Clara revient sur sa terre d’Irlande. Profitant d’une éclaircie, un court rayon de soleil entre deux gros nuages noirs, elle se promène, l’air d’oublier sa douleur, l’air marin d’un vent chargé en iode, jusqu’au bord de la falaise. Elle respire, plonge son regard tout en bas, dans l’écume blanchâtre qui fouette la rive sauvage. Lar y promène en même temps, son gros chien, le poil mouillé de ces pluies incessantes. Il s’approche de Clara, avec un triste pressentiment : tout corps au bord d’une falaise a envie d’y plonger. Mais Lar, au fond de lui, a le cœur et l’âme tout aussi meurtris…
« À mes pieds, aujourd'hui, la mer se teinte d'argent ; à dire vrai, la regarder plus d'une ou deux minutes me fait mal aux yeux. Tel un énorme animal elle rampe, des rides d'écume blanche se déplacent sur son dos fripé. Je ferme les yeux. Je sens sur moi la chaleur du soleil d'avril et tout de suite après la morsure de ce maudit vent d'est qui souffle d'on ne sait où ; des steppes de Russie, ai-je toujours entendu dire, mais j'ai pour principe de ne jamais croire ce qu'on me dit. Je pourrais rester là les yeux fermés indéfiniment, s'il n'y avait le vent d'est. Il s'engouffre dans mes vêtements et presse sa lame contre les cicatrices, contre les signes visibles de ma mutilation. Je serre mon manteau autour de moi. J'écoute les bruits de la vie normale derrière moi ; les mères qui appellent leurs enfants, l'aboiement des chiens, le pas d'un coureur isolé qui résonne avec un bruit sourd. »