mardi 31 octobre 2017

Au Duck Tape

Quelque part entre la Virginie Occidentale et la Caroline du Nord. J’entre dans un bar, le Duck Tape, quelques vieux pick-up garés devant. Le moteur d’une Ford Mustang vrombit de tous ses chevaux. En attendant ma bière servie par un barman manchot, le jukebox déverse une musique country à dépoussiérer mon stetson et à friser la barbe du client boiteux. Avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que mon regard n’a d’yeux que pour la jeune conductrice de ladite Ford Mustang qui vient de pénétrer dans ce lieu retiré de la civilisation. Une minirobe avec une belle paire de santiags. J’adore la façon dont ses santiags l’habillent.

Après ce préambule victime de la mode, et la découverte des autochtones tendance plouc, Adam Driver dans le rôle du manchot, Channing Tatum dans celui du boiteux, j’imagine également un Daniel Craig blond peroxydé – le costume à rayures fournit par l’institution pénitentiaire en impose autant qu’un costume au service de sa majesté, sortir de tôle pour un braquage dans les règles de l’art façon Ocean’s Eleven où Las Vegas aurait été remplacée par la ville de Fargo. Sur un anneau de vitesse, des voitures à la boite de vitesse mécanique tournent en rond, des billets de banque volent dans une chambre forte, des cafards portent les couleurs d’un code rose.  

lundi 23 octobre 2017

Notes de Comptoir

Accoudé seul au comptoir d’un bar, lumières tamisées, néons qui clignotent, un barman qui prend des notes, notes pour un roman, futur roman sur les poivrots, ivrognes, paumés de Los Angeles. La nuit, tout est différent, surtout dans un bar où la consommation d’alcool se déverse en un flot de chapitres courts comme autant de minuscules nouvelles sur mon thème de prédilection. Une bière, un whisky. Pour commencer la soirée, avant de tourner la première page de ces épatantes « ablutions » alcooliques. Parce qu’il s’agit avant tout de purifier ton âme et  mon âme !

Outre ce barman qui prend des notes, notes pour un roman, je croise les regards d’autres poivrots, cet absence de pétillement dans les yeux, ce sentiment de honte dans le regard. Des videurs, le regard vide sur toi dans le genre je me fous de toi du moment que tu ne gerbes pas sur mes mocassins noirs. Des fourgues, venus écouler leurs pilules de drogue, hey l’ami moi je carbure à l’aspirine tu n’as pas le modèle générique à me revendre. Ma femme, le regard humide où se mélangent des sentiments comme la colère, la tristesse et le dépit. Des nanas, qui boivent, seules ou accompagnées, qui écoutent là elles sont seules, qui dansent une ficelle dans le cul ou le cul à l’air là elles sont regardés par des dizaines de paires d’yeux à la limite de la lubricité… Bref, de beaux portraits de notre société à lire et à lubrifier.

« Il te jette un torchon au visage et t’indique le chemin des toilettes. « Nettoie tout ça », ordonne-t-il. Il est furieux mais tu ne tentes ni de t’excuser ni de manifester le moindre repentir ; contournant la queue, tu pénètres dans les toilettes pour hommes où tu trouves un gros tas d’excréments déposé sur la lunette des cabinets. Bien qu’il s’agisse là de ce que tu redoutes le plus dans ton travail, tu ne soupires même pas mais te saisis d’une poignée de serviettes en papier et, retenant ton souffle, ramasse le tas afin de le déposer doucement dans la cuvette bouchée et sur le point de déborder, mais il est trop lourd et tu le laisses tomber dans l’eau sale. Des éclaboussures jaillissent en te mouillant les cuisses, tu inhales l’odeur et tu vomis instantanément comme un extincteur, sur la lunette, la chasse d’eau et une partie du sol. Simon est debout derrière toi. « Faudra que tu nettoie la gerbe aussi, mon pote, dit-il. C’est comme ça. »


jeudi 19 octobre 2017

Ces Oubliées de l'Argentine

Andrea a 19 ans. Elle fut retrouvée poignardée dans son lit. L’orage en gronde encore.
Maria Luisa n’a à peine 15 ans lorsqu’on la retrouve dans un terrain vague. Son corps ou des bouts seulement, décharge sauvage entre les herbes folles et les serpents.
Sarita a disparue à 20 ans. Pas de corps, pas de trace. Présumée morte, faut-il garder un espoir de la retrouver.

