A
quoi tient un génocide. A une histoire de nez. Trop gros ou trop épaté. Triste
à concevoir. Hutu ou Tutsi. Blonde ou Brune. Gaël Faye revient sur son histoire,
celle de son pays, celle de ces deux peuples mis à mort.
« Le
cabaret était la plus grande institution du Burundi. L’agora du peuple. La
radio du trottoir. Le pouls de la nation. Chaque quartier, chaque rue possédait
ces petites cabanes sans lumières, où, à la faveur de l’obscurité, on venait
prendre une bière chaude, installé inconfortablement sur un casier ou un
tabouret, à quelques centimètres du sol. Le cabaret offrait aux buveurs le luxe
d’être là sans être reconnus, de participer aux conversations, ou pas, sans
être repérés. Dans ce pays où tout le monde se connaissait, seul le cabaret permettait
de libérer sa parole, d’être en accord avec soi. On y avait la même liberté que
dans un isoloir. Et pour un peuple qui n’avait jamais voté, donner sa voix
avait son importance. Que l’on soit grand bwana ou simple boy, au cabaret, les
cœurs, les têtes, les ventres et les sexes s’exprimaient sans hiérarchie. »
L’enfance
et son innocence qui consiste à chaparder des mangues juteuses dans le jardin
de la vieille voisine, j’y suis, j’y étais, une autre époque. Des odeurs de
poulet qui s’élèvent dans la nuit, l’Afrique, je l’aime pour ça et pour ces rencontres
assis sur une caisse de bière vide, à parler ou à écouter, la bière légèrement
chaude, le bruit et la nuit qui s’en coule, découle dans la suave moiteur d’un
boui-boui, à peine éclairé par une lune fuyante.
« On
ne doit pas douter de la beauté des choses, même sous un ciel tortionnaire. Si
tu n’es pas étonné par le chant du coq ou par la lumière au-dessus des crêtes,
si tu ne crois pas en la bonté de ton âme, alors tu ne te bats plus, et c’est
comme si tu étais mort. »
Une
musique, un saxo, flots de paroles, flot d’ondes sensuelles de culs noirs qui
défilent devant mon regard absent. Absent de ces rêves, absent de demain. Rumba,
la sueur coule. Comment l’imaginer ce demain ? Jazz, le silence s’écoule.
Des corps le long des routes. Comment le supporter ? Des corps, couleur
luisante, ébène, dans la pénombre, les nez n’ont plus d’importance, seule la
caresse de ton corps, la sensation de ton âme. Afrique, une âme. Afrique, des
guerres. Mais aussi les sourires de l’Afrique, je les aime.
Le
Burundi, je n’ai qu’une vague idée de le positionner sur une carte. La mappemonde
tourne sur son piédestal, je l’arrête, sur ce minuscule pays, juste à coté du
Rwanda. On en a parlé, dans ma jeunesse, toujours, quand il n’y avait pas d’autres
actualités plus brûlantes, pour évoquer ces massacres, trop tard. Et de la France,
l’absence et la politique. Triste. Plus brûlants que des corps carbonisés, d’hommes,
de femmes, d’enfants ?
Je
me demande encore s’il est possible de survivre à ces horreurs de la
(dés)humanité. Gaël Faye me donne une magnifique leçon. De survie et d’envie.
Je l’admire, même si je ne le connais pas. Juste le nom, juste ce bouquin, « petit pays
», grand(s) homme(s). Des sourires d’enfants, le repos des cueilleurs de mangues. La
nuit s’achève, la route, cahin-caha s’enfonce dans le vide, une aire de repos ce saxo dans la nuit, je m’endors avec Fela Kuti, et une bouteille de bière
vide.
« Je
me sens triste comme une aire d’autoroute vide en hiver. »
« Petit Pays »,
Gaël Faye.
« -
Bière ! bière ! bière ! bière ! bière ! bière !
bière ! bière ! bière ! bière ! bière !
bière !
Nous
sommes restés là encore un moment, à écluser silencieusement nos Primus
chaudes… »
« Le
cabaret accueille quantité de bavards et de taiseux, gavés de quotidien et de
désillusions. Dans la même obscurité qu’autrefois, les clients vident leurs
cœurs et leurs bouteilles. »
Encore de la bière chaude ?
RépondreSupprimerJe le lirai un jour, c'est sûr.
J'ai tellement aimé le film.
Moi aussi j'admire Gael Faye si digne, si fort, si calme. Comment survivre à tout ça.
Hier j'ai entendu le témoignage d'une petite fille libanaise de 9 ans. Elle a dit à sa mère, "je veux aller au ciel car ici c'est l'enfer"...
Triste enfance qu'une enfance en pays de guerre... Comment survivre... c'est bien toute la force de cette jeunesse et toute l'admiration que je peux porter en eux...
SupprimerAh, ça je connais. Je l'étudie avec mes élèves ! ^^
RépondreSupprimerDu coup, instit !
SupprimerAlors, lycée ou fin de collège pour cette lecture ?
En tout cas, c'est une lecture très forte et très contemporaine que tu leur proposes. Bravo !
Ce livre est un bijou,je l'avais déposé sur mon coeur.
RépondreSupprimerIl avait toutes les raisons du monde de conquérir mon âme sensible... par son thème, sa géographie, sa force, le courage des mots et bien plus encore <3
Et bien plus encore comme une mangue bien mûre dont le jus coule, coule sur le menton, coule, coule dans le cou, coule, coule entre les seins, coule, coule au sein d'un triangle divin, coule, coule, entre les cuisses chauffées par le soleil, coule, coule...
SupprimerIl y a survécu, comme tant d'autres à d'autres traumatismes, d'autres abandons...
RépondreSupprimerUn témoignage marquant !
un être fort, un livre humain, une histoire d'enfant entre tristesse et espoir...
SupprimerC'est tellement drôle jusqu'au moment où la radio passe de la musique classique, signe du coup d'état.
RépondreSupprimerLes cinquante dernières pages, je les ai lues quasi en apnée... j'avais les images du film et de cette mère qui devient folle, obsédée par Christian, Christiane, Christelle et Christine. D'avoir usé ses ongles à gratter leur chair morte incrustée dans le sol.
Insoutenable.
Et quelle écriture !!!
J'aime aussi beaucoup le chanteur qui est retourné vivre au Burundi contrairement à Ana sa sœur qui ne veut plus entendre parler de ce pays.
Gaël Faye chanteur est super aussi. Tu dois connaître Lundi méchant et Respire. J'adore.
Je ne connais pas vraiment le chanteur, mais avec ce roman autobiographique, j'ai découvert un auteur, un poète, une âme...
SupprimerPas encore vu le film... Peut-être faudrait-il que je l'achète pour faire une soirée cinéma familiale... malgré la tristesse du récit...