vendredi 31 décembre 2021

en Musique ou en Silence


« Il posa son archet sur les cordes. Une minute recueillie, calme, sereine, profonde, d’une clarté transparente, s’éleva lentement dans le silence presque religieux que rien ne troublait, que personne n’osait rompre. »

 
Tokyo, 1938, j’écoute un quatuor à cordes sino-japonais où il est question de tempo. Schubert a noté « Allegro ma non troppo ». Il faut savoir donc prendre son temps. Pour lire, pour écouter, pour comprendre, en musique comme en amour. Alors, je ferme les yeux et je me laisse envahir par la musique, des soldats japonais envahissent le salon de répétition, un petit garçon se cache dans l’armoire, les violons sont brisés, les musiciens embarqués.

« Le morceau avait duré à peine trois minutes. Trois minutes pendant lesquelles les notes de musique s’égrenaient comme une enfilade de gouttes d’eau argentées sur une feuille de bambou après une forte averse. Lorsque l’archet se détacha des cordes, la dernière note fut suivie d’un long silence. »
 

samedi 25 décembre 2021

Tombe La Neige


Je vois ce fils qui rêve d'acheter un rapace en cage, dans la boutique de l'antiquaire, rue de Brescia. Je vois ce père qui se meurt au fond de son lit et qui garde ses derniers instants à écouter les histoires inventées de son fils sur la capture de l'oiseau façonnant ainsi la légende du milan. Je vois ces vieux et ces vieilles de l'hospice, là où le fils travaille dans le but de se payer le dit-oiseau, en les promenant certains après-midi, après de longues séances presque silencieuses de café noir auprès du gardien.
J'avais les yeux ouverts dans l'obscurité, et j'ai commencé à voir passer les poussières blanches de la fatigue. La chambre a ressemblé à une grande nuit étoilée.
Et là, à l'instant même où la chambre venait de prendre l'apparence de cette grande nuit étoilée, tout a vacillé soudain, tout s'est penché, il m'a semblé que je basculais du fauteuil. J'ai tendu les mains pour rattraper la laisse qui se déroulait au-dessus de la route, et pendant un moment j'ai eu l'impression de la serrer contre moi, précieusement. J'ai continué de basculer, et lorsque j'ai senti que mes mains ne tenaient pas la laisse, mais les accoudoirs du fauteuil, je me suis mis à gémir. À gémir de plus en plus fort, jusqu'à ce que soudain la chambre s'éclaire, et tandis que je me retournais vers le lit, haletant et démuni, mon père, redressé sur le côté et tenant le bouton de la lampe dans une main, a tendu l'autre vers moi. 
Et puis Tombe la neige / Tout est blanc de désespoir / Triste certitude / Le froid et l'absence / Cet odieux silence / Blanche solitude. Une neige, lourde et blanche, pesante et immaculée, tapisse les collines, embellit les rues. L'antiquaire pellette la neige devant son magasin, les vieux n'ont plus très envie de ces promenades hivernales. Le fils se demande si son père ne va pas mourir avant qu'il trouve l'argent pour acheter le milan, il se demande si l'oiseau ne va pas mourir de froid dans sa cage avant qu'il puisse l'acheter et le ramener dans la chaleur de la chambre de son père toujours alité. Et puis des chatons meurent, des pensionnaires meurent, des vieux chiens meurent...
 

mercredi 22 décembre 2021

Trois soleils et de la Poussière de Diamants

Tu l'entends ? Tu l'entends ?
Bien sûr que tu l'entends, le murmure. Le murmure assourdissant et permanent comme un bruit parasite à l'intérieur...*

De la neige et du silence, je m’enfonce dans le vide blanc. Pas une parole, juste des regards lourds de sens, des hurlements de loups, des frottements de neige, le sifflement du blizzard. A errer sur la piste, à se brûler par le froid et la solitude, la folie me guette. Jusqu’où ma survie ira, dans cette étendue d’une blancheur immaculée. Tout est blanc, sauf ces tâches de sang qui coule coule de ma tempe de mon cœur. La neige devient rouge, rouge sombre, presque noire, comme l’âme humaine dans cette lointaine contrée perdue aux confins des terres, là où la neige recouvre toute la poussière de ma vie. 

