samedi 15 juillet 2017

La Rumeur de Beauval

C’est avec un regard neuf que j’entame ce « Trois Jours et une vie ». Je sais d’ors et déjà que Pierre Lemaitre a écrit son chef d’œuvre avec « Au-revoir là-haut ». On ne se remet jamais tout à fait d’un livre aussi fort, j’en garde encore les images en moi. Partant donc de ce principe pour ce premier livre post-Goncourt, je me laisse ainsi guider vers Beauval, petite bourgade jurassienne, sombre histoire d’un meurtre non élucidé. Loin de la grande fresque historique, je plonge dans un petit roman oppressant et intime. J’imagine dans les cuisines l’odeur d’un poulet au vin jaune, alors que la tempête fouette le bois de Saint-Eustache. La scierie est en difficulté financière, les emplois menacés, et généralement quand on est né à Beauval, on reste généralement à Beauval. Vieil adage du terroir qui montre bien la difficulté à tourner le dos complètement à ce coin perdu où tout le monde se connait, où les petits potins dans le troquet font office de vérités, où le petit Rémi a disparu un après-midi de 1999 après avoir fait une partie de la route avec son père vers la scierie.

« Beauval, c'était un peu ça, une ville où les enfants ressemblaient à leurs parents et attendaient de prendre leur place. »

En fait, à Beauval, c’est le calme avant la tempête, c’est l’encéphalogramme plat tout au long de l’année, même pour le petit Rémi. Surtout pour lui, d’ailleurs. Et puis il y a Antoine, qui doute, qui a peur, qui n’oublie pas. Telle une épée de Damoclès pointée au-dessus de son cœur, il s’attend à ce qu’on lui enfonce un pieu dans le poitrail. Comme une libération. De sa souffrance et de ses péchés. Car à Beauval, on croit plus ou moins à Dieu, on va à la messe certains dimanches, prendre un petit verre de vin blanc avant, et pis une Suze-Cassis après… Moi, je n’aime pas la Suze avec ou sans cassis alors, je commande un Pastis.

« Dieu était un voisin un peu distant qu'on avait plaisir à croiser et à qui on ne rechignait pas de demander un petit service de temps à autre. Elle allait à la messe comme on visite une vieille tante. »

La tempête efface presque tout – souviens-toi de ces maisons emportés de ces arbres déracinés -, surtout les traces, mais elle redouble surtout les peurs ; avant que le mort ne s’oublie, il peut remonter à la surface. Et de là, la crainte d’être rattrapé par la loi. Celle des hommes, celle de la justice, celle de la rumeur. Dans une contrée aussi reculée que Beauval, la rumeur est ce qui se propage le mieux, plus véloce que la fibre qui n’y a pas encore ses accès.

« Le docteur Dieulafoy avait une cinquantaine d’années. Si son père était, de l’avis unanime, un marin breton qui avait beaucoup navigué, l’origine de sa mère faisait l’objet de supputations très variées : domestique vietnamienne, prostituée chinoise, traînée thaïlandaise… Comme on voit, la rumeur ne donnait pas grand-chose de cette femme dont en fait personne ne savait rien. »

Plus qu’une lecture oppressante, ce court roman est une atmosphère avant tout, et un questionnement sur ses actes – manqués ou pas. Vivre avec son passé, aussi lourd soit-il, survivre avec ses actes non prémédités. Mais jusqu’à quand. Un jour, la vérité devra sortir de ce bois. Ou pas…

« La rumeur est une sauce fragile, elle prend ou elle ne prend pas. Celle-ci ne prenait pas. »

Merci Bibi, pour ce coup de Kékette !

« Trois jours et une vie », Pierre Lemaitre.  

32 commentaires:

  1. Très bon billet où je découvre trois choses que j'ignorais. Un roman de climat et d'atmosphère qui m'évoque Simenon (une référence pour moi). Une cover de Michael Jackson par quelqu'un à première vue très éloigné, Rodolphe de Kat Onoma, et c'est excellent. Et enfin la Kékette, à laquelle personne n'avait jusque là cru bon de m'initier. Merci trois fois M.Buffalo.

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    1. J'ai été surpris aussi par cette étonnante reprise, mais qu'à demi tant l'univers de Rodolphe me bouscule à chaque fois, avec Kat Onoma à ses débuts, avec ses participations récurrentes avec Higelin, ou sous son nom... L'ami Burger est un immense nom du blues à la française...

      Comme l'est Pierre Lemaitre que je découvre, lentement, à mon rythme, en prenant mon temps, comme je le fais pour chaque chose qui me passionne...

