lundi 28 novembre 2022

Marx vend de la Beuh dans les Favelas


"Un territoire vaste, localisé à l'extrême est de Porto Alegre : un territoire qui, tout en se traînant dans un processus d'urbanisation interminable, présentait encore de nombreux vestiges de son lointain passé rural ; un territoire où il était encore possible de voir, à l’œil nu, la forêt atlantique partir en fumée petit à petit, où il était encore possible de suivre, en temps réel, l'action corrosive des métastases civilisatrices apportées par les caravelles plus d'un demi-millénaire auparavant; un territoire couvert de collines, parmi lesquelles montait, descendait et zigzaguait, montait, descendait et zigzaguait, comme sur des montagnes russes géantes, la route Joao de Oliveira Remião. Voilà comment on pouvait décrire l'un des plus grands quartiers de la capitale gaúcha : Lomba do Pinheiro."
 
Imagine un supermarché, aux abords des favelas. Dedans, deux rayonnistes qui triment toute la journée. Pourquoi ? Pour un salaire de misérables. A la fin du mois comme à la fin de la journée, ils n'ont même pas assez pour vivre normalement. Je ne te parle pas encore de richesse, juste de décence. Simplement vivre en fonction du travail fourni. Pedro, alias le Marx de Porto Alegre, a une idée bien précise de ce que dois être le travail, surtout son égalité autant des tâches que des gains. Il y a les bourgeois d'un côté, les pauvres de l'autre. Mais si tu réfléchis bien, le bourgeois ne veut devenir qu'encore plus bourgeois, et le pauvre ne rêve que de devenir un jour bourgeois et écraser ainsi à son tour les pauvres de son argent et de son pouvoir. Mais pas Pedro. L'égalité, avant tout. Y compris dans le partage des profits. Salauds de bourgeois. Salauds de pauvres ! 
 

jeudi 24 novembre 2022

les Fugues de Nico


 Il y a Nico et moi, sa grande sœur. Nico c’est mon petit frère. Et au-dessous ou à côté ou ailleurs, si l’on veut faire des liens généalogiques, maman et notre père. C’est donc plus l’histoire entre Nico et notre « père ». C’est plus d’ailleurs une histoire d’ambiance pseudo-familiale, de liens rompus, et d’atmosphère étouffante voir oppressante. Nico a d’ailleurs fugué. Une nouvelle fois, devrais-je dire. C’est pas que c’est une habitude, mais c’est pas la première fois non plus. Que dire de plus, d’ailleurs.

« J'aimais l'idée de m'enfermer dans la salle de bains, de me recroqueviller au fond de la baignoire, sous le mitigeur dernier cri, mais j'avais peur de ne plus pouvoir en sortir, incapable d'ouvrir la porte qui me séparait de mon père, incapable d'articuler les quelques mots nécessaires au bon déroulement du week-end. »

Nico. Une enfance meurtrie par un père autoritaire et maltraitant. Nico. Avec ses frêles épaules et son esprit rebelle. Il subit les remontrances et les châtiments, sans rien dire, par fierté même. Une façon de se forger une carapace. De s’endurcir. De se muscler intérieurement. Vu de l’extérieur, c’est aussi un moyen de s’isoler et de s’échapper de ce carcan familial. Je parle de notre père mais dois-je mentionner dans l’histoire notre mère… Je pense qu’il lui en veut également. Médecin généraliste, elle s’occupe de ses patients avant tout, et surtout. Du coup, elle s’est mise à l’écart de notre famille, et par moment, je me demande si elle ne nous prend pas plus comme des patients plutôt que ses enfants. Elle a abandonné sa vie de couple. Elle a jeté l’éponge sur ses enfants aussi. Du moins, c’est mon sentiment.

dimanche 20 novembre 2022

Les Empanadas de Violeta

«Alvaro Vives part de bonne heure tous les dimanches pour aller chercher les empanadas chez Violeta. Il aime le lent trajet toujours par les mêmes rues jusqu'à l'autre bout de la ville, non seulement pour la paix que procure une habitude ininterrompue, mais aussi parce que les empanadas de Violeta sont véritablement magistrales - un déjeuner dominical chez Chepa et Alvaro Vives, répètent les amis et parents invités, n'est pas un déjeuner sans les empanadas de Violetta : cette pâte parfumée, légère, et la farce juteuse, cuisinée avec un équilibre très étudié. Oui, après avoir mangé une empanada de la Violeta des Vives, à côté toute autre semble faite de chiffons mous et farcie d'un hachis puant le cadavre. »     
 
