vendredi 31 décembre 2021

en Musique ou en Silence


« Il posa son archet sur les cordes. Une minute recueillie, calme, sereine, profonde, d’une clarté transparente, s’éleva lentement dans le silence presque religieux que rien ne troublait, que personne n’osait rompre. »

 
Tokyo, 1938, j’écoute un quatuor à cordes sino-japonais où il est question de tempo. Schubert a noté « Allegro ma non troppo ». Il faut savoir donc prendre son temps. Pour lire, pour écouter, pour comprendre, en musique comme en amour. Alors, je ferme les yeux et je me laisse envahir par la musique, des soldats japonais envahissent le salon de répétition, un petit garçon se cache dans l’armoire, les violons sont brisés, les musiciens embarqués.

« Le morceau avait duré à peine trois minutes. Trois minutes pendant lesquelles les notes de musique s’égrenaient comme une enfilade de gouttes d’eau argentées sur une feuille de bambou après une forte averse. Lorsque l’archet se détacha des cordes, la dernière note fut suivie d’un long silence. »
 

samedi 25 décembre 2021

Tombe La Neige


Je vois ce fils qui rêve d'acheter un rapace en cage, dans la boutique de l'antiquaire, rue de Brescia. Je vois ce père qui se meurt au fond de son lit et qui garde ses derniers instants à écouter les histoires inventées de son fils sur la capture de l'oiseau façonnant ainsi la légende du milan. Je vois ces vieux et ces vieilles de l'hospice, là où le fils travaille dans le but de se payer le dit-oiseau, en les promenant certains après-midi, après de longues séances presque silencieuses de café noir auprès du gardien.
J'avais les yeux ouverts dans l'obscurité, et j'ai commencé à voir passer les poussières blanches de la fatigue. La chambre a ressemblé à une grande nuit étoilée.
Et là, à l'instant même où la chambre venait de prendre l'apparence de cette grande nuit étoilée, tout a vacillé soudain, tout s'est penché, il m'a semblé que je basculais du fauteuil. J'ai tendu les mains pour rattraper la laisse qui se déroulait au-dessus de la route, et pendant un moment j'ai eu l'impression de la serrer contre moi, précieusement. J'ai continué de basculer, et lorsque j'ai senti que mes mains ne tenaient pas la laisse, mais les accoudoirs du fauteuil, je me suis mis à gémir. À gémir de plus en plus fort, jusqu'à ce que soudain la chambre s'éclaire, et tandis que je me retournais vers le lit, haletant et démuni, mon père, redressé sur le côté et tenant le bouton de la lampe dans une main, a tendu l'autre vers moi. 
Et puis Tombe la neige / Tout est blanc de désespoir / Triste certitude / Le froid et l'absence / Cet odieux silence / Blanche solitude. Une neige, lourde et blanche, pesante et immaculée, tapisse les collines, embellit les rues. L'antiquaire pellette la neige devant son magasin, les vieux n'ont plus très envie de ces promenades hivernales. Le fils se demande si son père ne va pas mourir avant qu'il trouve l'argent pour acheter le milan, il se demande si l'oiseau ne va pas mourir de froid dans sa cage avant qu'il puisse l'acheter et le ramener dans la chaleur de la chambre de son père toujours alité. Et puis des chatons meurent, des pensionnaires meurent, des vieux chiens meurent...
 

mercredi 22 décembre 2021

Trois soleils et de la Poussière de Diamants

Tu l'entends ? Tu l'entends ?
Bien sûr que tu l'entends, le murmure. Le murmure assourdissant et permanent comme un bruit parasite à l'intérieur...*

De la neige et du silence, je m’enfonce dans le vide blanc. Pas une parole, juste des regards lourds de sens, des hurlements de loups, des frottements de neige, le sifflement du blizzard. A errer sur la piste, à se brûler par le froid et la solitude, la folie me guette. Jusqu’où ma survie ira, dans cette étendue d’une blancheur immaculée. Tout est blanc, sauf ces tâches de sang qui coule coule de ma tempe de mon cœur. La neige devient rouge, rouge sombre, presque noire, comme l’âme humaine dans cette lointaine contrée perdue aux confins des terres, là où la neige recouvre toute la poussière de ma vie. 

Tu nous entends le Blizzard? Tu nous entends?
Si tu nous entends, va te faire enculer.*

Le regard porté au loin, les pensées posées au fond d’un verre de vodka, je vois plusieurs soleils, ce que les Indiens appelleraient certainement des Sun Dogs dans leur langage si imagé. Phénomène qui m’interpelle : réalité scientifique ou fond de ma bouteille d’eau-de-feu-ou-de-vie ? Etrange, étrange… 

Si tu nous entends souviens toi que t'es pas tout seul. Jamais
On est tellement nombreux à être un peu bancals un peu bizarres
Et dans nos têtes il y a un blizzard
Comme les mystiques losers au grand cœur.*  

dimanche 19 décembre 2021

Veiller Tard


1984. C. a treize ans. B. en a douze. X. Y. Z. peu importe, les noms, les initiales, elles ont entre douze et quatorze ans et se voient offrir leurs rêves. Des rêves d'excellence, par la danse, par l'équitation, par le chant. Elles ont été choisies, des élues, par une anonyme Fondation. Une bourse en échange... de services ?
 
Cléo ne vit que par la danse, pour la danse. Elle rêve, elle sue, elle s’abîme, elle s'use. Une rencontre, un projet, la recherche de la "maturité" et la vie prête à Chavirer. Elle est la numéro 0.1, le début d'une sombre histoire de la société où beaucoup savaient, peu de voix s'élevaient.

"L'obscurité se faisait dans la salle, ils l'accueillaient avec des chuchotements ravis, elle dissoudrait soucis, dettes et solitudes. Chaque soir, lorsque Cléo entrait sur scène, la chaleur poussiéreuse des projecteurs la surprenait jusqu'au creux des reins.
Les danseuses surgissaient, parcourues d'un fil de grâce et de cambrure, les bras ouverts, légèrement arrondis, elles redéfinissaient l'horizon, une ligne endiamantée de sourires identiques et laqués, un ensemble de jambes ordonnées, une exubérance froufroutante et pailletée.
A la sortie du théâtre, les spectateurs les croisaient sans les reconnaître, des jeunes filles pâlottes et fatiguées aux cheveux ternis de laque."

mercredi 15 décembre 2021

Poussière Blanche

Le brouillard, le blizzard. Il fait froid. Pourtant, je ressens une chaleur intense, brûlante même sur le front. Du blanc, dans le noir. Comme une brume en plein milieu de la nuit. Antoine s’est fait renverser. Depuis quelques jours, il erre dans le coma. Personne ne sait où est Antoine, son esprit, son âme ? Cette blancheur, cette lumière faut-il s’y enfoncer ou la suivre ? Au chevet de son lit, des êtres, des parents, des amis, tous se relayent. Pourquoi ? Est-ce que la conscience continue de percevoir, de ressentir, dans cet état-là ? La nuit est blanche…

Beaucoup de questions, donc… Avant cet accident et ce chauffard qui s’est enfui, ce sont des histoires d’adolescences, des amitiés, fortes, des amours, cachés, des études, esseulées. Après cet accident, on s’interroge, on se découvre, on pleure. La tristesse se ressent, et le coma intrigue autant qu’il inquiète. Plusieurs voix s’élèvent de la brume, de cette étendue de neige venue tapissée, choralité de la douleur, pour nous conter la bienveillance des sentiments humains.

