dimanche 27 septembre 2020

Le Repos des Cueilleurs de Mangues

A quoi tient un génocide. A une histoire de nez. Trop gros ou trop épaté. Triste à concevoir. Hutu ou Tutsi. Blonde ou Brune. Gaël Faye revient sur son histoire, celle de son pays, celle de ces deux peuples mis à mort.

« Le cabaret était la plus grande institution du Burundi. L’agora du peuple. La radio du trottoir. Le pouls de la nation. Chaque quartier, chaque rue possédait ces petites cabanes sans lumières, où, à la faveur de l’obscurité, on venait prendre une bière chaude, installé inconfortablement sur un casier ou un tabouret, à quelques centimètres du sol. Le cabaret offrait aux buveurs le luxe d’être là sans être reconnus, de participer aux conversations, ou pas, sans être repérés. Dans ce pays où tout le monde se connaissait, seul le cabaret permettait de libérer sa parole, d’être en accord avec soi. On y avait la même liberté que dans un isoloir. Et pour un peuple qui n’avait jamais voté, donner sa voix avait son importance. Que l’on soit grand bwana ou simple boy, au cabaret, les cœurs, les têtes, les ventres et les sexes s’exprimaient sans hiérarchie. »

L’enfance et son innocence qui consiste à chaparder des mangues juteuses dans le jardin de la vieille voisine, j’y suis, j’y étais, une autre époque. Des odeurs de poulet qui s’élèvent dans la nuit, l’Afrique, je l’aime pour ça et pour ces rencontres assis sur une caisse de bière vide, à parler ou à écouter, la bière légèrement chaude, le bruit et la nuit qui s’en coule, découle dans la suave moiteur d’un boui-boui, à peine éclairé par une lune fuyante.

mardi 22 septembre 2020

Le Cactus Solitaire

Je la vois de l’autre côté du quai, elle attend probablement le train d’une direction opposée à la mienne. Je la suis du regard. Je l’imagine s’appeler Guadalupe, guapa de la palapa. Le ciel s’assombrit, un orage s’abat sur les toits de Santa Helena, une rousse apparaît au milieu du tableau comme un parasol en papier au milieu d’un verre de piña colada. L’eau fraîche ruisselle sur son corps nu, caresse sa peau, lèche ses humeurs. Je regarde ses paupières, le sourire de celles-ci provoqué par ces fines rides qui habillent sa vie. Je sors mon zoom, n’y vois pas de mauvaises intentions, guapa, je suis photographe de paupières. 

Je pénètre dans le restaurant bondé, un parfum de chili, hot hot los jalapeños, du bruit et des rires, jolies mexicaines aux jambes caramélisées ; je pénètre dans les toilettes, celles pour dames. Je respire, sent ces odeurs, observe ces traits de rouges à lèvres sur un miroir, observe ces traces jaunes d’urine le long de la cuvette. J’hume cet exquis parfum, n’y vois pas d’esprit malsain, guapa, je suis chasseur d’odeur. Et je te respire Fleur, je vais te chercher à travers toutes les toilettes de la ciudad.

mardi 15 septembre 2020

Les Colonnes



« Claire était venue s’asseoir près de moi. Elle sentait la fougère et le soir qui descend sous les arbres. Une odeur qui m’était devenue familière. Comme l’étaient à présent la douceur au bout de ses doigts, la chaleur de son ventre, ses yeux écartés et son cou de roseau. »

J’échoue dans ce petit village de campagne, la voiture sur le bas-côté. Fin du voyage, fin d’une vie. S’abandonner ici, que certains qualifieront de trou perdu. Se lever avant le soleil, faire quelques longueurs dans l’eau froide de la rivière, et se fondre dans la nature sauvage de cette forêt sombre. L’esprit vide par ce sentiment de sérénité qui accompagne la langueur de mes mouvements de brasse, je sors de l’eau, l’orage gronde éclaboussant de sa fulgurance le silence de ce décor champêtre. De grosses gouttes se fracassent contre le calme de la rivière, juste le temps de sentir l’odeur de fougère qui s’évapore avec la venue des premiers rayons de soleil perçant l’horizon nébuleux. Je marche sous un ciel de traîne jusqu’au moulin, là où j’ai laissé mes cannes à pêche.

Sur la place du village, il y a cette librairie qui périclite au fil des jours et des saisons qui défilent dans cet arrière-pays. Il y a Armand, un autre vieux solitaire, qui tient encore tête aux banquiers et à leurs créances, question de survie d’un certain mode de vie. Il y a surtout Claire, sa nièce venue s’échouer également dans ce village. Elle a l’air éteinte, le regard presque triste. Ce coin perdu semble être celui des âmes échouées, des âmes solitaires qui ont perdus le sens de la vie, la motivation de l’envie.

vendredi 4 septembre 2020

La Huppe Fasciée




Assis sur un rocher, le regard mélancolique, l’homme regarde pensivement la vue qui se porte à son horizon. De dos, le torse nu sous le soleil austral, il écoute cette douce mélodie proposée par quelques oiseaux venus s’échouer sur ses côtes, dans la mire de ses jumelles. Fasciné, il les observe : bécasseaux maubèches, chevaliers aboyeurs solitaires, chevaliers sylvains des Balkans, courlis de Sibérie, courlis corlieux, pluviers argentés, et encore bécassines du Japon, martinets de Sibérie. Il les identifie tous, il les croque, il les inscrit dans son calepin, un travail de patience et de silence. D’ailleurs, l’amour n’est que patience et silence. Il semble leur parler avec douceur, d’une voix faible teintée de tristesse et d’abandon, l’homme qui murmurait aux oreilles des oiseaux, fasciné par cette huppe fasciée venue se poser devant le silence de sa vie.

« La dernière fois qu'il était venu ici, il y avait des paysans dans les champs. A présent, la zone derrière les lignes était entièrement dévastée. La terre y était un vaste étal de chiffonnier, jonchée des restes épars des deux camps : des éclats d'obus et des obus entiers de toute taille, dangereusement intacts, de vieux sacs de sable piétinés et enfoncés dans la boue, une boucle avec sa longueur de sangle, le fer d'un outil de fortification, des photographies écorchés, des cartes à jouer, des paquets de cigarettes, des pages de romans à quatre sous et des dépliants imprimés en anglais, allemand, français, des débris de papier d'emballage, des fourchettes et des cuillères tordues, des lambeaux d'étoffe dépareillés qui auraient pu être vert-de-gris, bleu horizon ou kaki - il n'était plus possible de les distinguer ; des bidons fracassés, des timbales cabossés, et partout des fragments d'humanité adhérant encore au bois, au métal, au tissu, ou flottant dans l'écume verte des trous d'obus, ou vomis de la gueule des rats. Ils se frayèrent un chemin à travers tout ça. Une fois encore, ils creusèrent. »