dimanche 24 novembre 2019

La Voix d'Einstein

« L'après-midi m'a gratifié de deux évènements notables. Tout d'abord, un travailleur scientifique à la gueule de faune m'a rendu visite. Il m'appelait déjà Pierre le Grand, son pseudonyme à lui était Vespasien. Il m'a demandé de lire et de contresigner son étude de veux-deux pages au titre grandiloquent : L'évolution des mœurs du travail et le recul de l'alcoolisme dans la première période de la construction du socialisme développé. Je ne me souviens plus de tous les détails de son argumentation, je sais en revanche qu'il préconisait l'augmentation drastique du prix des spiritueux, ainsi que l'introduction provisoire de la bastonnade et du matriarcat pour le cas où on ne réussirait pas à ramener la consommation d'alcool sur les lieux de travail au-dessous du seuil critique de trois bières et d'un demi-litre de vin par jour. J'ai trouvé ses déductions et ses propositions un peu sévères. Vespasien m'a confessé alors qu'à l'origine, il préconisait la proclamation de l'état d'urgence, mais l'académicien Ember Scätozar, un homme âgé et même malade, donc parfois très indulgent, soutenait mordicus qu'il fallait créer des commandos de jeunes mères afin de détruire les bistrots, ou bien utiliser la persuasion idéologique :  on devait fustiger les vestiges de l'alcoolisme qui persistait encore ici et là en organisant des réunions extraordinaires et publiques du parti. Qu'en pensez-vous ? m'a t-il demandé. 
- Retravaillez votre étude, camarade Vespasien, ai-je proposé, car je ne savais pas quoi dire d'autre.
- Je l'ai déjà travaillé deux fois, camarade Pierre le Grand.
- Cela ne fait rien. Retravaillez-la une troisième fois.
- Et à votre avis, dois-je tenir compte des suggestions du camarade directeur général ?
- Certainement, ai-je dit.
- Et que proposez-vous, camarade sous-directeur ?
- La même chose que la camarade directeur général. Au travail ! Ne vous découragez pas, camarade Vespasien, j'ai confiance en vous.  »

Alors qu'un mur s'effondre, nous nous aventurons en Absurdistan, ce pays méconnu d'Europe de l'Est. Nous, c'est à dire Moi et Mon Moi Inégalable, cette petite voix intérieure qui me montre la voie à prendre, ou à dévier - et les déviances, ça me connait dans ma putain de vie. Mon Moi Inégalable m'est parvenu comme ça un jour, sous les traits d'Einstein, une mine donc confiante pour survivre en terrain (dé)miné. Ils sonnent les cloches pendant qu'une révolution se joue. Seul dans mon bureau, à regarder le monde, du moins ce globe-terrestre qui tourne à portée de main, voulant profiter d'une journée pépère, espérant juste baiser ma douce ce soir...  

mercredi 20 novembre 2019

Poussière et Vent


C’est par une nuit d’insomnie que débute toute lecture. Une insomnie sans whisky, bien que ça rime la nuit. Il y avait un vieux bouquin, tout petit, tout fin, d’un auteur que je ne connais pas, Bobin là aussi ça rime comme un bon verre de vin. Longtemps, je me suis pris ce livre, entre les mains, sans l’ouvrir, juste pour observer la couverture. La photo interpelle, belle, la lumière du noir et blanc, le papier jauni, les vagues qui s’échouent sur le rivage, le regard porté au loin. Et puis Christian Bobin, j’en ai souvent entendu du bien. Alors…

« Vous faite une promenade dans la neige. C’est la première neige de l’année. C’est comme chaque fois la première neige de votre vie. Elle est légère comme l’esprit. Elle est claire comme l’enfance. Elle est blanche, toute blanche comme l’esprit d’enfance. Elle recouvre la pensée. Elle éclaire le cœur. Elle est votre vie blanche. »

Alors, je lis la première nouvelle, oui, c’est un recueil. Et rapidement j’arrive à la dernière. Il fait froid, toujours nuit, mais le silence est là. J’aime ce silence dans le noir, le meilleur moment de ma vie. Pour les nouvelles, j’ai déjà oublié tout ou presque. De leur histoire, de leur contenu, de leur poésie. Bobin parle de l’amour, parle de l’enfance, parle de Dieu, parle du silence aussi. Le silence, ça me parle. Les autres sujets, je ne sais pas, ne sais plus. Il parle de neige, aussi, et j’aime le silence de la neige. L’un est indissociable de l’autre.

