jeudi 10 décembre 2020

Rhum et Caribou


Je laisse derrière moi le Mont-royal et son « ascension » vertigineuse, un écrin de verdure au cœur d’une ville, et un type qui vit dans une cabane dans les arbres. Peut-être pour voir les étoiles de plus près, ou pour boire un p’tit verre de caribou, seul sans être dérangé par les ivrognes du coin, ceux qui martèlent l’asphalte craquelé de leurs sabots poussiéreux. Il m’a fait découvert un peu de son univers, si on peut appeler ça un univers, un gars qui vit dans la rue. Parce qu’à travers les déambulations nocturnes et dissolues que j’arpente dans les rues de Montréal, mon regard se porte sur ces marginaux. Comme son nom l’indique, des gens à la marge de notre société où il faut savoir parfois regarder et écouter pour leur donner un semblant d’humanité. Je vois aussi des expatriés, une colonie haïtienne, à l’image de mon pote Dany avec qui je prenais un thé et une tarte au citron meringué au Café Sarajevo en me prenant pour un écrivain japonais.

« A cause des enfants, les femmes en parlaient à mots couverts. Elles échangeaient en termes sibyllins les derniers échos glanés dans un journal ou à la radio, discutant du mode opératoire du psychopathe. La scène qu'elles évoquaient se passait forcément en hiver, car en hiver tout était plus glauque. Parfois, il faisait nuit dès 15h30, on pataugeait dans la neige aux stations de bus. Lorsque finalement apparaissait le véhicule aux allures de vieux bison exténué, la file indienne se mettait docilement en branle, l'un après l'autre les usagers grimpaient dans le véhicule, généralement bondé et puant le vêtement mouillé. Bien plus tard, une passagère constatait une sensation bizarre au mollet ou à l'arrière de la cuisse : son bas nylon avait été tailladé, et généralement un mince filet de sang s'écoulait d'une estafilade peu profonde. Le maniaque au rasoir avait de nouveau sévi. »

Je sors du métro, comme tant d’autres aux heures où la nuit s’éveille, comme un troupeau de bisons vieillissants venus admirer les anges de la tristesse, la ligne orange. Une neige lourde tombe de la noirceur du ciel. Épaisse et mouillée, je m’interroge toujours, pourquoi c’est mouillée, je cherche toujours, direction la rue Sainte-Catherine, j’y trouverais peut-être des réponses. Quoique, dans cet univers-là, pas sûr. Je ne me souviens plus qui m’a parlé de la rue Sainte-Catherine. Dany, encore ? non lui est plus adepte de la ligne verte. Peu importe, la vieillesse fait qu’on ne se souvient plus de ses précédentes escales, même en ressassant ses vieux souvenirs. En attendant, il me semble faire froid dans le coin, surtout pour un haïtien, je m’en vais m’engouffrer dans un ce ces lieux où tu peux boire une bière en silence, avec des néons qui clignotent dans ta gueule et des filles qui dansent les Joes à l’air sur un comptoir. Pas très reluisant, cette histoire, je ressors direction le métro, ligne verte, McGill. Il parait que là-bas, les filles sont chaudes. Là, c’est encore mon pote l’infatigable Dany qui me l’a suggéré. D’ailleurs avec lui, je bois du rhum dans une piaule aussi grande que celles de Bordeaux, en écoutant des airs de jazz, comme ce bon vieux Trane.

Et là, on cause des « nouvelles de Montréal », auteurs canadiens, francophones ou anglophones, la frontière qui sépare cette ville en deux, sans qu’il y ait de mur entre ces deux communautés, parce que la littérature c’est pas de la maçonnerie. Je relis une histoire de Catherine Mavrikakis que j’avais découvert du côté de Bay City.  On parle base-ball et Paul Auster avec David Homel. On évoque avec Louis-Bernard Robitaille les vieux souvenirs, comme toujours avec ces réunions d’anciens combattants ou d’alcooliques anonymes, ceux qui nous ramènent au Théâtre Gayety à l’époque où la belle Lily St-Cyr faisait son numéro de haute volée. Grand numéro, c’était moins glauque à cette époque-là. On écoute le Money jungle du Duke quand Elise Turcotte se joint à nous. Rodney Saint-Eloi est l’invité d’honneur de sa modeste piaule, entre compatriotes haïtiens, il a ses entrées et son verre de rhum attitré. Et puis la bouteille aidant, les morts assoiffés, je découvre l’émotion d’une Monique Proulx. Bref, en peu de temps, je perçois le pouls  d'une Montréal mouillée, le majeur bleu par le froid du blizzard, toujours sous le regard de la fresque de Leonard et des flocons de neige qui floconnent les craques des trottoirs.   

Merci pour ces déambulations, une bouteille de rhum bien entamée à finir sur d'autres pérégrinations ou transhumances.   

« Dans certains pays du Sud, on n’entame pas une bouteille de rhum sans en offrir aux morts, qui bien sûr ont soif, et qui ne peuvent connaître ce plaisir des vivants. »

« Nouvelles de Montréal ».





8 commentaires:

  1. Montréal et une bouteille de Rhum, je prends !

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    1. Heu si tu pouvais me laisser quand même la bouteille de rhum, ça m'arrangerait bien aussi...

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  2. A la tienne ! Avec un tel programme, tu fais des heureux...
    J'en connais au moins deux ! ^^

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    1. Voilà, je présente une bouteille de rhum et c'est toute la Charente qui s'invite ! Soyez les bienvenus...

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    2. Finalement, il en reste dans cette bouteille de rhum? M'étonnerait avec vous trois, j'ose quand même la question ^^
      Parce qu'après tout c'est le réveillon et que j'ai une tite soif...

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    3. Il en reste toujours pour les blondes les brunes ou les rousses, je sais recevoir... Même que j'en ai pris une tite goutte cette nuit...

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  3. En sortant du Café Sarajevo où t'as pris un verre avec Dany, file sur la ligne orange du métro. En plus d'y croiser les filles de Mcgill, si t'es chanceux, l'une d'elle répondra de son corps à cette grande question philosophique : pourquoi c'est mouillé?
    Ce serait une crisse de belle façon de débuter l'année...
    Bon réveillon

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    1. l'éternelle question ? Je crains ne connaître jamais la réponse à mon âge, mais cela me laisse l'imagination pour investiguer sur le sujet...

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