Ce dimanche-là, comme tous les autres dimanches, le jour du seigneur et des empanadas. Les femmes sont parties à la messe, les hommes au bistrot. Le soleil tape, la sueur dégouline déjà de sous ma chemise. Même la poussière a la flemme de s'envoler et reste collée à la route. Je m'installe devant la télévision, mieux que la messe, le feuilleton, façon télénovelas, épisode 69 qui raconte des histoires d'amour, des histoires de sexe et surtout des histoires d'empanadas. Et à propos d'empanadas, celles de Violetta sont si exquises qu'elles mettraient à genoux le curé de la paroisse avant son vin de messe. Elles parfument la cuisine jusqu'aux étages regroupant les chambres qui d'habitude présentent plus des odeurs de naphtaline. Mais le dimanche est un jour particulier, et ce parfum quel délice, j'imagine le jus de la viande qui coule dans ma bouche lorsque je mords dedans et englobe mon palais... C'est chaud, c'est exquis, c'est divin. Comme une bouteille de vin. C'est brûlant, c'est sublime, c'est divin. Comme un entrelacement de jambes et de sexes entre les draps blancs.
 

jeudi 17 novembre 2022

A poil


«
 
Il y a chez l'homme qui construit sa propre maison un peu de cet esprit d'à-propos que l'on trouve chez l'oiseau qui construit son propre nid. Si les hommes construisaient de leurs propres mains leurs demeures, et se procuraient la nourriture pour eux-mêmes comme pour leur famille, simplement et honnêtement, qui sait si la faculté poétique ne se développerait pas universellement, tout comme les oiseaux universellement chantent lorsqu'ils s'y trouvent invités ? »

C’est au printemps de l’an de grâce 1845 que je me retrouve, ici, seul dans les bois, à Concord, Massachussetts. Un lieu parlant pour tout amateur de littérature américaine. Une cabane en bois, construite de ses propres mains, au bord de l’étang de Walden. D’abord, la hache, je la pose à mes pieds. Il me faut en premier lieu comprendre le lieu. Regarder le soleil, regarder la lune bleue, sentir le vent et ses fragrances cheminées afin de définir les délimitations de son petit lopin sur lequel terrasser sa nouvelle vie. Maintenant, je prends ma hache, relève les manches de ma chemise à carreaux, en mode bucheron même en c’temps-là, et commence à couper quelques arbres. Mais avant, je sens leur écorce, je caresse leur mousse, je parle à leur sève, pour demander poliment si je peux l’abattre, son cycle est ainsi fait, dans le respect des bonnes manières, vous avez-dit une bière ? Au bout d’une heure, et d’un soleil brillant, le corps en sueur, j’enlève ma chemise, attention les filles, ne vous évanouissez pas tout de suite vous n'avez pas fini de me lire, afin de continuer mon dur labeur. Car de tout temps, tout labeur se fait dans la difficulté et la sueur. 

dimanche 13 novembre 2022

Dans La Sloche


Elle se voit comme la Antigone de Sophocle, pourtant autour d’elle, ses connaissances la voient comme la Antigone de Robert Laflamme, ce piètre écrivain québécois qui fait chavirer le cœur et l’esprit de milliers de lecteurs québécois. Elle n’en peut plus, elle, Sapho-Didon Apostasias. On lui parle toujours de Laflamme, de son Antigone, son flagrant portrait, de tous ces avatars de Réjean Ducharme, de tous ces pseudos-écrivains du Québec. Elle n’en peut plus du Québec ? Mais ça va aller. Ou pas. Parce qu’elle veut en finir. A la place de « ça va aller », ça pourrait s’appeler j’ai la haine, j’ai la rage, je veux mourir… Je pourrais rajouter plein de sous-titres mais je retiens surtout cette notion de rage et de désespoir, cette incessante envie d’en finir quand on n’est plus à sa place, quand on ne trouve plus sa place dans cette société-là. Et de ça, je le comprends parfaitement. La haine. Je la comprends parfaitement. Le dégoût. Même dans les flaques de sloche.