« J'ai traversé le pont et j'ai marché à travers les bois en direction de l'étang. Arrivée là, je me suis assise sur un banc et j'ai sorti un roman. Depuis la rentrée il faisait doux. Ca sentait la fin de l'été mais on était bien dehors. Je me suis demandé ce que je ferais de mes pauses déjeuner quand il se mettrait à pleuvoir et à cailler. J'irais peut-être à la bibliothèque. En réfléchissant à ça je me suis rendu compte que je me projetais toute l'année comme si rien n'allait changer. Comme si j'étais condamnée à rester seule dans cette fac. Comme si tout allait demeurer pour toujours dans cet état transitoire. Antoine dans les limbes, entre la vie et la mort. Mon sixième étage et sa galerie de dingues. La fac et ce sentiment de solitude qui ne me quittait pas. Je me suis sentie tellement triste soudain. Des larmes ont commencé à couler sur mes joues.
- Ca va pas ?

dimanche 12 décembre 2021

Au Temps des Gentlemen

Peu à peu toutes les lumières s'éteignirent. Le grand silence de la nuit enveloppa le château.

Il s'appelle Jean Balthazar, héros d'un autre temps, playboys de charme avec son joujou extra qui peut faire Crac Boum Hu quand il se redresse la nuit étoilée. 
Elle s'appelle Marie Noël, comtesse d'une nuit, seule sur son lit à baldaquin. 
Elle guette, un pli du rideau, une ombre qui traverse, le regard obnubilé sur la nuit, noire. 
Une broche, une perle, noire. A se demander si aux premiers rayons du jour, elle retrouvera autant ses esprits que ses bijoux. Elle tient aux bijoux de famille, peut-être même plus qu'à ceux du comte.

Il aime les filles, de chez Castel, de chez Régine, qu'on voit dans Elle, celles qui roulent en Renault comme en Citroën. Il en rêve chaque nuit, comme des sourires à sa vie, dans sa cellule froide et humide, le regard sur le mur orné de graffitis. Un cachot, se serait-il fait arrêté ? On dit de lui que c'est le plus grand, le plus charmant, le plus élégant, avec ses gants ou bien sans gants, l'Arsène, sacré personnage. Lupin de son vrai nom, à moins que là-aussi ça soit un pseudo.
 

mardi 7 décembre 2021

La Forêt des Trois-Frontières


 A l’orée de la forêt des Trois-Frontières, je respire ses parfums, je l’observe longuement de la terrasse, de cette pension reculée où je me repose une choppe de bière à la main. Loin du brouhaha de la oktoberfest, j’apprécie son calme, ses légendes, ses couleurs. Dans un lieu proche de la fantasmagorie, un roman d’Hermann Hesse en poche ou dans la tête, je m’y enfonce avec l’envie, presque obsessionnelle de découvrir le mystère des Trois Frontières, envoûté par le visible et l’invisible. 

« J'étais seul sous de grands arbres, et m'assis. Des hêtres sans fin (ceux-là atteignaient les quarante, cinquante mètres de haut, ou plus encore ? Rarement j'en avais vu d'aussi grands) me regardaient ; de là-haut, du dernier étage de leur feuillage, une nuit boréale, une de ces nuits de juin bleu pétrole gouttait. Par de petites trouées tombaient des bris de clarté lunaire. Les troncs tanguaient dans le vent, crissant comme les mâts d'un vieux brick. Et parce que le balancement des branches était très lent, on aurait dit qu'un chef d'orchestre, là-haut, dirigeait un mouvement funèbre. »

Le pack de bières dans le sac-à-dos, je m’engouffre au cœur de ces trois frontières, presque imaginaires au fin fond de l’Allemagne. Chaque matin quittant mon sanatorium de luxure ou de solitude, je divague dans la poésie de ces lieux. A la recherche de… la vie… l’arbre… la femme… le sourire d’une vie. Et chaque jour je m’enfonce un peu plus, une musique intérieure qui m’attire comme un concert à Köln au tréfonds de la forêt ou de mon âme.

mercredi 1 décembre 2021

L'Aube des Tartares


Zarza déambule dans la nuit froide, décline les rues désertes fuyant la peur sentant la sueur. Une lune, d'un bleu étrange, surgit au détour d'une ruelle, éclaire le caniveau, une eau suinte lentement, désespérément. Vingt quatre heures plus tôt, le téléphone a sonné, réveil douloureux pour Zarza, réminiscence de troubles souvenirs. "Je t'ai retrouvée", dit une voix à l'autre bout de la ligne. J'ai connu des réveils plus chaleureux. On s'échappe peut-être de sa famille, jamais de son passé.
 
« La ville entière commençait à se couvrir d'une sinistre patine de verglas qui crissait. Dans ce désert inhospitalier et urbain, entre les feux clignotants, marchaient à toute allure Zarza et son chasseur, comme un oiseau suivi à distance par son ombre. »
 
Depuis ce coup de téléphone, j'erre dans le Territoire des Barbares, un lieu où l'ombre inquiète, le silence fait peur, l'enfance ressurgit des méandres d'une mémoire sombre. Je te laisse découvrir le portrait de famille qui se cache, tapie dans l'ombre du temps. C'est glauque, c'est triste et désespéré. La ruelle se nourrit de vagabonds sales et endormis dans la pisse des caniveaux, de travestis déambulant nus sous leur fausse fourrure, de putes mulâtres imbibées de rhum ou de cognac. 

vendredi 26 novembre 2021

Home-Run


Prendre son temps. D’ailleurs, tu es pressé ? Pas moi. J’ai 700 pages et des poussières et quelques bières. Pas que ce dernier élément ait son importance, c’est juste pour la rime et j’en suis pas très fier, même pas de frime. Donc au départ, c’est une question de temps et de courage. Oui, il faut du courage pour assister à un match de base-ball. Tellement lent, tellement long, qu’il en faut du temps, autant que pour lire un roman de John Irving que pour boire quelques bibines.

Parce qu’il va s’en dire, que le John en question, lui il aime aussi prendre son temps. Il faut plusieurs centaines de pages pour planter le décor ou envoyer une balle de base-ball à son receveur. Surtout que là, ce sont les minimes qui jouent. Et pourtant de l’action, il va y en avoir. Imagine la plus belle des mamans, celle que tous les autres papas se retournent pour regarder ses hanches et son cul ! Et son sourire si craquant, ses cheveux au vent, avec ses lunettes de soleil plantées dedans, et pan… La balle lui tombe sur la tête, une vengeance des Dieux peut-être, et re-pan plus de maman. Out. Ou home-run en jargon base-ballistique. 

« Nous ne faisions que jouer, me semble-t-il. Nous avions onze ans l'été où ma mère mourut. C'était notre dernière saison en minimes et nous en avions plus que marre. Je trouve déjà le base-ball ennuyeux ; et la dernière saison en équipe minimes ne sert que de prélude aux interminables périodes de base-ball qui menacent d'innombrables Américains. Pour mon malheur, les Canadiens affectionnent aussi le base-ball, tant comme joueurs que comme spectateurs. C'est un jeu avec de longs moments d'attente, un jeu où l'on espère avec une exaspération grandissante une action d'une exaspérante brièveté. Au moins, dans les équipes minimes, les gosses jouent beaucoup plus vite que les adultes, grâce à Dieu ! Nous ne passions pas notre temps à cracher ou à nous gratter les aisselles ou le pubis, mimiques apparemment essentielles à la bonne marche d'une partie adulte. Mais il faut tout de même attendre entre les lancers, attendre le bon vouloir de l'attrapeur, laisser l'arbitre examiner la balle après chaque coup - et attendre que l'attrapeur trottine jusqu'au monticule pour chuchoter au lanceur ses instructions pour le lancer de la balle, puis attendre que l'entraîneur se traîne sur le terrain afin de supputer avec le lanceur et l'attrapeur les possibilités du prochain lancer...