Selva Almada s’intéresse à ces trois jeunes filles. Trois destins anonymes au milieu de milliers d’autres semblables dans cette Argentine des années 80. Elles sont nombreuses, jeunes filles ou femmes, à disparaître, à se faire tuer. Et pour combien trouve-t-on un coupable ? 

« Tu connais l’histoire de la Huesera ?
Je fais non de la tête.C’est une vieille, très vieille dame qui vit dans le recoin de l’âme. Une vieille femme sauvage qui caquète comme les poules, chante comme les oiseaux et émet des sons plus animaux qu’humains. Son rôle est de ramasser les os. Elle rassemble et garde tout ce qui risque de se perdre. Sa cabane est remplie de toutes sortes d’os d’animaux. Mais elle aime par-dessus tout les os de loup. Pour les trouver, elle peut parcourir des kilomètres et des kilomètres, grimper sur des montagnes, franchir des ruisseaux à gué, brûler la plante de ses pieds sur le sable du désert. De retour dans sa cabane avec une brassée d’os, elle compose un squelette. Quand la dernière pièce est en place et que la figure du loup étincelle devant elle, la Huesara s’assoit près du feu et pense à la chanson qu’elle va chanter. Une fois que sa décision est prise, elle lève les bras au-dessus du squelette et commence son chant. A mesure qu’elle chante, les os se couvrent de chair, la chair de peau et la peau de poils. Elle continue à chanter et la créature prend vie, commence à respirer, sa queue se tend, elle ouvre les yeux puis, d’un bond, quitte la cabane. Lors de sa course vertigineuse, à un moment, soit en raison de la vitesse, soit parce qu’elle pénètre dans les eaux d’un ruisseau pour le traverser, soit parce que la lune blesse directement l’un de ses flancs, le loup devient une femme qui court librement vers l’horizon, riant aux éclats.Telle est peut-être ta mission : rassembler les os des jeunes filles, les recomposer, leur donner une voix pour les laisser ensuite courir librement quel que soit l’endroit où elles doivent se rendre. »


mardi 17 octobre 2017

Un Train pas comme les Autres

Seok Woo, divorcé et cadre toujours débordé à l’image de la société asiatique, doit accompagner presque à contrecœur sa fille Soo-an à Busan pour rendre visite à sa mère. Je prends mon billet aussi, le train y’a rien de mieux pour découvrir un pays, et la Corée du Sud, je ne connaissais pas vraiment avant. Mais ça c’était avant, parce que maintenant que j’ai pris le « dernier train pour Busan » pas sûr que j’en ressorte vivant.

Je ne sais pas pourquoi mais je ne le sentais pas trop ce voyage. Déjà, le train est une exacte réplique de notre TGV, en plus propre et en plus zen – bon du moins au début, avant que des passagers ne se mettent à hurler et d’autres à tâcher les sièges d’un sang carmin sombre. Je me dis même que soit les coréens nous ont piqué la technologie, soit on leur a donné tout notre savoir. Enfin, je fais pas de politique, je prends juste le train et j’ai oublié de composter. Panique à bord. J’attends un contrôleur en gants blancs, une jeune femme rentre tout essoufflée à bord, juste avant que les portes ne se referment. Je regarde la télé – oui y’a la télé dans le train là-bas, le départ fut un peu précipité ce matin et j’ai oublié de prendre une BD genre The Walking Dead. D’ailleurs, peut-être que la série sera diffusée intégralement pendant mon voyage qui risque d’être long, long… Et les chiottes toujours occupés… Panique à bord. Effectivement, je vois à la télé des émeutes, des gens se comportant bizarrement, dans le genre presque zombies. Ah non, ce sont juste les infos télés. Une épidémie en Corée du Sud, encore un coup du Nord.

