jeudi 31 mars 2022

Blue Train dans la Nuit


  Gare d’Austerlitz, le billet en poche. Salle de départ aux alentours de 20h et des poussières, direction Briançon, arrivée prévue 7h53 au petit matin. J’imagine déjà la neige voletant sur le quai de gare, comme un salut à mon arrivée. Une nuit, tranquille, au rythme du tchou-tchou nocturne et répétitif, sans trop faire de bruit, du silence pour tourner les pages de mon roman, une petite fiole de whisky embarquée dans la double poche de mon blouson. Philippe Besson sera de ce voyage, Valence le premier arrêt du train, une ville endormie au cœur de la Drôme, un joli coin de silence et de rêves oubliés. Valence, personne sur le quai, je ne descends pas et continue mon périple jusqu’au bout de la nuit. Blue Train.

« Il est 23 heures largement dépassées. La nuit est très profonde et aucune lueur ne vient la contrarier. L’Intercités traverse une France inhabitée, des champs à perte de vue ou des forêts dangereuses. »

Prendre le train de nuit est une expérience, l’occasion de faire des rencontres, de lever les yeux de mon livre, de parler peut-être aux « visiteurs » de mon compartiment. Je prends la couchette du bas, je laisse celle du haut à cette jeune femme brune, au sourire éclatant (un parfum de jasmin ?). Elle me branche Coltrane et Weather Report, elle en connait un rayon, la nana, jazzophile. D’ailleurs, c’est la conversation la plus intéressante que j’ai eu depuis des années, des années cantonnées à commenter le bulletin météorologique de la région. Elle enchaîne sur Bashung, lorsque le halo d’un réverbère fatigué illumine les premiers reliefs du Vercors, là où il est question de sauter à l’élastique et de voler des amphores au fond des criques. La nuit, je mens.

mercredi 23 mars 2022

Madame Fume des Gauloises


 C’est pas que ça me gêne de marcher dans la boue, mais bon, jusqu’à présent je n’avais jamais laissé traîner mes sabots dans la Creuse ? La CREUSE ! oui. Tu connais ? Y’a des champs, y’a de la pluie, y’a de la boue. Alors c’est chaussé de grandes bottes en caoutchouc que j’arpente les terres creuses. Oui, je sais ça fait pas rêver, la CREUSE ! Alors là, je sens les insultes creuses qui vont envahir mon espace virtuel, pour peu qu'il y ait au moins du réseau dans cette lointaine et boueuse contrée ? La Creuse, je ne pensais jamais y aller alors que j‘ai tant arpenté las pâturages du Montana ou du Wisconsin. C’est que j‘aime le nature writing, la littérature de la boue et des grands espaces, et malgré tout la CREUSE pourrait être un p’tit coin de nature à la française, genre un plateau des milles bisons, où il fait bon y écrire. Et y boire, aussi, surtout. C’est que j’aime bien boire un verre de vin avec Madame qui fume des Gauloises… D’un autre temps, cette Creuse, j'vous le dis.  

« Quand la fumée des Gauloises ne suffit pas à soulager le dégoût qu’elle a d’elle-même, à renouer avec sa grandeur méconnaissable sous ses oripeaux, elle s’accorde un peu de vin. Assez peu. Son organisme le tolère mal et l’entraîne vite dans un trouble mélancolique, sans qu’elle puisse le prévoir, et qu’elle doit corriger à l’aide d’autres verres jusqu’à tomber dans un sommeil pâteux. »

jeudi 17 mars 2022

Une Nuit dans un Pub Irlandais


Tu regardas par la fenêtre. Il pleuvait dehors, dors. Pourtant tu n'avais pas sommeil, la nuit se faisait noire, la pluie froide. Elle dégoulinait le long de la vitre, laissant des traces à travers le reflet du clair de la lune. Tu enfilas un vieux sweat, odeur de sueur et de cigarettes. Ta veste. Tu sortis, sous la pluie, sous la nuit, les cheveux trempés en quelques secondes, les os à essorer. Pas d'étoiles ce soir, des nuages lourds et noirs. Un brin de lumière aux détours de cette rue, réverbères fatigués, tu t'y dirigeas, comme un zombi perdu dans ce coin obscurci. Tu entras, lumières tamisées, t'attendis à un vacarme, avant de comprendre que la tempête emmena le calme. Un pub au milieu de la nuit, au milieu de la pluie. Assis au comptoir, on te servit une pinte, sans même te regarder, l'habitude des gens, des vies, des nuits. Une envie, le regard par terre, poussière de cendres et de sciure, tes pieds s'engagea vers le fond du bar, à droite du comptoir, la porte des toilettes, celle de gauche, MESSIEURS écrit en gros, et des bites en train d'éjaculer dessinées au feutre. Pisser à gros jets, plaisirs saccadés.    
 
"Un générateur invisible bourdonnait. Un robinet gouttait, la lumière clignotait sur les carreaux de faïence rose. Tu frissonnas, oublias de te voir dans la glace et entras dans une des toilettes.
Tu défis ton pantalon et t'assis. Le siège était froid, pisser, un soulagement. Les coudes sur les genoux, tu appuyas les doigts sur tes yeux bien fermés. Tu sentis monter en toi un hurlement, juste sous la surface : un sentiment de solitude que tu ne pouvais pas garder pour toi. Tu inspiras violemment comme si tu avais passé plusieurs jours sous l'eau, tremblant de tout ton corps. Tu donnas un coup de poing dans la cloison et une vague de douleur  te parcourut le bras. Pantalon remonté, tu ouvris la petite porte à la volée, furieux de découvrir dans la glace que tu avais encore le teint clair, un visage juvénile. Tes lèvres rouges, les traits ronds de ton visage doux. Le poing serré, juste une fois, mais cela te suffit à te faire mal." 

dimanche 13 mars 2022

Good Luck !


