mardi 25 février 2020

une Montagne, un Lac, des Chemins et un Cours d'eau


Sur le quai d’une gare. Personne. Juste du vent, pas l’ombre d’une brune. Juste de la poussière balayée par le vent. La brume s’évapore, la lune s’enfuit, un train siffle. Puis le silence. D’un quai vide, d’une vie vide. Le train reprend son rythme lancinant, le regard sur l’horizon. Je regarde par la fenêtre le paysage défiler. Des arbres, des forêts, des clairières, des arbres, un lac. Je descends à l’arrêt suivant. Toujours personne sur le quai, personne qui m’attend. Je m’engouffre, petit chemin sous-boisé dont les méandres semblent grimper au-delà des montagnes. La sueur découle à chaque pas, atmosphère humide, au son des clochettes des temples voisins.

Bien étrange atmosphère où je plonge, à l’ombre de cryptomérias centenaires, un parfum de forêt et de solitude, dans un lieu à la fois mystique et mystérieux. Bien étrange bouquin que j’ai amené avec moi pour accompagner cette longue plage de silence où les âmes semblent avoir disparu, la mienne comprise. Entre deux pauses contemplatives, je lis quelques pages, ouvrant un roman hongrois, je me retrouve immergé dans la forêt du Kansaï à suivre les traces du petit-fils du prince Genji à la recherche d’un jardin d’une incroyable beauté.


« il n’y avait là aucune plante extraordinaire, aucune pierre taillée de forme exceptionnelle, rien d’original, de spectaculaire, aucune fontaine, cascade, aucune tortue ou singe sculpté, aucun puits, rien de spectaculaire donc, aucun artifice, rien de ravissant ou de divertissant, mais la simplicité qui définissait son essence révélait en même temps un condensé extrême de beauté, le pouvoir de fascination de cette simplicité était tel que personne ne pouvait s’en détacher, et celui qui le voyait souhaitait ne jamais s’en détacher, et il restait là, à regarder ce tapis de mousse qui, tendrement, ondulait sur la surface du sol se déployant sous lui, il restait là à regarder ce tapis dont les reflets vert-argent faisaient penser à un paysage féérique car cet indescriptible reflet argenté brillait de l’intérieur, scintillait à l’intérieur de cette épaisse surface tapissée d’où émergeaient ces huit hinokis, espacés de quelques mètres les uns des autres, avec leurs magnifiques bandelettes d’écorce brun rouge, leurs frondaisons verdoyantes, si fraîches et si vivantes, et les délicates dentelures qui ourlaient leur cime, bref, celui qui se tenait là à regarder n’avait pas envie de prononcer le moindre mot ; simplement regarder, et se taire. »

Et là, la beauté s’étale sur toutes les pages, comme une geisha qui se couche lascivement sur un futon ou une bouteille vide qui s’épanche sur le sol. Tout y est majestueux, même avec la geisha qui a abandonné les lieux. Je l’ai déjà dit, il n’y a que le petit-fils, moi et la poussière de Kyoto qui sont balayés par le vent de ces pages. Entre deux notes de gongs et de silence. Le silence est puissant, d’une beauté même cristalline. Quoi de plus beau que le silence me diras-tu ?

Nous errons entre les hinokis, ces fabuleux cyprès du Japon, nous entrons dans des temples millénaires, contemplons des bois, des portes, des fontaines, des jardins, pendant des heures et des phrases interminables et savourons chaque instant de silence, chaque poussière venue se poser à nos pieds. C’est un grand roman hongrois, un putain de roman japonais. D’une incroyable richesse, savoir, sensation, solitude.

« …et cette insupportable tristesse, d’une délicatesse qui vous étreignait le cœur, dans le regard détourné du Bouddha à l’intérieur du kondô. »

« Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l'ouest par les chemins, à l'est par un cours d'eau », László Krasznahorkai.
Traduction : Joëlle Dufeuilly 


10 commentaires:

  1. Salut, le Bison
    Trop beau! Je veux y aller aussi...

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  2. Un titre plein de promesses déjà...

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    1. le titre est magnifique, à l'image du contenu de ce roman...

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  3. toujours à l'aise lorsque je croise une belle brune !

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  4. J’y étais presque, sur ce quai de gare. A 6 semaines du départ, frénétique, excitée, rêveuse. Comme toujours, lorsque je prends mon envol.
    Contempler la solitude, le silence, un lac, une forêt, un jardin, un temple... oui, mon âme y était déjà... mon baluchon aussi...
    Mais les vents ne sont pas favorables aux voyages, dira-t-on. Alors je m’imprègne du Japon, par la lecture, d’ici à ce que le vent m’y transporte...

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    1. Beaucoup de silence dans ces pages, dans ces temples, dans cette vie. Des silences du Japon et d'ailleurs qui marquent une lecture, une vie, des vents, des vies.

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  5. Suis nulle en orientation... Mais bon, je l'ai notéce roman (et grâce à Idil ;p)

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