samedi 16 novembre 2019

Addiction


« Je m'enfile le Jack d'un trait et tends le verre pour réclamer Daniel's. Il arrive avec le sourire et plonge dans ma gueule aussi sec. »

S’enfiler quelques cachetons sous la langue et s’envoler.
Glisser un petit comprimé de benzodiazépine et s’évader.
Quand l’insomnie te prend depuis des années, les cachets ne font plus effet. Alors, tu augmentes la dose. Tu es bien meilleur prescripteur que cette bande de psychiatres avides de leur compte en banque. Alors, deux d’abord au réveil, puis trois, puis cinq.
Un joint, ou deux, bien roulés.
Tu as toujours la main à la poche, tentation permanente de plonger la main vers une nouvelle plaquette de pilules.
Et puis tu te sers un verre, ou trois. Du Elijah Craig, 18 ans d’âge, pour les grandes occasions.
Les nuits, tu les passes en tête à tête, avec tes potes, Jack et Daniel’s. D’ailleurs, Cath et Pierre, viennent te voir demain. Mais quel demain sera.
La chaîne stéréo distille sa symphonie de guitares tonitruantes. Il y a de quoi grésiller dans les tympans et de se sortir de cette torpeur nonchalante.
Je me sers un verre moi aussi, pris dans cette addiction. Celle de l’écriture, et de la page blanche. Alors, je reprends un second verre.
Un téléphone qui sonne. Kurt Cobain qui braille Smells like teen spirit.  

dimanche 10 novembre 2019

Cours de Biochimie

Cela commence comme dans un rêve. Deux filles superbes et brunes descendent de voiture, je regarde leurs sourires dans ma combinaison bleue de garagiste, un short moulant, une mini-jupe mini, ce parfum d'ivresse, de jasmin et de chatte humide. Je fond pour un sourire, et craque pour leurs culs croquants. Terriblement bandant cet effet qu'elles me font sur une route ensoleillée de l'Andalousie, dans la province d'Almeria. J'ai chaud, même dans les rêves, dès qu'il y a du soleil, je sue à grosses gouttes de plaisir de voir ces courbes danser autour de moi, comme un morceau de glace dans un verre de mojito, ces seins qui dansent le hula hoop sous mes yeux prêts à gicler des larmes de bonheur et de jouissance. Pour parfaire la tableau idyllique de cette scène, la radio diffuse un extrait de « Ummagumma », le plus grand album rock de l'histoire du rock et de tous les temps. Cela en devient presque trop pour moi, l'éjaculation est déjà au bord du drame quand je pose ma main au bord de leurs fentes sans défense et ouvertes à mes propositions.

C'est à ce moment-là que je me réveille, me demandant ce que je fais dans cette putain de vie qui n'en finit pas. J'avale ma salive, amère, en même temps que mon comprimé blanc et ovale. Le café coule, ploc-ploc, au goutte-à-goutte dans la cafetière. Noir, un demi-sucre pour accompagner ma triste destinée dans un monde où la biochimie s'est substituée à mon plaisir. Mon taux de sérotonine (c'est fou comme ce mot me renvoie à mes cours de biochimie de M. Pelmont) sanguin croit en même temps que la ferme virilité de mon membre décroit. Point final d'une vie.

mardi 5 novembre 2019

Assassin ou Démon


Cela fait longtemps que je ne t’ai pas ressorti l’histoire du pick-up poussiéreux que je gare aux abords d’un bar tout aussi poussiéreux. C’est presque par hasard que j’ai roulé jusqu’à Central City, Texas, guidé par le vent, emporté par la poussière. Forcément, j’y entre, dans cet antre miteux, au risque de le voir s’effondrer sur moi et ainsi me transformer en poussière. Forcément j’y commande un verre de bière, un shot de whisky. Forcément, je regarde la serveuse pulpeuse qui roule du cul – bien mieux que mon pick-up d’ailleurs – entre les tables poussiéreuses et enfumées – oui, c’était encore l’époque où l’on pouvait encore fumer et caresser la croupe de la serveuse, sans que personne ne s’en offusque.

« Ici, au pays du pétrole, on trouve pas mal de maisons semblables à celle des Branch. Dans le temps, c'étaient des ranches ou des fermes ; mais des puits de pétrole ont été forés autour, parfois même jusque sur le seuil, et tout le voisinage s'est transformé en un cloaque de pétrole, d'eau sulfureuse et de boue rougeâtre cuite et recuite par le soleil. L'herbe est morte. Les sources et les ruisseaux ont disparu, mais les maisons sont restées, noires et abandonnées au milieu d'un fouillis de sauges, de tournesols et de sorgho. »