frangins qui fuient leur destin et leur propre vie. De motel en motel. Fucking Life.

« On est des mecs foireux, Frank. C'est pour ça qu'on rencontrera toujours des gens qui sont foireux. Et moi, ça, je peux le comprendre. Mais ça n'en fait pas pour autant de mauvaises personnes, t'es pas d'accord ? Si t'as jamais eu de chance, ça veut pas dire que tu en auras jamais, pas vrai ? Y a des gens malchanceux, eh ben, ils finissent par avoir de la chance. Tout le monde peut pas être maudit, enfin, je crois pas, Et puis, tu as besoin de quelqu'un. S'il y a un gars sur terre qui a besoin de quelqu'un, c'est bien toi. Tu es le mec le plus seul que je connaisse. Tout le monde le dit. »

dimanche 5 août 2018

Macadam Story

La chaleur écrase sa lourdeur sur les corps gisant à même le macadam. Des orages éclatent, trombes d’eau qui fracassent ces mêmes corps. Un froid glacial mord l’inertie de ces êtres vivants ou à demi-mort. Les saisons s’enchaînent, se défilent, avancent, sans retour arrière. Inexorablement, le temps marque l’empreinte de ces milliers de personnes habitués des recoins de rue. En cette journée d’été, je descends en sous-sol respirer l’air nauséabond d’un métro, ligne 13 quais puants, mon livre de poche en poche.

Une jeune fille, peut-être trop intelligente pour son âge, s’adapte à sa vie de collégienne tant bien que mal, restant dans son coin à observer ses camarades, à demi cachée derrière le vieux chêne. Un silence au milieu du brouhaha d’une cour de collège. Avant la sonnerie fatidique Lou se promenait encore du côté de la gare d’Austerlitz, promener son regard sur les autres. Et croiser la mine crasseuse et intrigante de No, Nolwenn. Refermée sur elle-même, à peine plus âgée qu’elle… Et pourtant… une ado dans la rue semble vieillir beaucoup plus vite… No, une sacrée « affaire ».

« Je vois sa lèvre trembler, ça dure à peine une seconde, elle baisse les yeux, je prie dans ma tête de toutes mes forces pour qu’elle ne pleure pas, même si je ne crois pas tous les jours en Dieu, parce que si elle se met à pleurer je m’y mets aussi, et quand je commence ça peut durer des heures, c’est comme un barrage qui cède sous la pression de l’eau, un déluge, une catastrophe naturelle, et pleurer de toute façon ça ne sert à rien. »


vendredi 3 août 2018

It's Raining Again

Si en France, on a des parapluies, même à Cherbourg, en Chine, ils ont des cirés noirs à capuche. C’est moins coloré, cela donne un visuel très uniforme, voir monotone, tout dans la sobriété et la tristesse. Univers sombre mais la pluie perpétuelle qui ne cesse de tomber pendant au moins 1h50 du film (sur 1h57, oui le générique est sobre et sans pluie) apporte une note de mélancolie. La pluie me rend d’ailleurs mélancolique ou agit de telle sur mon esprit fracassé par ces incessantes grosses gouttes d’eau – de quoi même noyer mon verre de saké.  

Après ces quelques considérations purement poético-météorologiques, un cadavre de femme est retrouvé dénudée dans le champ voisinant l’usine locale de fonderie. Puis un second… Les pluies diluviennes lavent les indices, et l’enquête avance aussi lentement qu’un escargot venu prendre son bain de boue, et la quête de Yu…

J’aime la monotonie de l’univers, savoir que tous les jours la pluie s’abat sur toi, à sentir le bison mouillé. J’aime les films qui prennent leur temps pour nous imposer une atmosphère lourde et nous questionner sur le fondement de l’humanité (Pourquoi c’est mouillé ? Ben, parce qu’il pleut).

mercredi 1 août 2018

Le Jardin des Jujubiers

Alléché par l’odeur du Kimchi, je déambule dans les ruelles, étroites et sombres. Sombre et parfumée, cette nuit éclairée par la brillance d’une lune teintée de bleu, je m’engouffre derrière le rideau d’une devanture au nom si poétique : « Le Jardin des Jujubiers ». Plat du jour : soupe de poulet aux jujubes. Une spécialité locale, comme les poils pubiens que l’on retrouve collés sur les baguettes. Après m’être réchauffé le corps, j’ai envie de réchauffer mon âme. La serveuse me propose de la rejoindre dans les petits pavillons d’à-côté. Je sens, je sais, que mon âme va jouir de cette nouvelle intimité. Bienvenue au Jardin des Jujubiers.

Yi-seol Kim, auteure que je découvre avec ce roman mais dont je connaissais déjà le nom puisque toutes les Corréennes s’appellent Kim, peint avec cynisme et crudité la place de la femme dans la société coréenne. Etre une femme et une prostituée semble être une évidence dans l’univers très masculin de la Corée du Sud, et la réalité de ces femmes reste bien sombre pour leur avenir.  

« De nos jours, ne pas avoir de maîtresse pour un homme, c’est un handicap de sixième degré. Ça te dirait d’être la mienne ? »