jeudi 7 septembre 2017

Clair de Lune

Silence. Aucun bruit ne s’envole de ces terres, lointaines contrées perdus dans la solitude des espaces et le silence qui se perd au-delà de l'horizon. Je n'entends que la complainte du vent venu mourir dans ces lieux sauvages que les autorités ont appelé Montana ou Wisconsin. Peu importe la frontière de l'état, lorsque je lève les yeux, je vois cette lune, clair de lune, blue moon, et ses étoiles qui scintillent tout autour. Dire que le silence est complet serait injuste et même irrespectueux envers mes compagnons nocturnes de ce soir, bêtes à poil, loups et coyotes hurlant à la mort aussi leur peine et leur solitude.

« La lune était pleine, grasse comme une tique accrochée au flanc de la nuit. Les coyotes la vénéraient. Ils s’installèrent dans la ravine une semaine durant, et Lauren entendit les crissements et les claquements de leurs dents. Si elle avait un fusil, elle les aurait tous abattus pour voir le fond de la ravine jonché de leurs cadavres. Si elle avait eu un fusil, elle aurait tué Jason et son chien noir. Si elle avait un fusil, elle se serait peut-être assise sur son canapé pour ne jamais se relever. »

Et je suis bien, là, assis dans mon rockin' chair, rock in my ranch. Une guitare, une petite bière ou une bouteille de rye, un roman millésimé littérature de l'ouest, « Terres d’Amérique ». Les sabots dans la bouse, l’odeur du vrai ouest sauvage en prime. Walk on the Wild Side. Sauvages, comme des petites nouvelles tristes et sombres de l'Amérique profonde. Prendre même la route Sixty-Six, une boite de Huit-Six entre tes cuisses, descendre même jusqu'au Texas, y perdre son stetson envolé par la poussière et le retrouver sur la tête de Kris Kristofferson ou de Townes Van Zandt. J'entends, tout au long de ces nouvelles, des mélodies country sans artifice, peines de cœur, grandeurs d'une solitude.


Sans faire de bruit pour ne pas altérer le silence de la nuit, je tourne les pages sans envie de faire de pauses. Ou si, justement... Si l'entrain m'attire, j'ai envie de prendre mon temps, d'y savourer chaque nouvelle comme on savoure un BBQ Ribs sorti du feu, d'y tremper mes lèvres comme si c'était la dernière bière qui accompagnait ma putain de vie, d'y entendre la musique d'une brochette de marshmallows roses crépitant de bonheur sur un feu de camp au milieu d'une nature vidée de nature humaine. Images éculées d’une certaine Amérique, certes, mais que je contemple entre les lignes, comme des lignes de pêches alignées sur le Bighorn Reservoir. Prendre son temps pour pêcher le bonheur.
« C’est le début du printemps. Dès que la fonte des glaces l’avait permis, il avait rétracté son bateau jusqu’au plan d’eau du Bighorn Reservoir. Il avait toujours aimé la pêche, mais maintenant il avait du mal à se concentrer. Au bout d’un moment, il n’emporta même plus sa canne. Il prenait seulement un sandwich, une thermos de café et un pack de six bières. Muni d’un jerrican d’essence supplémentaire, il remontait le courant paresseux de la rivière en épousant les parois du canyon. On n’entendait que le ronronnement du moteur hors-bord.
A l’heure du déjeuner, il engageait le bateau dans un petit canyon transversal et jetait l’ancre près d’un rocher pour s’abriter du vent. Après le bruit incessant du moteur, il appréciait l’étrange silence des lieux et, l’espace d’un instant, il avait l’impression de bénéficier d’un répit. Il restait là, immobile, jusqu’à ce que quelque chose brise le silence – la coque qui cognait contre la roche, un poisson qui jaillissait quelque part dans le lac au milieu des éclaboussures – et rompe le charme. Il déballait alors son sandwich et buvait une bière en contemplant les stries anarchiques sur les parois de grès du canyon et en inventant des existences aux quatre hommes qu’il avait tués. »
Est-ce qu'il y a quelque chose de plus beau que de se retrouver seul, au bord de ce lac, entouré d'une nappe de brouillard et de silence, d'attendre que le soleil se lève – ou se couche -, et de feuilleter des histoires à la Thomas McGuane ou à la Jim Harrison. Et puis, ce soir, au clair de lune, c'est un nouvel auteur que je découvre, du talent dans un premier recueil de ses contes, sauvages et américains, au cœur de l’Amérique et des réserves indiennes, Callan Wink. Un auteur qui a illuminé ma lecture, jeune écrivain que je suivrai encore, s’il veut toujours m’embarquer dans ces grands espaces, car ce recueil est aussi bon qu’un sandwich au saucisson avec une bière fraîche, le clapotis de l’eau noire berçant une vie de silence sous le clair de lune

« Il se réveilla tôt, déjeuna d’un simple sandwich aux œufs accompagné d’un café. Après Denver, le trafic redevint fluide et le paysage montagneux changea. Il se trouvait dans le Colorado mais ça aurait pu être n’importe où. Il déboucha dans le nord de l’Oklahoma, qu’il traversa à peu près dans le temps qu’il faut pour écouter un album de Townes Van Zandt, et, à l’instant où le soleil se levait sur l’immense plaine hérissée de puits de pétrole qui s’étendait à perte de vue, James pénétra au Texas. »

« Courir au Clair de Lune avec un Chien Volé », Callan Wink.