« Montréal en mars est parfois comme une caresse. Je pose avec délectation mes pieds dans les grandes flaques de sloche, je me laisse soulever par la douceur de l'air plus doux et j’éclabousse mon grand manteau noir en gloussant de plaisir. C'est le dégel qui, cette année, nous vient en avance, comme un messie. Que m'annonce cette fonte du monde qui m'entoure ? Que s'écoule-t-il dans ce ruissellement des eaux ? Qu'advient-il de moi au printemps ? Qu'arrive-t-il aux filles qui n'ont plus rien à perdre ? Aux filles perdues dans les rues de Montréal où il est impossible de ne pas trouver son chemin ? Que deviennent les Didon québécoises ou les Antigone des cieux floconneux ? »

mardi 8 novembre 2022

Saudade

Une fille se promène dans les rues de Lisbonne, sur les pentes de l'Alfama. La fille du chanteur, c'est ainsi qu'on la nomme, qu'elle se décrit. Elle n'a pas eu d'autres existences que celle-là. On lui annonce son père mort, disparu sans laisser de traces. On lui montre une photo, légèrement floue. Son père, chanteur de rue, dans une rue de Lisbonne. Elle qui n'a jamais eu de vie, de mère, de père. Elle qui a toujours été dans l'ombre de cette homme, idole adulée avant de devenir ermite retiré.
 
"À l'ombre des arbres, des types en sandales, bermudas et tee-shirts, cheveux en pagaille et barbe de six jours, sirotent des rhums arrangés en attendant la fin du monde, sans inquiétude apparente. Je prends place et les imite, me laisse bercer par l'alcool. Les lèvres couvertes de sucre et de vanille, me noie dans la douceur de leur langue, dont je ne saisis rien, pas le moindre mot. Je regarde l'heure. Comme hier la nuit sera longue à venir. Rien ne la presse. Aucun agenda, aucune occupation."
 
Saudade. Une musique mélancolique, triste et chaloupée, se coule le long du Tage. J'y retrouve mes vieilles idoles, mon adolescence. Sur les pentes escarpées de la ville, j'aperçois Daniel Darc et Alain Bashung. évaporés dans la brume. Au détour d'un chapelle, il me semble croiser l'ombre d'une Patti Smith et d'un Bertrand Cantat. La nuit, les airs  s'improvisent. Appuyée contre un réverbère, Marianne Faithfull y fume sa cigarette, sous la lumière bleutée et incandescente de la lune. Dans les rues de Lisbonne, mes pas me guident vers tous ces bars et restaurants, mon esprit flotte dans le courant de cette musique, une guitare, un fado, l'ombre de mes souvenirs. Je plonge dans la nuit blanche, comme du haut d'une falaise. Plus rien ne s'oppose à la nuit.

samedi 5 novembre 2022

David Bowie est Mort

 
Romy a 16 ans. Dans sa chambre, des posters de son idole, David Bowie, tapissent les murs de son refuge. En boule sur son lit, son chat Bowie, de plus en plus solitaire. Un peu boulotte, un peu myope, histoire de ne pas dire trop, elle se sent bien dans sa peau, malgré le ravage de l'adolescence, garde le sourire dans une famille que le regard des autres qualifierait de marginal. Un seul ami, mais parfois cela suffit. A la nuit tombée, lorsque les étoiles commencent à s'allumer, une musique vient bercer son crépuscule. Un compte à rebours entonné des milliers de fois, Major Tom est paré au décollage. Ses nuits avec Bowie. Des nuits où elle se confie, à son chat Bowie et à son idole, David. Des nuits où les rêves s'invitent dans les draps de l'adolescente, attendant l'odeur du chocolat chaud venu emplir le Domaine dans la brume du petit matin.
 
Elle n'ira pas à l'école ce matin. Elle ne comprend pas pourquoi mais comment refuser à un tel ordre de sa maman, si proche et si aimante. Si belle aussi. La police vient, visite de routine - ou pas. Interrogatoire informel au début, jusqu'à ce que la situation s'aggrave. Une élève du lycée a été retrouvée ligotée et en hypothermie dans le cabanon de son jardin. Elle décédera par la suite. L'enquête se poursuit. Qui en voulait à la méchante Greta Sanchez, la tortionnaire du lycée ? La liste des suspects pourrait être longue mais Romy et son entourage figure en pôle position, Romy étant la souffre-douleur préférée de Greta...