jeudi 27 juin 2019

Ce parfum de Smoked Meat

J’ai envie de dire « Sacré Panofsky ». Un bon vivant, traversant des décennies de sa misérable vie, un verre de Macallan à la main et un Montecristo dans l’autre. Les volutes de ces plaisirs divins parfument ses amours entre Paris et Québec. Et il m’est arrivé de sourire à cette putain de vie, à ses trois femmes et aux élucubrations de ce vieux débris juif. Ecrivain ou presque, producteur de daube télévisuelle également, le voilà accusé d’avoir tué un homme, son ami il y a bien des années, le voilà à se défendre contre la vindicte populaire, à l’aube de son trépas, fin de carrière, fin de vie. Les idées en place se mélangent dans sa tête, avec les trous de mémoires qui s’engouffrent dans sa tête, il est temps de les accoucher sur le parchemin de sa vie, au coin d’une cheminée, cabane en bois et senteur de sirop d’érable. 

Trois femmes qu’il a profondément aimées, à part peut-être la deuxième madame Panofsky, un amour éphémère qui a duré jusqu’à ce qu’il croise le regard de la future madame numéro 3 le jour de ses noces. Barney Panofsky, avec tout son humour et sa sénilité, se livre et me livre ses fantasmes, remontant jusqu’à la belle paire de joes de son institutrice qui a longtemps parfumé ses érections nocturnes de sa fragrance animale et tâché les draps de son innocence éjaculatoire. Et comme toute littérature pure laine, il est question, une évidence, de hockey sur glace, même et surtout lors de ce mariage avec l’acariâtre numéro 2, je ne comprends pas pourquoi elle l’a mal pris…

mardi 18 juin 2019

Poussière d’Argentine


Jujuy,
Janvier 1977.


« L’ombre sent le jasmin. Mais ce n’est pas l’ombre, et ce n’est pas seulement le parfum du jasmin. Il y a une odeur qui lui parvient, fumeuse et âpre, qui ne se mêle pas à l’odeur du jasmin, mais qui l’accompagne, la poursuit, la rattrape, elles vont de pair, se séparent, se rejoignent. Ferroni sait que c’est l’odeur des serpentins pour faire fuir les moustiques. Il voit la spirale avec son œil de lumière, accrochée au support de laiton, il voit la fumée s’étirer paresseusement vers le haut et il comprend que ce n’est pas l’ombre qui sent la fumée, mais bien la nuit, rien que la nuit, la nuit brute et dense de son enfance. »

Il ne rêvait que de ses prochaines vacances au bord de l‘océan, loin de la cohue de Buenos Aires. Les jours approchent, la brise marine, l’air frais. Et puis son chef qui lui demande, ordonne, d’aller au Nord, dans les terres, pour interroger Matilde, dictature oblige. Ferroni est un « interrogateur » hors-pair. Son point de départ, des lettres de correspondance entre Matilde et Maria.


Jujuy. Le Nord, c’est une chaleur étouffante et de la poussière. L’enfer pour ses mocassins cirés. La sueur lui coule dans les yeux, dans le cou, une sueur collante que même un mouchoir blanc n’en vient à bout. Il s’engouffre dans ce bar, commande une bière, regarde ses chaussures, attend sa bière en silence…

mardi 11 juin 2019

Dans la Peau d’un Privé

Un soir de pluie, j’erre sur le trottoir, blues du soir.
Fines et froides les gouttes ruissellent le long des rives de mon chapeau, les lampadaires éclairent ma sombre face, étrangeté d’une nuit sans lune.
Pas un chat, ni même la chatte d’une pute, l’obscurité des lieux leur fait peur.
A moins que ce soit le silence qui y règne, celui de ma vie qui empiète dans ces ruelles tristes.
Un reflet dans le caniveau m’absorbe, j’ai envie de m’y engouffrer comme dans une bouche d’égout, pour ne plus en ressortir, dégouts.
Je poursuis mon chemin, l’air d’un chien mouillé, peut-être même l’odeur aussi. J’allume un vieux mégot de cigare, parfum mâle.
Le regard perdu, empli d’un je-ne-sais-quoi peut-être est-ce du vide, de l’amour ou de la tristesse, je recherche le bleu de la lune, le cœur bleui par des bleus à l’âme.
Je me sens dans la peau d’un privé, je lisse ma moustache en V. Mon dernier contrat, même pas payé, l’archétype du privé loser à la recherche de sa lune.
Ce que j’aime dans la vie d’un privé, plus que les coups reçus dans la gueule, des gnons qui font mal, c’est la fiole de whisky dans la poche de mon imper, la bouteille dans le tiroir de mon bureau. Ma raison d’être, misérable être qui erre dans la nuit.