« Qu’est-ce qui est arrivé à votre jambe ? » demanda-t-il.
Karl éclata de rire. « Un bison m’est tombé dessus. »
Il tendit le bras derrière lui pour prendre une autre bière, mais la glacière était vide.
« Et merde ! ».

18 commentaires:

  1. il a l'air merveilleux ce recueil de nouvelles. Moi qui rêve d'aller dans le Montana, à défaut, je prends note de ce titre ! Merci m'ssieur.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il a l'air du Wisconsin, ce qui en fait une oeuvre de plein air. Un air du Montana, qui lui donne donc une oeuvre de littérature. Et des histoires de lune sous des cieux qui me font également bien rêver aussi.

      Supprimer
  2. Je veux bien aussi ce livre. Et une bière. Non, deux bières.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu as parfaitement raison. Une bière ne suffit pas pour dépoussiérer ce livre.

      Supprimer
    2. Non, deux bières parce que tu m'as déprimée ce matin avec ton post sur le sens de la vie. Allons, cinq bières et on n'en parle plus ^^

      Supprimer
  3. Connais pas ce Callan Wink mais ai beaucoup lu James Welch, Louis Owens, Craig Lesley, David Treuer, Sherman Alexie, Thomas McGuane. Evidemment j'en suis, du Greyhound pour le Wyoming ou le Montana. Hommage à ce vieux Townes parti depuis si longtemps déjà. Chapeau, dear Buffalo, enfin stetson!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il est tout neuf, ce Callan Wink. Premier recueil et que du bon. Cela se voit qu'il a été élevé au stetson et à la bière.

      Tiens, je ne connais pas ces Louis Owens et Craig Lesley... Et j'avoue aussi mon admiration pour Welch et McGuane...

      Supprimer
  4. 10/18 notamment a publié pas mal tous ces gars-là il y a quelques années. Rick Bass, je pense que tu as déjà lu.

    RépondreSupprimer
  5. Qu’est-ce qu’il y a de plus beau que de se perdre dans la solitude et le silence, en communion avec quelques bêtes à poil. Écouter le hurlement des loups sous la blue moon. De grandes étendues de terres sauvages pour habiter mes rêves. J’voudrais bien m’y rendre par la road 66, les pieds sur le tableau de bord en écoutant Lou Reed marcher on the Wild Side. Ou encore Townes Van Zandt qui me rend nostalgique de bonheur. Et m’arrêter en chemin pour manger des ribs, « prendre mon temps pour pêcher le bonheur ». Magnifique. « Je n'entends que la complainte du vent venu mourir dans ces lieux sauvages », et ton pack de bières, une p’tite frette qui te coule dans la gorge. Tabarnak que ce livre me fait envie... <3

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ça doit être beau, le chant du loup sous la lune, mélodie qui emporte son bonheur au-delà du vent et des montagnes... un pack de bières toujours à portée.

      Supprimer
  6. Il me tentait déjà beaucoup celui-ci et voilà que tu en rajoutes !
    Je crois bien que je sais ce que je vais choisir lors de la prochaine Masse critique...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ne me dis pas que la liste de la prochaine MC est déjà sortie. Des semaines que je l'attends et que je regarder, de peur d'oublier...

      Supprimer
  7. Je n'aime ni les sandwichs au saucisson ni la bière fraîche. Ça pose problème?
    N'empêche, ce recueil, je l'attend avec impatience. Il a vraiment tout pour me plaire. Mais, comme d'hab., je reçois tous vos livres avec un mois de retard!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Des fois, faut savoir patienter... Et puis de toute façon, de flammes et d'argile, ta pal est en désarroi..

      Supprimer
  8. Un écrivain que tu compares à Jim Harrison, je ne peux qu’aimer. Je note le nom, car je ne connaissais pas… (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai trouvé plus d'affinités avec McGuane, mais ce recueil-là, une grande bouffée d'ouest et de poussière.

      Supprimer
    2. Le truc, c'est que je n'ai jamais lu McGuane (Goran : https://deslivresetdesfilms.com).

      Supprimer