Ce jour-là, lors du dernier tour de batte, Owen et moi attendions stoïquement que le match s'achève, nous ennuyant à tel point que l'idée ne nous vint pas qu'une vie humaine allait s'achever ainsi. »

jeudi 18 novembre 2021

Les Couleurs de la Lumière


Imagine, un musée, celui de Grenoble ou celui d’Orsay, et là la lumière, celle de l’ampoule de la guérite du gardien, celle de Pierre Bonnard, les couleurs de la lumière. Tu te plantes devant un tableau, tu regardes, une pointe par ci, une pointe par là et la lumière t’éblouit, et la femme nue, par bonheur, pur bonheur, t’éblouit.

« La couleur est une femme qui se gagne lentement, regard après regard, caresse après caresse. On sait tout de suite que ce sera long, un combat sans cesse recommencé avec la lumière. Et qu'il faudra souvent faire mine de baisser les bras, de quitter le champ et de se retirer dans l'ombre, le silence, la solitude. »

Elle s’appelle Marthe, ou Marie, peu m’importe, c’est la Muse, celle de Pierrot qui la croise au détour d’un quai ou d’une rue, et qui s’en trouve bouleversé à jamais. Imagine cette rencontre, l’artiste et le modèle, le peintre et la femme nue, toujours nue. Dans la salle de bain, sur un canapé, dans son lit. Pas besoin d’une lune bleue pour l’inonder de bonheur, juste un sourire, un regard et l’amour qui vient. La passion, les caresses, le silence. C’est ça l’amour. C’est ça la peinture, c’est ça, les couleurs de la lumière, ce mélange chaud de passion et de caresses qui se posent sur une toile.

mardi 9 novembre 2021

La Taille de son Âme


Profession ancien disquaire au Revolver, Vernon Subutex ferme la grille rouillée depuis quelques années déjà du magasin. Toute une époque, les années 80, sa musique, ça me parle, forcément. 
 
Au charme indéniable, Vernon se retrouve à la rue. En guise de cahier d'adresses, Facebook lui fournit ses contacts d'antan, des filles devenues femmes, des femmes devenues vieilles. Lui aussi a quelques rides en plus, mais toujours ce même sourire, cette aura irrésistible. Vernon a revendu toute sa collection de vinyles pour survivre jusque là, aujourd'hui, ce soir, cette nuit, lune bleue et étoiles inoubliables, oublié le magasin et ses âmes qui y passaient... Du passé de Vernon, il ne reste plus rien, si ce n'est toujours cette même passion pour la musique, et les dernières confessions d'Alex Bleach sur bande magnétique, l'overdose psychotique.
 
"Passé quarante ans, tout le monde ressemble à une ville bombardée. Il tombe amoureux quand elle éclate de rire - au désir s'ajoute une promesse de bonheur, une utopie de tranquillités emboîtées -, il suffira qu'elle tourne la tête vers lui et se laisse embrasser, et il accédera à un monde différent. Vernon sait faire la différence: excité, c'est le bas-ventre qui palpite, amoureux, ce sont les genoux qui faiblissent. Une partie d'âme s'est dérobée - et le flottement est délicieux, en même temps qu'inquiétant: si l'autre refuse de rattraper le corps qui sombre dans sa direction, la chute sera d'autant plus douloureuse qu'il n'est plus un jeune homme. On souffre de plus en plus, à croire que la peau émotionnelle devient plus fragile, ne supporte plus le moindre choc."  
 

samedi 6 novembre 2021

Mustang

« De jour, ça avait de la gueule, c’est vrai. La petite ville se coulait comme dans le fond d’un canyon entre une mesa – une formation rocheuse spectaculaire, aux versants abrupts et au sommet plat – et les premiers contreforts des Rocheuses, une géologie violente et tourmentée qui reflétait, pâlis, des travellings panoramiques de western, ceux que l‘on regardait le mardi soir en éteignant la lumière du salon pour faire comme au cinéma, mais les bandeaux noirs qui ajustaient le format du film sur l’écran de la télé avaient disparu, et soudain j’étais dans l’image. »

Et au milieu coule une rivière ou une nouvelle, pièce centrale de ce recueil, Mustang.

Et au milieu roule donc une Ford Mustang d’un vert entre forêt et émeraude.

Et au milieu se glisse une voix, des voix. D’abord celle de Steve McQueen. Quand on me parle Mustang, un cheval qui galope sur la calandre, je suis dans Bullitt. D’autres voix aussi partagent ces moments, des voix intérieures, des voix sorties d’une bande FM lorsque je roule dans la poussière d’un état poussiéreux. Ou est-ce moi qui suis dans un état poussiéreux ? Né poussière, je finirai poussière, crossroads. En attendant je chevauche le pur-sang, je roule en Ford Mustang. 

dimanche 31 octobre 2021

le Lion de Belfast

- Tu connais la meilleure façon de boire le whisky ?
- Dis-moi.
- Tu le mets dans un verre. Et tu bois !
Ils éclatèrent tous les deux de rire.
 
Belfast. Son whisky, son passé, sa violence. Il est dix-sept heures, soir d'Halloween. Trois hommes déguisés en loups rentrent dans la banque. Braquage à l'ancienne, braquage à vide surtout, le coffre ayant été vidé une heure plus tôt, nouvelles consignes de sécurité. Les trois malfrats ressortent bredouilles ou presque. Un cou de crosse au passage, la ramène pas mec ou je te fais un second trou du cul après t'avoir planté une balle dans les deux genoux, et ils s'emparent de l'attaché-case d'un client, géant patibulaire au regard pas clair. Des millions à l'intérieur, le jack-pot.

Le cimetière de Milltown, à l'ouest de la ville, était pratiquement désert quand Harry gara sa voiture juste après le portail le lendemain après-midi. Un brouillard froid et gris tissait une vignette gothique dans le motif dessiné par les pierres tombales.
Ouvert au XIXe siècle, le cimetière héberge principalement des catholiques - il n'y a qu'un seul protestant dans cette argile, contre toute attente. Une section est entièrement consacrée aux socialistes et aux républicains tués pendant le conflit contemporain avec les Anglais. Pas très loin, se trouve le cimetière municipal et sa prédominance d'hôtes protestants. Même dans la mort, il semble que le caractère sectaire de Belfast continue à se perpétuer.
 

mercredi 27 octobre 2021

Des Variations Impromptues de Hank et de Sibelius

Bois. 
Serait-ce le dernier - ou premier - conseil de l’auteur ? 
Vis aussi. Chie surtout. 
Voilà tout est dit. Ou presque. 
Tu peux tourner la page, tu connais toute la philosophie de l’auteur. 
Tu peux tourner ma page, tu connais tout de ma vie. J’aborde donc une version poète de Hank. Des poésies en prose avec les thèmes de prédilections de l’auteur.