vendredi 7 juin 2019

La Ragazza et le Violoncelle

Nuit. Je m’adosse au mur, demi-allongé sur mon lit, un bouquin ouvert. La lune s’est invitée à travers la fenêtre de ma chambre. Elle brille d’une étincelante lueur, elle devient bleue. Une musique se glisse sous la couette, intense et émotionnelle, elle caresse ma peau nue qui frissonne dès les premières notes. Corps sensible toujours prêt à tendre son attention dès qu’une musique joue du va-et-vient avec l’intimité de son être. Un verre de Chianti et c’est Mozart qui joue l’Italie. Un verre de Grimbergen et c’est mon âme qui respire dans la pénombre de cette pièce bercée par la sonorité érotique du violoncelle.

Je l’imagine, elle, brune et parfumée, venue enrober de ses longues jambes à peine caramélisées, l’instrument de sa jouissance, son violoncelle. Dès la première rencontre, le premier regard, elle m’a ému, elle m’a pénétré de son âme entière jouée dans sa musique. Et puis le silence se fait. Je l’écoute encore plus. Troublant, ce silence avant qu’une note reprenne vie à travers la fine cloison de nos vies séparées. Silence.

« Au soleil couchant, le son du violoncelle est monté derrière la cloison. Les ombres s’allongeaient démesurément. La lune s’est levée. La nuit est tombée par la fenêtre. Et lorsque tout s’est tu, il est resté en moi l’écho d’un chant, le frisson d’une caresse, le rêve d’un baiser. »

samedi 1 juin 2019

La Mort du Bison

« Arrivés sur la crête, nous découvrîmes, au nord, une immense prairie, aussi différente des terres que nous venions de traverser que la verte Irlande peut l'être du Sahara. Couchés dans les hautes herbes grasses, plus de cinq cents bisons ruminaient paisiblement. Ils ne prirent conscience de notre présence que lorsque les hordes de cavaliers se précipitèrent sur eux du haut de tous les sommets environnants. 
A la vue du troupeau, les Indiens s'étaient mis à pousser des hululements stridents. Des coups de feu claquèrent. Aussitôt les bisons se relevèrent et s'enfuirent dans un tonnerre assourdissant qui fit trembler le sol. »

A vivre cette grande épopée de l'ouest sauvage. Chevauchant des collines de poussières et d'herbes folles, entraîné par la folie des hommes et la promesse de richesse symbolisée par fourrures et peaux, sauvé sa peau d'une horde de sauvages, des indiens et des blancs, une vie sans loi. 1820, quittant le Missouri de St-Louis, une nouvelle compagnie de chasse et de trappes. Juste deux trois années, le temps d'accumuler des peaux et un pécule pour fonder sa famille avec cette sublime brune au regard de braise. Mais la vie de trappeur n'est pas aussi idyllique que cela peut paraître, dormir à la belle étoile, s'enfiler quelques godets de whisky de contrebande, bouffé un steak d'ours... Bref, j'en ai rêvé, comme ces rêves de gosses, j'en suis revenu, la tête KO par ces bisons morts, et l'odeur de cette viande en putréfaction.

« Au fond de la vallée paissait une seconde harde, aussi important que celle que nous chassions, piégée elle aussi à l'intérieur des collines. Nous l'apercevions de loin qui cheminait dans notre direction, taches mouvantes piquetant la verdure.
Les deux troupeaux se dirigeaient l'un vers l'autre. Ils n'étaient maintenant séparés que d'une centaine de yards, puis cinquante, puis trente... Ils se percutèrent dans un fracas de sabots, de sourds mugissements, de beuglement aigus, s'éparpillant tous azimuts, tournoyant sur eux-mêmes, soulevant des trombes de poussière. »