      Comme j'essaie de le faire pour chaque coup de Kékette ! :-)

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  2. Moi aussi je découvre un truc, il y a au moins une boisson que tu n'aimes pas, pauvre Suze ^^

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    1. C'est que je mets du temps à me découvrir... Mais d'un autre côté, s'il n'y a que ça, je prendrai quand même une Suze... Même si la dernière Suze doit remonter à l'âge ancestral de mes études sur la littérature biochimique...

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    2. L'âge ancestral ça connaît depuis mes études en archéologie par contre on n'a encore jamais trouvé de vieilles amphores avec de la Suze. Bois plutôt du vin va !

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    3. Pfff il manque un mot : ça ME connaît *

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    4. C'est faux, y a de bonnes vieilles Suze, le problème c'est que notre chère Bibi à cette époque là, mélangeait cela avec des bières ou des gin tonic alors forcement ...

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    5. Il m'est quand même arriver à goûter à ta vieille Suze quand je n'avais le choix qu'entre elle et le marc de café ! :-)

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  3. Rien que l'idée de vivre dans le Jura fait flipper.
    Et la Suze est une purge !

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    1. Dans le Jura, y'a quand même le comté et le vin de paille. C'est donc pas un endroit si désespéré !!

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    2. Et certains vins rouges méconnus qui sont de vraies surprises !

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    3. Méconnus, je confirme... Je ne connais que le chardonnay d'Arbois... Des vins blancs que j'apprécie tout particulièrement (mon côté sentimental)...

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  4. Dans le Jura, y'a également l'horloge jurassienne & son grotesque coucou.
    Quant au vin de paille, plus on en boit, plus on va droit, tout un programme..
    Sur le Comté, j'ai pas d'avis. ;-)

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    1. Étonnant de ne pas avoir d'avis sur le comté... Surprenant, même. Une telle institution, patrimoine de l'UNESCO, Poligny, capitale mondiale du Comté...

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    2. Et Saint Claude de la PIPE !

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    3. oui n'oublions pas le délice d'une pipe !

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  5. J'ai trouvé la seconde partie ratée. Au début j'ai pourtant beaucoup apprécié mais je me rends compte après coup qu'il ne m'en reste rien.

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    1. Je pense avoir justement plus apprécié la seconde partie du livre, peut-être parce que je me retrouvé plonger dans cette forêt en me demandant alors que la mousse m'envahissait ce que j'allais devenir...

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  6. le thème de ce roman me cause. Meurtre dans une scierie et dans le Jura, si ce roman n'est pas récent il est possible que je l'ait lu
    PS : j'aime bien la Suze, avec ou sans cassis

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    1. Il en faut, des gens, qui aime la Suze. C'est important, c'est question de notre patrimoine floral et distillatoire...

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    2. Et c'est très bon pour le foie !

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    3. De quoi ? La Suze des montagnes ou la pipe de Saint Claude ?

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  7. Et cette kekette raide alors ?

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    1. ô tu sais à mon âge... C'est pour ça que je parfume la kekette au cassis et au citron, pour lui donner un nouvel attrait ! :-)

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  8. Il n'y a pas longtemps que je l'ai lu et j'avais déjà complètement oublié l'histoire. En te lisant, tout me revient. Je n'ai pas aimé plus que ça. Ce n'est pas mon préféré de Lemaitre en tout cas. "Au-revoir là-haut" : gros succès et pourtant je n'ai pas aimé du tout. Chacun ses goûts. Bonne fin de semaine.

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    1. N'ayant jamais lu de livre sur la guerre, à part dans ma littérature américaine post-vietnamienne ou post irakienne, ce n'est pas du tout mon élément. Pourtant "Au-revoir là-haut" fut une découverte, et une immense merveille...

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  9. Un petit fait divers, un lieu simple mais à l'ambiance parfaitement décrit, un petit enfant, un problème et Lemaitre Pierre nous entraine dans l'esprit et la psychologie de cet enfant. Cela nous questionne sur le temps qui passe, l'introspection qu'on peut avoir sur certains événements et sur ce qui se passe après.

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  10. Bonjour le Bison, merci pour ce billet qui me fait comprendre le roman de Lemaitre sous un jour nouveau. Sinon, grâce à toi, j'apprends ce qu'est la kékette. Très peu pour moi, je déteste la bière. Bonne journée.

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    1. Si j'ai pu me rendre au moins utile en te faisant découvrir LA kékette...

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  11. J'aime les livres d'atmosphère et les ambiances oppressantes, les trous perdus au milieu de nulle part. Je ne sais pas si j'aurai l'occasion de lire ce livre un jour, j'en doute, j'espère seulement qu'Au revoir là-haut puisse aussi se savourer avec une Kékette ou la graine au vent... :P

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    1. La graine au vent, au revoir là-haut, c'est prendre le risque d'un éclat d'obus malveillant :-)

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