Mettre
un disque sur la platine, se servir un verre, la soirée sera longue, tristesse
intime à faire hennir les chevaux de plaisir. Le roman, pas d’une franche
gaieté. Bien calé à l’arrière d’une dauphine, je commence l’ouvrage, avec un
minimum d’entrain, je dois l’avouer. Je ne sais pas, j’ai du mal, trop
biographique pour moi, pourtant j’aime la noirceur. L’histoire d’un deuil,
l’histoire d’une femme. Delphine revient sur sa mère, Lucille, qui a souffert
tout au long de sa vie. Et pour comprendre la vie de cette femme, elle doit
remonter jusqu’à son grand-père, Georges au comportement aussi autoritaire et intransigeant
qu’ambigüe. Lucille, pour moi, c’était avant tout la guitare de B.B. King, je
reste dans l’univers de la musique, rien ne s’oppose à la nuit. Osez remuer le
passé, osez marcher sur l’eau et éviter les péages, osez écrire tous ces
secrets. Lourds de sens, ces silences étouffés n’en demeurent pas moins
insupportables. Mais je n’accroche pas à la vie de Georges, elle m’ennuie
presque, je sais pourtant qu’elle est indispensable à la suite, du roman, du
récit. En fait, j’aimais surtout lire les doutes de l’auteure sur le besoin
d’écrire l’histoire de sa mère, un livre qu’elle n’aura jamais lu.
« Lucille est devenue
cette femme fragile, d’une beauté singulière, drôle, silencieuse, souvent
subversive, qui longtemps s’est tenu au bord du gouffre, sans jamais le quitter
tout à fait des yeux, cette femme admirée, désirée, qui suscita les passions,
cette femme meurtrie, blessée, humiliée, qui perdit tout en une journée et fit
plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, cette femme inconsolable, coupable
à perpétuité, murée dans sa solitude. »