Il boit, certes. Il regarde des femmes, quelques. Il écrit surtout, sur ses écrits. Ce pourrait être des petits instantanés de sa vie. Du quotidien banalement banal. Charles Bukowski va aux toilettes, chie un beau morceau, parfois même un très beau morceau d'anthologie, retourne à sa fenêtre devant une bière, ou à sa machine à écrire devant un verre de vin. Et quand il sort de chez lui, dans le froid, la pluie ou le vent, - bon ok, c’est quand même la Californie - c’est pour aller à l’hippodrome. Les courses, son autre dada, en plus de celui d’écrire des poèmes en prose ou des nouvelles à l’eau de rose – ou aspergées d'eau sauvage. Et il écoute de la musique classique. C’est également un bon point. J’ai toujours trouvé qu’il avait bon fond, ce type, malgré son air grognon et renfermé. 

« Je ne crains rien ni personne, la pluie s'abat
sur la porte et je suis devant cet ordinateur
écoutant du Rachmaninov à la radio.
la pluie tambourine violemment à la porte,
alors je souffle la fumée d'un cigare à son intention
et souris.
derrière la porte il y a un petit balcon
sur lequel est posé une chaise.
je m'assieds parfois sur cette chaise quand il y a
de l'eau dans le gaz.
(bon sang voilà que la pluie rentre à l'intérieur !
formidable ! Une pluie battante sur ma chaise en bois
dehors !
les arbres et les câbles de téléphone s'agitent
sous la pluie.)
Je m'assois parfois sur cette chaise quand il y a
de l'eau dans le gaz.
et je sirote ma bière là dehors,
regardant passer les voitures la nuit sur l'autoroute,
remarquant au passage le nombre de lumières nécessaires
dans une ville, tellement de lumières.
et je reste assis là et me dis, bon, c'est peut-être
un sale moment
mais au moins tu n'es pas à la rue.
et tu n'es même pas encore au cimetière.
courage, vieux garçon tu as remporté des batailles
pires que celle-ci.
descends ta bière.

mais ce soir je suis à l'intérieur,
et Rachmaninov joue pour moi. »

[extrait : tempête pour les morts et les vivants]

samedi 23 octobre 2021

Ephemeride II

 22 Octobre 1969.
 
Une date fracassante, comme un zeppelin qui se crashe sur un haut building, comme une guitare de Jimmy qui sonde mon âme.
 
Le début d'un truc énorme. Du moins dans mon cœur.  Quelques poils sur le torse suffisent à me mettre en émoi. Ou alors ses cris, sa langueur, son blues. Des bleus à l'âme comme la lune, sans son côté sombre.

Et la Révolution. La Révélation.
Après un premier album, mélange de blues des grands noms, ils sortent le second, toujours craint, toujours attendu. Ils enchaînent les concerts aux States, des trucs énormes. Un vent de fraîcheur. Il y a les groupies féminines qui se jettent au pied du blondinet, les mecs qui admirent le guitariste, respect mec avec ta six ou douze cordes, ceux qui se font des vodkas orange en tapant sur une grosse caisse, et les plus discrets mais empreints de mélodie et de leur mélancolie.  

C'est du boogie-woogie teinté de blues, la promesse d'un rock qui gratte plus, une pointe de folk pour ne pas oublier ses racines. On ferme les yeux, le psychédélisme poursuit son vol,  d'autres cieux, proche du paradis mais le menuisier n'en est qu'à la seconde marche de son escalier. Les Beatles n'ont plus qu'à retourner dans leur cirque - ah non, ça c'était les Stones. J'en oublie mes classiques. Sauf que pour moi, ces 4-là dans le blizzard - bien plus violent qu'un simple coup de vent, sont mes classiques à moi. Au zénith de mes écoutes. Au zeppelin de mon âme.
 
Le 22 Octobre 1969 sort dans les bacs : II. En toute modestie. Led Zeppelin.  

mercredi 13 octobre 2021

le Bison et la Grenouille (ou le crapaud-buffle)


Je me suis perdu dans cet état sauvage, où le souffle de l'élan pourchassé fume sur la froidure de la forêt, où des os de bisons sont enterrés quelque part en hommage aux dieux protecteurs d'une ethnie indienne, où des saumons remontent des rivières et des bûcherons bûcheronnent... Les yeux qui brillent comme le souvenir d'une lune aux reflets bleus, ou des étoiles éphémères s'aventurent dans ton cœur, ton être, ton âme, j'écoute le silence d'un troupeau venu s'abreuver d'une soif désespérée, la musique mélodieuse des tronçonneuses au cœur de la forêt, les grognements et tintamarres des crapauds-buffles dans le réservoir du champ situé en contrebas... Je remonte « la rivière en hiver », un jour, une nuit, une vie, dans le Montana.

« Wilson avait seulement envie de boire un verre. Une bonne bière froide dans une chope embuée, avec une tranche de citron sur la mousse. Une lager pâle et dorée, traversée par un rayon de soleil sud-américain, un cyclone de bulles montant dans cette lumière, un vortex de promesses. »

Je traverse des plaines qu’un vent balaye de sa fougue ou de sa folie, à la recherche d’un arbre, l’arbre parfait, ou d’un bar, le bar parfait, celui qui me servira dans le silence d’une nuit une bonne bière, un vieux juke-box crachotant des chansons du loner Neil Young ou de la belle Emmylou Harris, des vieux accoudés au comptoir, le silence devant leurs bières. L’esprit americana de ce partage. Les tronçonneuses résonnent encore dans ma tête lorsque la lune m’apparait toujours de ses atours si bleutés si souriants, le souvenir d’une vie. Le Montana, je m’y sens bien. Je m’y recueille, jusqu’à plus soif, dans le silence d’une putain de vie, dans le silence des hommes et le chant des grenouilles.

dimanche 10 octobre 2021

American Dream


Dans une petite ville du New Hampshire, Bob Dubois répare des chaudières pour une centaine de dollars par semaine. Une vie de famille simple, plutôt tranquille, pas misérable mais pas folichon non plus, l'attend chaque soir sur son canapé en cuir usagé et taché de vieilles traces de bières. Jusqu'au jour où Bob pète les plombs, envoie tout valdingué y compris son vieux break rouillé. Il vend son misérable appartement aux bruits incessants de tuyaux, et part avec femme et enfants, sa vie dans une remorque, rejoindre son frère sous le soleil de Floride. Parce qu'en Amérique, il est facile de refaire sa vie. American Dream.

Ce n'est pas une histoire de malchance, Bob le sait, la vie n'est pas une combinaison de forces aussi irrationnelle que ça. Et même s'il n'est pas un génie, ce n'est pas une histoire de stupidité non plus, car il y a trop d'imbéciles qui se débrouillent bien dans le monde. C'est à cause des rêves. Surtout du rêve d'une nouvelle vie, de redémarrer de zéro. Plus on échange la vie qu'on connaît, celle qu'on a devant soi, qui nous est échue par la naissance comme par les accidents et autres hasards de la jeunesse, plus on l'échange contre des rêves de vie nouvelle, moins on a de pouvoir. Cela, Bob Dubois en est venu à le croire, maintenant. Mais il est tombé dans un endroit froid et sombre où les murs sont nus et glissants et où toutes les issues ont été condamnées. Il est tout seul. Il va devoir vivre ici s'il veut vivre. C'est ainsi que quelqu'un de bien perd ce qui est bien en lui.
 

mardi 5 octobre 2021

Noces de Sable

"J'étais employé dans un pressing. Le métier de Français paumé chez les ploucs US ne nourrissant pas son homme, j'avais décidé de faire confiance à l'intelligence de ma main. Mes potes se résumaient à des compagnons de picole. Nos discussions tournaient autour de la bibine, les artistes que j'aimais étaient alcoolos, et mon cinéaste préféré était Cassavetes... J'adorais... C'était triste. C'était désabusé. Et puis Gena Rowlands sa tapait du whisky à gogo, et ça, c'était classe."  
 