vendredi 13 octobre 2017

Une Rivière de Rhum, l'Indian Stream

En l’an de grâce mille huit cent trente-huit, il existe un pays sans foi ni loi, où la loi n’est pas dictée par des autorités éloignées, où la foi se décline dans une taverne à coup de godets de rhum. Cette petite enclave, qui n’appartient à personne encore moins au Canada ni au New-Hampshire - qui d’ailleurs se livreront une petite guerre, est la République de l’Indian Stream. Quelques centaines d’habitants, mélanges cosmopolites de fermiers usés, de trappeurs et d’hors-la-loi, des contrebandiers et assassins, y vivent presque paisiblement. Blood, au passé caché donc forcément douteux, prend sa charrue, l’âme commerçante l’anime. A son bord, des barils de poudre, des tonneaux d’un excellent rhum et Sally, une gamine qu’il a gagné en jouant aux cartes dans un bordel, presque un peu à contrecœur l’idée de se trimbaler cette nana qu’il mettra vite au turbin, dans son arrière-salle, le commerce avant tout.

« Parait qu’on peut repartir de zéro ici, à ce qu’on m’a dit. »

Se dire qu’il y a des lieux perdus où se réunissent les âmes perdus, et recommencer une toute nouvelle vie, presque vierge de passé si ce n’est la conscience. Blood, juste Blood dans cette vie, ouvre une taverne, fait ses petits arrangements, Sally faisant les siens auprès de la « gente masculine » en manque de putains. Il remplit les godets métalliques, la caisse se remplit, les clés de la caisse accrochées à son poitrail, se prépare pour l’hiver, quelques provisions, l’hiver, c’est quand il y a trop de neige pour avancer, mais malgré les précautions d’usage et de distance, le sens de l’esquive et de l’attaque, tout ne se passe forcément bien, surtout quand une lutte de pouvoir s’installe.

mardi 10 octobre 2017

Chat-Pitre Un

Une vie de chat, c'est pas facile. Encore moins quand il est question d'une jeune chatte qu'il faut initier à la vie, à ses dangers et ses plaisirs.

Chi, qui rime autant avec énergie que pipi ou Chablis . Un début tout en tristesse. Les larmes coulent, une petite boule de poil se retrouve séparée de sa maman. Cela pourrait être le début d'une grande aventure, façon roman initiatique - a little cat into the wild - la découverte de la chasse, de la cueillette, auto-apprentissage qui forge le caractère, la détermination et la confiance en soi. Bref, à l'état sauvage, en terre inconnue. Cap sur l'aventure.

Sauf que ça vire vite au cauchemar. Chi se retrouve à deux pattes de se retrouver écraser par un gros food-truck qui en aurait fait de la chair à hamburger bourgeois. Chi se retrouve à une queue de se faire bouffer par un molosse, genre ennemi canin, aux dents longues et à l'appétit féroce. Reste zen Chi, c'est dans ton Chi que se trouve ton énergie vitale.

vendredi 6 octobre 2017

Poésie de la Mozzarella di Buffalo

Déambuler dans les rues de Naples. Des odeurs de pizza s’envolent des ruelles, les parfums des prostituées s’échappent des impasses. Je réclame le silence, mais à Naples, le silence n’existe pas. Alors comment lire de la poésie. La poésie existe pourtant : surtout à Naples, où l’atmosphère se charge d’érotisme à chaque coin de rue. C’est comme lorsque je vois une belle mozarella di buffalo, j’ai l’envie subite de la mordre à pleine dent, comme dans une belle paire de fesses bien ronde. Ah Naples, la belle, la pornographique même. Et Wahida que je croise, son regard dans le mien, mon regard plongé dans son corps. Wahida, superbe putain de Naples, prise entre l’amour et la mafia albanaise. Belle rencontre entre un homme et une femme, entre deux rives de la Méditerranée, entre l’amour et ses seins.  

