mardi 27 juin 2023

Tu seras seule dans la grande nuit

"Me voici courbée sous les coups, mon front criblé de javelots d'angoisse, un naufrage dévale mon élan. L'au-delà chante et chante encore par-delà mes cris d'envol, lourd requiem que martèle la vie à l'orée de mes rêves, à l’embouchure de mes jours. Je remue mon ciel dans la poussière, je bois au fleuve des vertiges."
 
Tu seras seule dans la grande nuit, cette petite voix intérieure qui se répète. 
Tu seras seule sous les étoiles de Port-au-Prince, la ritournelle d’Haïti.
Tu seras seule.

Tête fêlée, une jeune adolescente.
Fleur d’Orange, une mère putain et alcoolique.
Papa, un gangster qui n’en est pas à son premier meurtre.
Silence, une fleur dans cette constellation.
Silence, une beauté, un sourire aux jambes caramélisées.
Silence, une femme qui s’est enfuie et dont Tête fêlée rêve de retrouver.
De l’autre côté du rivage.
De l’autre côté des vagues.
De l’autre côté de l’océan.
De l'autre côté de la nuit.

jeudi 22 juin 2023

Marais Romagnol


"En haut, sous le rebord du toit, on pouvait lire une inscription de style Art nouveau en lettres peintes écaillées : Nuovariva. Le nom d’un port, et en effet autrefois c’en était un. On pouvait voir des radeaux chargés de marchandises poussés par des hommes au moyen de perches qu’ils enfonçaient dans la vase. Le comble c’est qu’aucun d’entre eux n’avait jamais vu la mer. Il existe des horizons plus vastes, mais en cet endroit de la basse plaine, c’est difficile à imaginer. Nous sommes l’eau, la terre et le ciel."

La brume, épaisse comme le voile d'une femme en deuil, s'étend sur les marais nauséabonds proches de Nuovariva, une terre boueuse d’Emilie-Romagne. Des vapeurs de cadavres, cette odeur puante se mélange au méthane de la terre. De ces marais, si on les asséchait, on retrouverait probablement de nombreux corps en putréfaction, des corps de femmes, plusieurs dizaines de femmes laissées là, à l'appétit des vers, aux regards des corneilles. Il y fait frais, en ces jours de la Merlette, les jours les plus froids de janvier dans cette zone médiane de l'Italie, si bien que même un flux de vapeur s’échapperait de la bouche des morts. 

Et c’est dans le café du coin, au milieu des petits vieux qui font encore vivre le village, à coup de prosecco et de spritz, que je croise le regard de la Merlette, une peau si blanche à prendre des bains de lune. Chroniqueuse judiciaire, mais surtout revenue d’entre les morts et du marais, elle enquête sur ces oubliées, ces femmes laissées pour mortes dans le marais. Et ce qui est sûr c’est que le « travail » ne manque pas, vu la qualité de ces messieurs, les premiers coupables, à violenter jusqu’à la mort ces femmes. Son secret, les mortes lui parlent, la vengeance peut ainsi s’exercer, dans une même violence, sombre et sauvage.   

dimanche 18 juin 2023

Amal veut dire Espoir

 
Je m'appelle Amal
et Amal veut dire
espoir veut dire qu'il y a
encore un lendemain

mais il n'y a pas d'avenir entre ces
quatre murs    quatre murs
qui m'enferment     qui m'enferment
alors je frappe le vide

Amal veut dire espoir

Tel un cri

   DE RAGE OU DE HAINE

Tu le hurles dans le noir

 

            La révolution ne sera pas télévisée

écran noir et blanc  on sait qui est 

qui, du blanc et du noir

le noir est toujours le coupable

le blanc est le juge, l’avocat ou la victime

 

Une histoire de couleur finalement

Tu cries dans ta tenue orange

De ta cage grise

que le bleu du ciel n’arrive pas

    à s’infiltrer à travers ses barreaux

 