A bord d'une Chevrolet Impala 1971 d'un rouge mécanique, je décapote, une vieille cassette des Stones, Let It Bleed, dans les haut-parleurs crachotant. Les cheveux au vent, du moins ce qu'il m'en reste, je file au Sud, Sandpiper Bay, Floride. J'aurais voulu emmener Emma aux Seychelles, pour une nuit de noce d'anthologie à baiser et boire du rhum avec Emma. Finalement, en tant qu'employé moyen dans un pressing moyen tenu par les Kurosawa, je me retrouve dans ce bungalow bon marché, il n'y a pas de pingouins mais un pélican qui se prénomme JFK. Dès fois, on a envie de lui mettre une balle, à cet avatar à plumes de Club Med. C'est la réflexion que je me fais lorsque le soleil se couche et que je bois ma quatrième bière, sous le regard tristement bleu de la lune.  

Les histoires d'amour finissent... en général... La mienne n'a pas survécu au lendemain de mon mariage. Emma partie, envolée, le pélican à mes pieds. Moi, je suis resté à errer dans le sable comme ce Teuton qui tourne en rond depuis des heures, des jours, des mois, sa femme est partie aussi. La lagune de Floride semble avoir ce pouvoir magnétique sur les couples - ou les suicidés. Fraiches Lagunitas me voilà. Je prends une bière dans la glacière, note que ça rime lors j'en prends une seconde, bière dans la glacière, bienvenue dans ma galère. Le soleil se couche à nouveau, la lune garde sa lueur bleutée pour d'autres cieux que le mien, alors je me prends une nouvelle bière. 
 
"Du coup, le midi, c'était bière. Le soir, c'était bière, et le week-end, c'était bière. Parfois gin."

lundi 27 septembre 2021

Les Larmes de Schubert

Annabelle, treize ans et déjà pianiste prodige. Sa voie est presque toute tracée, depuis des années, un long chemin devenu sacerdoce. Jusqu'au jour où la musique ne vient plus à elle. Elle ne ressent plus rien, n'y arrive tout simplement plus. La musique l'a quitté. Parallèlement, ses parents divorcent, un père souvent absent, imprésario d'une très grande pianiste, une mère très aimante, mais probablement trop. Le début de l'enfer pour Annabelle, ou la fin du monde, le sien, celui de sa famille, la musique oubliée.
 
Au début, presque sur ses gardes, Annabelle n'est pas très émue. La musique n'est pas une si grande perte, se répète-t-elle. Laissons-la aux gens doués qui ont du plaisir à exercer leur don. Mais, au mouvement lent que Lydia exécute avec un admirable legato, tout lui revient : le bonheur d'être assise au piano, d'arracher les notes du fond d'elle-même, de jouer avec tout ce qui l'habite et qu'elle ignore, l'in-nommable enfin nommé, la violence, l'isolement, la tendresse, la passion, toutes ces émotions si encombrantes qu'elle pouvait faire exploser sous ses doigts, avec son propre corps et un piano. 
 
Sur fond de "guerre" parentale, Annabelle se retrouve entre deux eaux. Elle se noie dans la baie du Saint-Laurent, plonge en apnée dans cette maudite vie. Ses notes perturbent, son silence aussi. Elle a envie de crier, mais contre qui, à part contre elle. Elle ne veut pas prendre partie, ne veut pas faire de mal ni à l'un, ni à l'autre, la sensibilité à fleur de peau, dans ces eaux troubles et glaciales où le blizzard du grand nord pique les yeux. Ferme les yeux, Anna. Belle au fond de toi, écoute tes larmes glisser le temps d'une mélodie de Schubert.
 

dimanche 19 septembre 2021

Curry Indien et Chaï Latte


Dès les premières pages, je me retrouve au milieu d’odeurs, de parfums, de couleurs et de femmes. Un harem ? A mon grand désarroi, en fervent passionné de tantrisme, je suis juste au sein d’une cuisine familiale où ça popote autant que ça papote. Un grand repas s’y prépare, aux souvenirs et à l’anniversaire des funérailles, peut-être les miennes, d’ailleurs, qui sait… Le temps de goûter à la saveur d’un curry orangé, je prends part à ce partage, littérature indienne au menu du jour. Cela fait longtemps que je n’ai pas posé mes sabots poussiéreux dans un restaurant indien. Encore plus d’avoir ouvert un bouquin indien en dehors des recettes de curry et de cuisine. C’est dire l’expérience, aussi excitante qu’une orgie dans un ashram ou qu’un air de Ravi Shankar dans un festival hippie au lever du soleil. 

« On avait envoyé Maya cueillir des goyaves sur l'arbre qui poussait au milieu de la cour. Seules les femmes étaient autorisées à cueillir les fruits parce que "leur toucher rend l'arbre plus fertile", affirmait Bhagwan. Mais uniquement es jeunes mariées, pas les veuves ou les stériles. Ces femmes-là avaient les mains sales, elles étaient maudites par les dieux, rejetées par les hommes. L'arbre aurait cessé de donner des fruits si une veuve ou une femme stérile en avait touché ne fût-ce qu'une feuille. Maya était exactement le genre de créature qu'il aimait. Jeune, la chair ferme, les yeux pétillants et les cheveux brillants. Des dents blanches comme des perles et une haleine au parfum de musc. Mais depuis qu'il avait prononcé ses vœux, il devait les tenir à distance et supporter ces vieilles harpies desséchées qui s'asseyaient à ses pieds toute la journée. Leurs yeux tristes et éteints qui le regardaient avec adoration, leurs cheveux blancs qui sentaient la vieillesse. Elles s'inclinaient devant lui et s'accrochaient à son corps de leurs mains noueuses. Maya était un fruit interdit, mûr à point, dans lequel il aurait adoré mordre. Peut-être dans une autre vie. »

mercredi 15 septembre 2021

West Coast


Georges prend la route, direction la West Coast. Saint-Georges-de-Didonne. La radio branchée fip 514, Dave Brubeck au piano. Les étoiles swinguent, la lune bleue est absente. C'est le noir,  cool jazz blue moon. Cadre plus ou moins dynamique, Georges fonce à travers la nuit, le périphérique, l'A10. Et voilà, ce qui devait arriver arriva. Le saxophone de Paul Desmond entre en jeu, propre, net. Le grand jeu, cool... Ambiance western, entre deux morceaux west-coast. Mais Georges dans tout ça ? Oui on a essayé de le flinguer, façon tontons flingueurs, avec le silencieux qui fait tchouk ! Mais cadre chanceux, il s'en réchappe. Faut toujours se méfier d'un cadre. Il sombre dans la nuit, plaque tout, pour où ? On ne se remet jamais tout à fait d'une virée à Saint-George-de-Didonne.  
 