Le vieux, tout en sueur, flic à la retraite consciencieux à la Memory of Murders, grimpe les vingt étages à pieds, portant sur son dos des cages en bois, des pigeons voyageurs enfermés. De là-haut, il voit Séoul se lever, l'immensité se dresser à lui comme ces barrières montagneuse au loin. De l'autre côté, le Nord, sa vie d'avant, sa famille est-elle encore en vie. Un jour, il enverra ses pigeons avec peut-être des messages accrochés à leurs pattes, je suis en vie, je pense à vous, paix, harmonie, amour toujours, évidence... Le soleil se couche dans la rivière Han, M. Cho redescend alors, toujours par les escaliers, c'est pas tout ça, mais maintenant il est concierge de cette immeuble, les promoteurs l'ont appelé le Good Luck !
 
D'un poil soyeux, elle descend au salon de coiffure, se faire admirer, se faire caresser, la petite chatte. Kitty, un peu rebelle, un peu solitaire. D'où vient-elle, qui est-elle, à se parer de la lumière du soir, à se cacher à mon regard, à venir se coller à moi, le poil mouillé. Une messagère, de l'amour, de la vie, une chatte qui feule de plaisir entre les étages du Good Luck ! Je ferme les yeux, et je continue de sentir cette jolie chatte aux poils noirs venir se frôler à moi... Doux rêves. Caresse. 
 
"Je crois que Salomé frissonne quand je dis ces mots. Pour elle, je le sais, les histoires ne sont pas seulement des histoires, ce sont aussi des sensations qui l'effleurent, qui brûlent sa peau, des coups d'aiguille dans ses jointures, des vagues lancinantes derrière ses yeux. Elle les demande et elle en a mal, elle les craint. Il me semble que j'entends les battements de son cœur à travers la peau de ses avant-bras, je vois les pulsations sur son cou renversé, à la hauteur des jugulaires.
Mais je dois continuer, coûte que coûte, même si chaque histoire que je raconte à Salomé lui enlève un instant de vie."
 

mardi 8 mars 2022

La Jeune Fille et la Mort


En ouvrant la porte de chez moi,
J'ai vu sept yeux de chats briller dans le noir.
Je n'ai que trois chats,
Un blanc, un noir et un tacheté.
Je n'ai pas osé allumer la lumière.
 
Voilà pour l'ambiance, première page addictive. Je ferme les volets, laisse le feu de cheminée s'enflammer. Dehors, des vents violents, une neige lourde et mouillée tombe presque à l'horizontale. Le blizzard coréen se déchaîne. En plus pas de réseau, le genre de zone blanche perdue au milieu de la forêt et où les fantômes peuvent surgir de chaque ombre pour vous entailler la jugulaire. Six personnes sont enfermés dans un chalet, le sang dégouline en silence, les victimes s’enchaînent au rythme des bourrasques du blizzard... Je me réveille en sursaut, le corps en sueur, avec ce sentiment de puer la peur - ou la mort. Tiens ? ça goûte quel parfum, la mort ? La fer sanguin, la chair en putréfaction... Je m'asperge le visage d'eau glacée, je dois reprendre mes esprits. Une musique. Je l'entends au fond d'une cave ou au tréfonds de moi-même, cet air lancinant qui me chatouille l'esprit, la Jeune Fille et la Mort, de Schubert ou de Munch. Tu as vu le film de Polanski ? Une histoire de vengeance. Sombre et entêtant, je m'emporte dans l'obscurité de mes pensées. Il y fait noir, comme plongé dans un puits sans fond. J'y erre, dans ces obscures pensées, un coup à gauche, un coup à droite, guidé tantôt par le violoncelle, tantôt par le violon, un labyrinthe dans lequel je ne trouverais ni sortie ni rédemption.   
 

jeudi 3 mars 2022

Le Fossoyeur


Nous sommes le 22.02.2022, cela fait beaucoup de 2 à graver sur une pierre tombale.

Une voix grave et rocailleuse d'ailleurs s'élève et un album que j'écoute souvent en boucle, se pose sur ma platine, sombres pensées prémonitoires d'un Blues Funeral, sortie en 2012. Son blues funéraire a ainsi duré 10 ans. Pour lui. Pour moi, bien plus, l'album restera gravé bien plus longtemps dans mon âme.
 
Sombre et alcoolique... enfin j'dis ça, j'sais pas... mais bon, comme tout bon irlandais, pléonasme. Pour ajouter une note d'humour dans un billet funéraire.

Je ne connais pas toutes ses participations musicales, un peu touche à tout sur le plan musical, mais je reconnais sa voix les yeux fermés, un peu comme Leonard Cohen je l'imagine. Je l'ai ainsi découvert en solo avec cet album à la couverture fraîchement végétale, comme ma Dead Pony Club, puis un peu avec les Queens of the Stone Age de son pote - et le mien - Josh Homme. Autre pote, Nick Cave. 

Tant de noms qui me parlent, qui m'émeuvent, qui me transportent dans un champ de poussière, funéraire. Je m'allonge et j'écoute, une nouvelle étoile dans le ciel. 


Mark Lanegan
The Gravedigger's Song