Le cœur haut

      et la bite basse                      

      le regard noir

           et les poings serrés

tu penses

  à quoi  à toi   à qui    

dimanche 11 juin 2023

Les Héros Sont Fatigués

"Il traversa la maison et alla jeter un coup d’œil à la grange sans toit, amusé de voir que dix ans passés dans ces lieux avaient laissé si peu de traces. Ils avaient vécu chaque instant comme s'ils devaient lever le camp la minute suivante, et finalement, c'est bien ce qui était arrivé. La grange resterait sans toit et le puits à moitié creusé. Les serpents à sonnette pourraient occuper le bâtiment qui abritait la source, il s'en fichait à présent - il y avait déjà repris son cruchon de whiskey. Il se passerait du temps avant qu'il ne retrouve un porche aussi bien ombragé où s'asseoir pour passer l'après-midi à boire. Au Texas, il avait bu pour protéger ses pensées de la chaleur ; dans le Montana, ce serait sans doute pour les protéger du froid. II n'éprouvait aucune tristesse. Du Texas, il ne savait qu'une chose: il avait eu de la chance de le quitter en vie - et il aurait une longue route à faire avant de pouvoir être sûr de renouveler un tel exploit."
 
 A Lonesome Dove, Texas, les héros sont fatigués. Sous un soleil rougeoyant, je regarde cette étendue, la tête lasse de cette vie de poussière, les yeux usés par les clairs de lune, la gorge brûlée par quelques cadavres de whisky couchés aux abords de la terrasse, faisant presque un cercle de démarcation autour de mon rocking-chair. Il est temps que je quitte ce lieu, moi aussi, cette vie de poussière et de vieux souvenirs, que j’attrape mon lasso, et chevauche le désert vers un monde nouveau. Direction le froid, la neige et le soleil couchant, le Montana. L'inconnu. Mais avant...
 

samedi 3 juin 2023

Entre Les Lignes


« - Et si on prenait ce verre ensemble aujourd’hui ? Maintenant, ça irait ? 
Il avait dû monter l’escalier quatre à quatre car il était essoufflé.
- Enfin, sauf si vous avez un copain…
- Ce n’est pas le cas, répondit-elle en riant. En fait, j’en cherche un. Donc ça ne me dérange pas du tout d’aller boire un verre avec vous. »

On ne va pas se mentir, les histoires de train sont toujours les mêmes. Le train s’arrête en gare. Souvent de vieilles gares, certaines sont grouillantes, d’autres paraissent abandonnées. Des gens montent dans le wagon, pendant que d’autres en descendent. Voilà en quoi peut se résumer un roman sur une ligne ferroviaire, en l’occurrence la ligne Hankyu Imazu qui relie Takarazuka à Nishinomiya. Huit gares desservies et autant d’histoires à suivre sur un Aller-Retour.

Billet en poche, je monte dans le wagon lorsque la sonnerie retentit, attention à la fermeture des portes. J’aurais pu prendre le Shinkansen, j’ai préféré une balade ferroviaire dans la « campagne », juste histoire de regarder le bord de mer ou des collines souriantes et verdoyantes, un train bleu. Pourquoi avoir choisi justement Takarazuka-Nishinomiya ? Simplement pour observer les nids d’hirondelles dans une gare, une belle gare parait-il. Voilà, c’est aussi ça le Japon. Le respect pour ces hirondelles en sachant que leur fiente peut causer des ravages sur ton costume neuf ou mon tee-shirt noir Joy Division.

Mais il n’y a pas que des oiseaux, croix de bois croix de fer le cri du papillon, sur cette ligne pour agrémenter la conversation sur le quai. Je rencontre des lycéennes, des femmes de tout âge, vielles mégères ou jeunes femmes mûres comme ces fruits délicieusement acides et sucrées, des grands-mères avec leurs petits-enfants. Des couples qui se forment, et si on prenait un verre ensemble, une Carolus par exemple, des couples qui se déforment.