Et il arrivait parfois ce qui arrive à présent : Georges Gerfaut est en train de rouler sur le boulevard périphérique extérieur. Il y est entré porte d'Ivry. Il est deux heures et demie ou peut-être trois heures un quart du matin. Une section du périphérique intérieur est fermée pour nettoyage et sur le reste du périphérique intérieur la circulation est quasi nulle. Sur le périphérique extérieur, il y a peut-être deux ou trois ou au maximum quatre véhicules par kilomètre. Quelques-uns sont des camions dont plusieurs sont extrêmement lents. Les autres véhicules sont des voitures particulières qui roulent toutes à grande vitesse, bien au-delà de la limite légale. Plusieurs conducteurs sont ivres. C'est le cas de Georges Gerfaut. Il a bu cinq verres de bourbon 4 Roses. D'autre part il a absorbé, voici environ trois heures de temps, deux comprimés d'un barbiturique puissant. L'ensemble n'a pas provoqué chez lui le sommeil, mais une euphorie tendue qui menace à chaque instant de se changer en colère ou bien en une espèce de mélancolie vaguement tchékovienne et principalement amère qui n'est pas un sentiment très valeureux ni intéressant. Georges Gerfaut roule à 145 km/h.  

vendredi 10 septembre 2021

Les Cocktails de Virginie


Lorsque nous étions enfants, mon frère, ma sœur et moi, les hommes et les femmes avaient deux choses que nous n'avons plus aujourd'hui : les cocktails et les coiffures sophistiquées. Ils buvaient des Gimlet, des Manhatthan, des Gibson, des Singapore Sling, des Vodka Stinger, des Blue Monday, des Grasshopper, des Old Fashioned, des Highball et des Side-Car. Les jours de courses de chevaux, ils buvaient des Mint Julep. Ils avaient aussi des shakers et des cuillères à cocktail. Les hommes acquéraient une réputation par leur talent à confectionner tel ou tel cocktail. Les femmes ne les préparaient jamais elles-mêmes, sauf peut-être pendant la guerre, lorsqu'elles étaient seules. Mais pas aussi bien.
 
C'étaient les années 50, dans une petite ville de Virginie. Les femmes mettaient des bigoudis avant l'heure du cocktail et de belles robes en soie. Les hommes jouaient de la cuillère et du shaker pour la préparation de ces fameux cocktails. Les cocktails, la première religion des Goolrick, nettement plus assidus en cette heure de fin d'après-midi que pour la messe du dimanche. D'ailleurs, on ne dérange pas un Goolrick à l'heure du cocktail, à savoir de dix-sept heures à minuit passé. Le jeune Goolrick l'apprendra à ses dépens. 
 

dimanche 5 septembre 2021

Les Escales de Nad' et du Bison : Italie

Lieu : Piombino, Italie
Lever du soleil : 6h46  | Coucher du soleil : 19h37
Décalage horaire : 0h
Météo : 27° ressenti 30°. Ensoleillé, rafales de nord-ouest 30 km/h.
Coordonnée GPS : 42°55’15.42 N / 10°31’33.276 E
Musique : Une barque sur l’océan, Béatrice Rana (Ravel)
Un Verre au Comptoir : Chimay




"Une pancarte noire en lettres orange indiquait la "zone artisanale". Avait indiqué. Parce que quelqu'un, génial, avait récemment noirci le a, le r, le t, le i et le s. C'était plus fidèle à la réalité, maintenant."

jeudi 2 septembre 2021

Et Danser sur ma Tombe


C'est un été. 1982 pour la version originale. 1985 pour la version de François Ozon. 2020 pour son visionnage dans la salle obscure. 2021 pour sa lecture. Que de dates estivales pour commencer cette histoire. Et beaucoup de chiffres pour un roman, à commencer par son sous-titre, "Une vie et une mort en quatre parties cent dix-sept petits morceaux six rapports circonstanciés et deux coupures de presse avec quelques blagues deux ou trois devinettes quelques notes et un fiasco par-ci par-là pour faire avancer le récit".

Mais il est question aussi de lettres, de poésie, de souvenirs et de mélancolie. Les mots ont leur place dans l'univers de Hal, seize ans, qui ne sait pas très bien ce qu'il veut faire l'année prochaine. Arrêter le lycée comme le voudrait son père, continuer comme le souhaiteraient sa mère ou son professeur de lettres. Mais d'ailleurs pour faire quoi...

TRISTE adj. (XIIe ; trist, Xe; lat. tristis)
1. Qui est dans un état de tristesse, malheureux.
2. Qui, par nature, présente les caractères extérieurs de cet état ; qui ne rit pas, n'est pas gai. Clown triste. Les gens tristes sont peu apprécier en société.
3. Qui exprime cet état. Visage triste. Faire triste mine.
4. Par ext. Qui est comme imprégné de tristesse, répand la tristesse. Robe, couleur triste.

Triste : abattu, accablé, affecté, affligé, aigri, altéré, amer, angoissé, assombri, atrabilaire, attristé, austère, bonnet de nuit, cafardeux, chagrin, consterné, défait, désenchanté, désespéré, désolé, endolori, éploré, funèbre, lugubre, malheureux, maussade, mélancolique, morne, morose, navré, noir, neurasthénique, peiné, sévère, sinistre...

Tout ça au long de l'interminable nuit sans sommeil. 

jeudi 26 août 2021

Le Mythe du Cornichon Malossol


A bord d'un mythe, billet en poche, balluchon chargé de vodka, je grimpe pour un long voyage, objectif Sibérie. Un air de Tchaïkovski se balade des hauts-parleurs de la gare, signe annonciateur du départ du Transsibérien. Installé dans le compartiment N° 6, je regarde à travers la crasse d'usure de la fenêtre, les derniers visages restés à quai. Je sais qu'après ce voyage, je serais transformé, on ne voyage pas dans un mythe sans conséquence. Vient s'asseoir dans ce compartiment, une jeune femme, pas un canon, ni une mocheté, simplement une femme avec son charme, une finlandaise même. Je me réjouis déjà de ce long tête-à-tête silencieux que me promet ce voyage. Le mythe du cornichon malossol.

Et au long de l'obscurité la nuit plaqua une aube rouge à la fenêtre. Une lune jaune balaya l'éclat de la dernière étoile, ouvrant la voie à un soleil de feu. Lentement toute la Sibérie blanchit. L'homme, en pantalon de survêtement bleu et chemise blanche, faisait des pompes entre les deux couchettes, la sueur au front, les yeux mal réveillés, la bouche sèche et malodorante, et dans le compartiment le poisseux relent de sommeil, la fenêtre sans souffle, les verres à thé muets sur la table, les miettes, par terre, réduites au silence. Une nouvelle journée s'ouvrait, avec ses forêts de bouleaux orangés sous le givre, ses pinèdes aux profondeurs peuplées d'animaux, ses tourbières moutonnant sous la neige fraîchement tombée, ses caleçons blancs aux jambes flottantes, ses pénis mous, ses founettes, ses counettes, ses chounettes, ses amples chemises de nuit à fleurs en flanelle, ses chaussettes de laine, ses châles, ses brosses à dents en bataille. 

mercredi 18 août 2021

Un Disque de Coleman Hawkins, le piano solo d'Art Tatum et un air des Beatles

 Drive my car
prix du scénario, 
Festival de Cannes 2021.