« Mais que pouvais-je lui offrir ? Ma vie ? Pas drôle. Je suis un homme trop sensible pour m’impliquer dans la vie des autres. Je suis victime de mes émotions. »

Wahida que j’ai cherché toute ma vie, que j’ai trouvé et qui s’est envolé, perdue dans ce labyrinthe d’émotions qu’est la vie. Les sentiments d’une vie se parfument à l’odeur alléchante d’une calzone, avec sa mozzarella qui coule et file lorsqu’on la découpe, la calzone, la pizza la plus érotique que je connaisse, ne me demande pas pourquoi, cela ne s’explique pas, mais cela se sent et se ressent. Si je dois visiter Naples, aussi mystérieuse qu’une putain peut être bandante, aussi poétique qu’une mini-jupe sur un scooter, il me faudrait relire ce « Labyrinthe des sentiments » et puis aussi son « Auberge des pauvres ». Tahar Ben Jelloun aime cette ville, ses ruelles et ses femmes. Peut-être même plus que Casablanca ou Tanger. Je ressens dans son écriture une telle passion, un tel pouvoir érotique que j’avais moi aussi cette envie de caresser le corps de Wahida. Mais qui suis-je pour me permettre une telle folie… Simplement un pauvre type qui déambule dans le labyrinthe de la vie…

mercredi 4 octobre 2017

Du Jazz et une Calzone

Fille d’un ingénieur du son qui a travaillé avec Nino Rota et Ennio Morricone ne pose pas des lettres de noblesse sur un curriculum vitae. Par contre, qu’elle ait collaboré avec Chet Baker, Enrico Rava, Richard Galliano, qu’elle ait fait des tournées avec Pat Metheny ou Billy Cobham, donnent plus de sens à la carrière jazzistique de cette pianiste romaine.

L’heure est de déboucher un Chianti, frais et pétillant, une calzone affiche sa dorure et épanche son parfum encore dans le four. Je me sens prêt pour partir en week-end à Rome. De sa pochette aux couleurs sable, j’installe le cd sur ma platine, une certaine Rita Marcotulli et mon unique album, « Koiné ». Un nom dont les consonances m’emmènent dans l’Afrique, mais dont le rythme me fait penser aussi à des chaloupées de samba brésilienne, les cris perçants d’Anja Garbarek me transportent dans ses fjords nordiques, et le sax’ très classe d’Andy Sheppard m’installe à la terrasse d’un café où je regarde les jupes post-été - à en espérer que les beaux jours restent éternels -, qui virevoltent par la brise napolitaine - oui de Rome, je suis descendu à Naples, effet calzone qui me chatoie les naseaux. Le label « Le Chant du Monde » porte avec justesse son nom, le monde je le parcours en fermant les yeux dans le silence de cette musique.   

dimanche 1 octobre 2017

Si la Neige est un Silence...

Je me souviens de son premier roman, « La Végétarienne ». Han Kang m’avait subjugué par sa plume, son audace, sa sensualité. Le début peut-être d’une grande histoire entre elle et moi, - et les végétariennes peut-être. Quelques années après, je me décide à apprendre le grec, pas n’importe lequel, le grec ancien, avec son écriture qui ressemble autant à des hiéroglyphes qu’à de l’alphabet coréen. Dans l’amphithéâtre ou à la terrasse d'un café, le parfum de feta se mélange à celui de l'ouzo, temps anciens chauffés par le soleil d'une rencontre silencieuse.

Dès que je rentre dans la salle de cours, je retrouve la grâce. Certes je me sens parfois perdu dans les considérations linguistiques d’une telle langue morte, mais je touche la beauté de l’âme. Cet homme qui perd progressivement la vue, et qui ne perçoit plus que des ombres de lumière dont le soleil lui brûle sa rétine. Cette femme qui ne dit pas un mot. Elle semble avoir perdu l’usage de la parole. D’ailleurs m’entend-elle ? Pourquoi ne me parle-t-elle pas ? Ces deux êtres dont leurs blessures paraissent s’inscrire au plus profond d’eux-mêmes, vont se retrouver. Avec timidité mais émotions...

« Si la neige est un silence qui descend du ciel, la pluie est peut-être faite de phrases interminables qui en tombent.
Des mots tombent sur les trottoirs, sur les terrasses des immeubles en béton, sur des flaques d’eau noires. Ils giclent.
Les mots de la langue maternelle enveloppés dans des gouttes de pluie noires.
Les traits tantôt ronds, tantôt droits, les points qui sont restés un bref moment.
Les virgules et les points d’interrogation qui se courbent. »