mardi 4 juillet 2017

De Certaines Façons de Mourir… II

« Je lui logeai la balle entre les deux yeux. Il n’éclaboussa presque pas, tellement il allait mal. Il trépigna comme un petit enfant et ses mains eurent des convulsions pendant quelques instants.
Lorsqu’il ne bougea plus, j’étais certain de ne plus travailler avec le Colonel. Je n’avais pas idée de ce que j’allais faire, mais j’étais fatigué de tuer des pauvres diables. La moindre des choses, c’est de décider qui on tue et qui on ne tue pas. »

Le héros est fatigué, usé même par ces mois de service auprès du Colonel. Il a mis une balle entre les deux yeux d’un journaliste. Cela ne lui a pas plu. Les meurtres sur commande, il s’en lasse. Il veut reprendre sa vie en main et pouvoir choisir de lui-même qui tuer. C’est pour affirmer cela qu’il rencontre une dernière fois le Colonel, afin de lui présenter sa démission.

A travers l’histoire de ce héros, je retrouve l’univers des « brigades spéciales » du Mexique. Entre corruption et meurtres, ces brigades se mènent la guerre. Conçues comme des entités distinctes de la Police, elles s’affrontent entre elles pour garder la main mise sur le pouvoir et sur la ville.  

L’écriture est nerveuse, fluide, quelques morts des coups de feu, et des héros qui tombent de sommeil. Cela ferait un bon scénario de film. Ce second volet « de certaines façons de mourir » de l’écrivain salvadorien en exil mexicain est encore plus captif que le premier (il peut d’ailleurs être lu indépendamment). Les années flétries. Le rythme est fluide, la conscience s’interroge.



« On cesse d’avoir peur et on croit avoir tout résolu. On s’habitue à voir les gens d’en haut. Les autres, ce sont ceux qui meurent, et on est celui qui les tue, c’est aussi simple que ça. Le monde se divise en deux : ceux qui meurent et ceux qui les tuent. On s’habitue à faire partie d’un camp ou de l’autre, n’importe lequel, et on vit tranquillement : on attend le moment de coller une balle à quelqu’un ou que quelqu’un vous la colle. Et on n’attend même pas : les choses sont comme elles sont, elles arrivent ou n’arrivent pas. Et on ne sait pas comment se comporter quand on passe d’un camp à l’autre. »

Mais avant de prendre sa retraite, le héros se voit proposer une dernière affaire : éliminer le rival du Colonel, tout en évitant la boucherie de sa brigade. La mort certaine, fin d’une époque. Et là, je me dis que certains métiers sont si passionnants que l’on décroche difficilement. Le héros doit rempiler, une dernière fois non ? Même s’il tombe de sommeil, même s’il veut choisir ses morts. Ou son camp. Apprendre à relativiser, s’il ne le tue pas, il sera tué. Là-bas, on meurt ou on tue.

Le parabellum alors en poche, je me promène dans la poussière du Mexique. La bière est fraîche, une rondelle de citron. J’entends des trompettes mariachis qui volent dans ce vent chaud et tourbillonnant. Pétarades dans la rue, l’œil aux aguets, il n’y a pas de repos, toujours sur ses gardes, la tête se vide, l’esprit se lasse, la tête reçoit une balle, la cervelle explose, le sang gicle, la chemise s’imbibe de sang rouge puis noir, plus de trace de sueur. Le corps s’effondre dans l’indifférence. Méritait-il d’être tué ?

« Alors je sortis, et dans la rue je me souvins de ce qu’était la peur. Je ne parle pas de la peur physique ; celle-là, on ne la perd jamais. Si trois types te tirent dessus, tu as peur. C’est une peur saine. Si on a compris qu’elle est bonne et si on arrive à la contrôler, on a résolu sa vie. 
L’autre peur ne peut pas se contrôler. C’est la peur des choses qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas, dont on ne sait pas où elles sont. La peur d’être quelqu’un. Quelqu’un de l’autre côté de la ligne. Quelqu’un arrive, il te loge une balle dans la nuque, tu vas te faire foutre et circulez, il ne s’est rien passé. »
II. Les héros tombent de sommeil, Rafael Menjivar Ochoa

10 commentaires:

  1. Un auteur salvadorien exilé au Mexique, rien que ça, ça donne envie !

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    1. Et en plus un auteur qui vaut le coup. Brièvement emprisonné pendant l'occupation militaire de 1972, il fuit le Salvador pour le Nicaragua, puis le Costa Rica, avant de trouver refuge à Mexico. C'est dire les régions violentes que son exil a traversé et connu, violence qui se perçoit dans sa plume incisive et tranchante et dans ses histoires de sombres héros...

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  2. Pas certain qu'une Desperados fasse l'affaire, je préconise une Corona, plus locale & populaire même avec un parabellum en poche ... :-)

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    1. Sure qu'une Corona Lime fait mieux l'affaire avec le parabellum...

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  3. Je me dis que ce doit être un roman fort en tabarnak, parce que le Mexique n’est pas qu’une tranche de lime sur le goulot d’une Corona ou le scorpion au fond de la Mezcal. Pas non plus que le drink dans la noix de coco et le palmier sous le lequel on se fait dorer le cul à l’air. Y’a aussi comme ton livre le démontre les luttes de pouvoir et les meurtres, les cartels, les corruptions et les bains de sang.
    En tout cas, toute une histoire l’auteur... quand je lis ta réponse au com de Jérôme...
    Je mesure à quel point son vécu ajoute de l'émotion à ses mots.
    Au fait, tu préfères croquer dans un ver ou dans un scorpion? Crisse... ^^
    Moi j'préfère l'avaler tout rond... :D

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    1. toute une histoire l'auteur... et mourir la cinquantaine d'un cancer...
      Une Corona-Lime ?

      J'avoue être petit joueur, n'ayant jamais essayé... Je crois que je préfère le ver, je ferme les yeux, respire un bon coup, et le croque en deux...

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    2. Croquer dans un ver !!! Arrête de te la jouer !

      Que Horor ^^

      :-D

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    3. Au moins, je suis sûr que le ver est bien mort et qu'il ne va pas se balader dans mon intimité, me grignoter, remonter à la surface... Pour des vers vivants, j'attendrai ma fin, sous terre...

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  4. Quel beau titre !!!
    Et la description de la peur...

    Et oupssss : cela ne lui a pas plus :-)))

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    1. Faut que j'arrête de me relire un verre à la main...

      Entre Les années flétries et Les héros tombent de sommeil, ce sont effectivement de beaux titres de romans... Tome 3 : La mort de temps en temps.

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