Lorsqu'il parlait avec la femme, son compagnon observait soigneusement son expression et son attitude, comme quelqu'un qui excelle à lire entre les lignes. Il y avait entre cet homme et cette femme une sorte de secret puissant qui les soudait l'un à l'autre, qu'eux seuls partageaient. Kino ne parvenait pas non à savoir s'ils venaient dans son bar avant ou après l'amour. Mais il était sûr que l'une ou l'autre hypothèse était juste. Ce qui était étonnant, cependant, c'est qu'aucun des deux ne fumait.
Un soir où il pleuvait légèrement, la femme reviendrait seule dans son bar. Quand son compagnon à barbiche serait "loin". Kino le savait. Cette lueur dans ses yeux le lui disait. La femme s’assiérait au comptoir, boirait en silence quelques brandys, attendrait que Kino ferme le bar. Puis ils monteraient à l'étage, elle ôterait sa robe, exposerait son corps à la lumière, lui montrerait de nouvelles brûlures de cigarette. Après quoi, ils s'accoupleraient violemment, comme des animaux. Tout au long de la nuit, sans avoir le temps d'y penser, jusqu'à l'aube. 
 
Un air des Beatles s'échappe de la voiture, une vieille cassette qui crachote encore quelques mélopée pop d'un autre temps. Drive my Car fredonne Paul McCartney. Elle conduit cette vieille voiture, fume cigarette sur cigarette, fenêtre ouverte. Lui, assis sur la banquette arrière, relit son texte, la pièce de théâtre qu'il est en train de jouer. Ça pourrait faire un grand film, avec en arrière-fond l'histoire de sa femme décédée il y a quelques années. Des années, des jours, peu importe, la perte n'a plus de temps, la vie s'est arrêtée.

vendredi 13 août 2021

Les Lumières de Medellín


D'un coté, il y a Antonio et Emilio, fous amoureux de Rosario, la femme fatale de Colombie. Rosario aime Emilio mais se confie à Antonio. Le triangle amoureux de
Medellín semble aussi dangereux et fatal que le triangle des Bermudes. De l'autre coté - ou de partout autour, il y a la belle Medellín, cette ville sublimement parée de lumière et de violence.
 
Rosario est de ces femmes qui sont à la fois le venin et l'antidote. Elle guérit celui qu'elle veut guérir, et elle tue celui qu'elle veut tuer.

Rosario se retrouve à l'hosto, une balle en plein cœur, Antonio le cœur déchiré à son chevet. Rosario, la fille aux ciseaux. Ne me demande pas d'où lui survient ce surnom, ça risque de faire mal à ta virilité masculine. Oh oui, j'ose imaginé, mais putain que ça doit faire mal... Aussi mal qu'un cœur brisé. Et si je suis avec plaisir la jeunesse de ce trio dans ce qui ressemble à une chevauchée fantastique dans la nuit et la violence, c'est surtout pour découvrir les lumières de la cité colombienne, ses obscures ruelles et ses étoiles qui veillent tard dans la nuit. Roman nocturne sous les néons blafards de l'hôpital. 

De la fenêtre de l'hôpital, Medellín ressemble à une crèche. De petites lumières incrustées dans les montagnes scintillent comme des étoiles. Il ne reste plus aucune partie sombre dans la cordillère trouée de lumières du pied jusqu'à la cime, la "petite tasse d'argent" brille comme jamais. Les immeubles éclairés lui donnent une allure de grand bazar cosmopolite, un air de grandeur qui nous fait penser que nous avons vaincu le sous-développement. Le métro la traverse en son milieu, et la première fois que nous le vîmes circuler, nous crûmes que nous avions enfin cesser d'être pauvres.
- Comme elle est belle vue d'ici, disions-nous, tous ceux qui contemplions la cité d'en haut.

samedi 7 août 2021

Âme Bandée


Réveillé, je suis dans un état second. Ecroulé, je me suis sur mon lit hier soir. La tête en vrac, le cœur mouillé, l’inverse est plausible, je ne sais plus. Le trou noir, j’erre dans des souvenirs sans fond, contrairement à la bouteille vide. Aucune idée ne vient, l’esprit vide lui aussi, j’ai perdu quelques heures de ma vie. 

Que s’est-il passé, trop bu, amnésie localisée, trop lu, les bras plâtrés, les jambes plâtrées ; et la tête, alouette. Une crêpe Suzette ? Je perds la tête. 

L’âme bandée, une vie à l’hosto et pour passer le temps un bouquin, j’aurais pu choisir la bible, après tout la fin est toute proche, non, j’ai pris un feel-good. Qu’est-ce qu’il m’a pris ? 

Un moment de faiblesse, l’ivresse instantanée, pris le premier roman près de la lampe de chevet, besoin de m’achever. Un livre feel-good, et avec ça, j’espère un « Bon Rétablissement » ? 

Pfff… Besoin d’un grand verre, plutôt… Whisky ou vodka, un truc sans eau en tout cas. J’ai déjà trop bu la tasse.  

« Depuis, l'eau a coulé sous les ponts. Et, si je n'ai pas coulé récemment avec elle, on peut dire que j'ai failli. On m'a repêché in extremis, il y a quelques jours, au milieu de la Seine.

Pour être plus précis, à deux mètres du bord, ce qui est bien suffisant pour sombrer dans la vase avant de remonter des semaines plus tard, tout mou et tout spongieux comme les bouts de pain qu'on balance aux canards.

On m'a vidé les bronches, plâtré ici et là. J'avais dû ricocher sur la pile du pont. Suicide raté, soirée trop arrosée, agression ? On se perdait en conjectures.

Moi, j'étais comateux, et donc sans opinion. »

lundi 2 août 2021

Souffle le Verre


« Dehors un vent d’ouest léger porte des bruits de canon. La guerre est ce soir dans le crépuscule comme la mer dans les coquillages. »

La Grande Guerre a quelque chose de poétique, comme l’âme de Séraphin. Ce garçon qui vit dans son monde, un monde de silence et de regard. La neige tombe, au même rythme que les bombes, mais avant cela, il y avait cet enfant, si particulier que les gens lui attribuèrent facilement le rôle de l’idiot du village. Et pourtant… Séraphin se découvre, se révèle… aux yeux du vieil Ernest.

« Le silence qui couvrait les jardins potagers était magnifique. Il était à la fois si calme et si radieux que le chant éraillé d’un merle y donnait presque envie de sourire. Le moindre craquement étendait une paix merveilleuse. C’était en général une branche qui venait de se délester d’une petite cargaison de neige dans un poudroiement d’or. »

jeudi 29 juillet 2021

De la poussière dans la Barbe

 Quand Dusty retourne à la poussière,

c'est une Barbe qui va me manquer.




Je me retrouve bien triste ce matin,

comme tous les autres, d'ailleurs, dirais-tu...

Une pensée pour celui qui 

avec ses deux compères

m'ont longtemps fait vibrer

dans la poussière de ma vie.

Dusty Hill. 28.07.2021

samedi 24 juillet 2021

Santa C.

Christine, une pin-up carrossée.


Pas besoin d'en rajouter plus, vous imaginez déjà sa beauté, sa rutilance, le pétillement de ses cuivres et la brillance de ses chromes. Des courbes de pin-up. Christine a ce pouvoir obsessionnel sur les hommes, les jeunes comme les vieux. Combien d'années que je ne l'avais pas regardé à nouveau dans la profondeur de son âme, à mon âge on ne compte plus et on préfère oublier son triste passé. Pourtant l'envie m'a repris, pour mes plus beaux souvenirs.