Tu nous entends le Blizzard? Tu nous entends?
Si tu nous entends, va te faire enculer.*

Le regard porté au loin, les pensées posées au fond d’un verre de vodka, je vois plusieurs soleils, ce que les Indiens appelleraient certainement des Sun Dogs dans leur langage si imagé. Phénomène qui m’interpelle : réalité scientifique ou fond de ma bouteille d’eau-de-feu-ou-de-vie ? Etrange, étrange… 

Si tu nous entends souviens toi que t'es pas tout seul. Jamais
On est tellement nombreux à être un peu bancals un peu bizarres
Et dans nos têtes il y a un blizzard
Comme les mystiques losers au grand cœur.*  

dimanche 19 décembre 2021

Veiller Tard


1984. C. a treize ans. B. en a douze. X. Y. Z. peu importe, les noms, les initiales, elles ont entre douze et quatorze ans et se voient offrir leurs rêves. Des rêves d'excellence, par la danse, par l'équitation, par le chant. Elles ont été choisies, des élues, par une anonyme Fondation. Une bourse en échange... de services ?
 
Cléo ne vit que par la danse, pour la danse. Elle rêve, elle sue, elle s’abîme, elle s'use. Une rencontre, un projet, la recherche de la "maturité" et la vie prête à Chavirer. Elle est la numéro 0.1, le début d'une sombre histoire de la société où beaucoup savaient, peu de voix s'élevaient.

"L'obscurité se faisait dans la salle, ils l'accueillaient avec des chuchotements ravis, elle dissoudrait soucis, dettes et solitudes. Chaque soir, lorsque Cléo entrait sur scène, la chaleur poussiéreuse des projecteurs la surprenait jusqu'au creux des reins.
Les danseuses surgissaient, parcourues d'un fil de grâce et de cambrure, les bras ouverts, légèrement arrondis, elles redéfinissaient l'horizon, une ligne endiamantée de sourires identiques et laqués, un ensemble de jambes ordonnées, une exubérance froufroutante et pailletée.
A la sortie du théâtre, les spectateurs les croisaient sans les reconnaître, des jeunes filles pâlottes et fatiguées aux cheveux ternis de laque."

mercredi 15 décembre 2021

Poussière Blanche

Le brouillard, le blizzard. Il fait froid. Pourtant, je ressens une chaleur intense, brûlante même sur le front. Du blanc, dans le noir. Comme une brume en plein milieu de la nuit. Antoine s’est fait renverser. Depuis quelques jours, il erre dans le coma. Personne ne sait où est Antoine, son esprit, son âme ? Cette blancheur, cette lumière faut-il s’y enfoncer ou la suivre ? Au chevet de son lit, des êtres, des parents, des amis, tous se relayent. Pourquoi ? Est-ce que la conscience continue de percevoir, de ressentir, dans cet état-là ? La nuit est blanche…

Beaucoup de questions, donc… Avant cet accident et ce chauffard qui s’est enfui, ce sont des histoires d’adolescences, des amitiés, fortes, des amours, cachés, des études, esseulées. Après cet accident, on s’interroge, on se découvre, on pleure. La tristesse se ressent, et le coma intrigue autant qu’il inquiète. Plusieurs voix s’élèvent de la brume, de cette étendue de neige venue tapissée, choralité de la douleur, pour nous conter la bienveillance des sentiments humains.

« J'ai traversé le pont et j'ai marché à travers les bois en direction de l'étang. Arrivée là, je me suis assise sur un banc et j'ai sorti un roman. Depuis la rentrée il faisait doux. Ca sentait la fin de l'été mais on était bien dehors. Je me suis demandé ce que je ferais de mes pauses déjeuner quand il se mettrait à pleuvoir et à cailler. J'irais peut-être à la bibliothèque. En réfléchissant à ça je me suis rendu compte que je me projetais toute l'année comme si rien n'allait changer. Comme si j'étais condamnée à rester seule dans cette fac. Comme si tout allait demeurer pour toujours dans cet état transitoire. Antoine dans les limbes, entre la vie et la mort. Mon sixième étage et sa galerie de dingues. La fac et ce sentiment de solitude qui ne me quittait pas. Je me suis sentie tellement triste soudain. Des larmes ont commencé à couler sur mes joues.
- Ca va pas ?

dimanche 12 décembre 2021

Au Temps des Gentlemen

Peu à peu toutes les lumières s'éteignirent. Le grand silence de la nuit enveloppa le château.

Il s'appelle Jean Balthazar, héros d'un autre temps, playboys de charme avec son joujou extra qui peut faire Crac Boum Hu quand il se redresse la nuit étoilée. 
Elle s'appelle Marie Noël, comtesse d'une nuit, seule sur son lit à baldaquin. 
Elle guette, un pli du rideau, une ombre qui traverse, le regard obnubilé sur la nuit, noire. 
Une broche, une perle, noire. A se demander si aux premiers rayons du jour, elle retrouvera autant ses esprits que ses bijoux. Elle tient aux bijoux de famille, peut-être même plus qu'à ceux du comte.

Il aime les filles, de chez Castel, de chez Régine, qu'on voit dans Elle, celles qui roulent en Renault comme en Citroën. Il en rêve chaque nuit, comme des sourires à sa vie, dans sa cellule froide et humide, le regard sur le mur orné de graffitis. Un cachot, se serait-il fait arrêté ? On dit de lui que c'est le plus grand, le plus charmant, le plus élégant, avec ses gants ou bien sans gants, l'Arsène, sacré personnage. Lupin de son vrai nom, à moins que là-aussi ça soit un pseudo.
 

mardi 7 décembre 2021

La Forêt des Trois-Frontières


 A l’orée de la forêt des Trois-Frontières, je respire ses parfums, je l’observe longuement de la terrasse, de cette pension reculée où je me repose une choppe de bière à la main. Loin du brouhaha de la oktoberfest, j’apprécie son calme, ses légendes, ses couleurs. Dans un lieu proche de la fantasmagorie, un roman d’Hermann Hesse en poche ou dans la tête, je m’y enfonce avec l’envie, presque obsessionnelle de découvrir le mystère des Trois Frontières, envoûté par le visible et l’invisible. 

« J'étais seul sous de grands arbres, et m'assis. Des hêtres sans fin (ceux-là atteignaient les quarante, cinquante mètres de haut, ou plus encore ? Rarement j'en avais vu d'aussi grands) me regardaient ; de là-haut, du dernier étage de leur feuillage, une nuit boréale, une de ces nuits de juin bleu pétrole gouttait. Par de petites trouées tombaient des bris de clarté lunaire. Les troncs tanguaient dans le vent, crissant comme les mâts d'un vieux brick. Et parce que le balancement des branches était très lent, on aurait dit qu'un chef d'orchestre, là-haut, dirigeait un mouvement funèbre. »

Le pack de bières dans le sac-à-dos, je m’engouffre au cœur de ces trois frontières, presque imaginaires au fin fond de l’Allemagne. Chaque matin quittant mon sanatorium de luxure ou de solitude, je divague dans la poésie de ces lieux. A la recherche de… la vie… l’arbre… la femme… le sourire d’une vie. Et chaque jour je m’enfonce un peu plus, une musique intérieure qui m’attire comme un concert à Köln au tréfonds de la forêt ou de mon âme.

mercredi 1 décembre 2021

L'Aube des Tartares


Zarza déambule dans la nuit froide, décline les rues désertes fuyant la peur sentant la sueur. Une lune, d'un bleu étrange, surgit au détour d'une ruelle, éclaire le caniveau, une eau suinte lentement, désespérément. Vingt quatre heures plus tôt, le téléphone a sonné, réveil douloureux pour Zarza, réminiscence de troubles souvenirs. "Je t'ai retrouvée", dit une voix à l'autre bout de la ligne. J'ai connu des réveils plus chaleureux. On s'échappe peut-être de sa famille, jamais de son passé.
 
« La ville entière commençait à se couvrir d'une sinistre patine de verglas qui crissait. Dans ce désert inhospitalier et urbain, entre les feux clignotants, marchaient à toute allure Zarza et son chasseur, comme un oiseau suivi à distance par son ombre. »
 
Depuis ce coup de téléphone, j'erre dans le Territoire des Barbares, un lieu où l'ombre inquiète, le silence fait peur, l'enfance ressurgit des méandres d'une mémoire sombre. Je te laisse découvrir le portrait de famille qui se cache, tapie dans l'ombre du temps. C'est glauque, c'est triste et désespéré. La ruelle se nourrit de vagabonds sales et endormis dans la pisse des caniveaux, de travestis déambulant nus sous leur fausse fourrure, de putes mulâtres imbibées de rhum ou de cognac.