Christine, c'est une Plymouth Fury, d'un rouge lubrique comme l'orange est à la mécanique - autre grand film, chef d'œuvre absolu. Christine c'est le désir, la femme, unique, obsessionnellement passionnée et chromée. Et quelle musique elle envoie, parce que sans musique, pas de vie - sans bière aussi mais c'est un autre débat. Christine est un film Culte, un verre dans la main gauche.

Christine, c'est la pornographie suggérée, une icône du sexe bandant. On a envie de la caresser, de respirer son cuir, de jouer de son cigare avant d'allumer la flamme et de s'allonger sur elle, branché onde 69 sur la banquette arrière, parce qu' il n'y a pas que les Dauphines. On s'y abandonne même comme dans les bras d'une femme. Parce que Christine est LA femme, ultime ou obscur objet du désir, qui aux premiers rayons de lune s'illumine de sa parure rouge métallisée.

jeudi 22 juillet 2021

La Ristigouche

Je me prélasse dans la baie des Chaleurs, la panse pleine et la queue frétillante. Je remonte la rivière me faufilant entre les roches et les pattes d’ours affamés, les mouches volent dans la brillance des reflets du clair de lune. Entre ombres et lumières d’une forêt ancestrale, je voltige vers mes racines ancestrales. Je suis #Taqawan et fier de l’être. Chacun ses penchants, moi la queue frétillante du saumon, ça m’émeut.

« Dans l’Ouest des Etats-Unis, au milieu du dix-neuvième siècle, pendant qu’Herman Melville écrit Moby Dick, des hommes à cheval, armés de longs fusils, abattent les troupeaux de bisons. Pour certains, il s’agissait d’une stratégie d’élimination des Indiens. De nombreux peuples millénaires de ces contrées ayant basé leur existence sur la symbiose avec le bison, il suffisait de l’exterminer pour faire disparaître ceux qui en vivaient. Un siècle plus tard, l’histoire de ces milliers de carcasses pourrissant au milieu des plaines du Wyoming ou du Dakota souligne la cruauté des colonisateurs. On parle désormais d’un génocide par tuerie interposée.
Dans l’Ouest, l’homme blanc a réussi à éliminer les Indiens en éliminant les bisons. Dans l’Est, il y avait des saumons. On les a pêchés à coups de barrages, de nasses et de filets jusqu’à l’épuisement des stocks. Les Indiens aussi sont épuisés. »

Pow-wow d’un autre temps, les festivités indiennes ne sont plus de joie. Elles deviennent émeutes, répressions, assassinats. La Police distille ses lacrymos, ferme les ponts qui mènent à la réserve, viole des jeunes indiennes… La violence en somme, une autre génération de lutteurs, mais toujours cette incompréhension entre les peuples. Je suis #Mi’gmaq et fier de l’être, une eau-de-feu pour laver la poussière en bouche. Chacun ses penchants, moi le whisky poussiéreux, ça m’émeut.

jeudi 15 juillet 2021

Une Bière à la Bonne Température

 les chroniques transat 

Roman Policier

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« Je me dis que j'ai eu de la chance et je respire la pollution à pleins poumons tout en sirotant une bière qui aurait été à point si on l'avait laissée trois minutes de plus au frais. »


Putain, ce n’est pourtant pas si compliqué de servir une bière fraîche. Glacée, en fait, chaleur du Mexique oblige, faut désaltérer le gosier et nettoyer la poussière. Mais attention pas trop glacée non plus, la bonne température, quoi. Et pourtant, le pauvre Carlos n’en peut plus. Oui, ô misère, comment peut-il vivre avec une femme incapable justement de lui servir sa bière à LA bonne température. D’ailleurs, elle est partie en lui laissant en plus les gosses. Pourtant, c’est un bon gars ce Carlos, il aime quand même sa femme, même lorsqu’elle lui sert sa bière trop glacée, il aime aussi sa maîtresse, même lorsqu’elle lui sert sa bière pas assez fraîche. Oui, un bon type, humain, qui aime les relations humaines avec quelques crapules du coin, quelques putes du trottoir à l’angle du commissariat. Un bon gars qui sait ce qu’il veut, et il veut une bière, poupée, ni trop glacée ni trop tempérée.

« La deuxième bière était glacée, un vrai régal. Il n'était pas difficile de faire en sorte qu'une bière soit glacée. Ni tiède ni congelée, juste glacée. Cela semblait si simple que j'ai presque osé penser que même ma femme devrait y arriver. »

samedi 3 juillet 2021

La Ballade de Jim

 Juste pour le plaisir...

et pour le souvenir.

3 Juillet 1971 - 3 Juillet 2011

Temps orageux,

cri douloureux.

jeudi 1 juillet 2021

Sous Acide Lysergique

"Écrire sur la musique c'est taper des monosyllabes : rock jazz hip-hop rap soul funk dance house grunge blues raï, et bien sûr il y a le reggae, la salsa, le gospel, le flamenco et le raggamuffin, mais si tu décomposes ça sera toujours une syllabe plus une syllabe, parce qu'écrire sur la musique c'est comme taper sur les touches d'un clavier, c'est une touche à la fois, même si tu tapes vite, tu peux aussi faire des combinaisons de touches, on appelle ça des raccourcis clavier, mais personne n'est dupe, surtout pas ton ordinateur qui plante deux fois sur trois, alors sois sage sois fou mais si tu écris sur la musique ne te prends pas trop pour Glenn Gould quand tu t'assois à ton bureau, parce que Glenn Gould n'écrivait pas sur la musique, lui, il laissait écrire la musique sur Glenn Gould et ça s'entend, tu peux l'entendre ahaner et pester, mais il aimait ça, chacun son clavier.
Si tu veux vraiment écrire sur la musique, tu sais ce qu'il te reste à faire, tu te lèves et tu montes sur l'estrade, tes mains sont dans ton dos et tu te tiens bien droit, puis tu articules en regardant un point situé quelque part entre Alpha du Centaure et Bételgeuse, tu prends ta respiration et surtout celle des autres et tu te lances, tu dis tout, tout et très vite, et dis Dallapiccola Dandrieu Danzi Daquin Davis Delibes Diabelli Dittersdorf Donizetti Dukas Dusapin Dvorak Dutilleux Dylan Dylan Dylan - c'est comme la gamme c'est comme le morse, et tu le sais oui tu le sait la révolution ne sera pas télévisée, the revolution will not be televised mais la dictée, elle, en revanche, sera musicale, si tu veux vraiment écrire sur la musique.

Les yeux fermés, je suis du genre à plonger les mains dans l'acide, et sans gants. C'est que l'univers de Claro ne m'indiffère pas. Il a croisé mon chemin par le biais de ses traductions de la grande littérature américaine, celle qui est déjantée et qui surprend son lecteur. Puis, j'ai découvert ses romans, du moins un avec cette dose de LSD nécessaire à la littérature de l'âme, avant de parcourir des nouvelles, des poèmes, des essais. Inculte que je suis, dans une édition qui porte bien son nom, Inculte, je m'en ressers un verre dès que l'occasion se présente. Bien que l'univers soit totalement décalé, pour ne pas dire étrange ou survolté, je survole ses jeux de mots et de mains, le clavier cannibale avale les phrases et couche sur papier ses pensées, ses mystères.