lundi 27 novembre 2023

Dynamite, Clef à Molette et Packs de Six

« Page, Arizona : treize églises, quatre bars. Toute ville possédant plus d'églises que de bar est une ville qui a un problème. C'est une ville qui cherche les problèmes. »

Page, Arizona, le début de l’histoire. Là dans un bar, entourés de cow-boys s’abreuvant de bières, et de cow-girls trémoussant leurs culs sur de la country, je vois mes quatre héros, comme les quatre fantastiques – ou fanatiques. Quatre compagnons de routes dont nos chemins vont se croiser au milieu de bars et de poussière, et parfois même de bars poussiéreux. Un vétéran du Vietnam, parce qu’il en faut toujours un pour guider les actions contre le système et le gouvernement, un vieux chirurgien qui aime bien gratter de l’allumette, accompagné de sa nettement plus jeune maitresse, faut toujours une belle nana en santiags et short moulant pour retenir mon attention, et un drôle de mormon polygame qui sillonne l’Etat de femmes en femmes.

Les présentations sont ainsi faites. Maintenant, le but de la mission, si toutefois vous l’acceptez : préserver la beauté de ce désert, l’Ouest sauvage dans toute sa splendeur. Les moyens : des clés à molette et quelques bâtons de dynamite. Le but : détruire tout ce qui défigure le paysage : panneaux publicitaires, antennes, ponts, routes, oléoducs, barrages… Rien ne leur fait peur à ces quatre-là, quatre écoterroristes bien avant l’heure. En gros : plus le chantier est imposant, plus faut charger en dynamite, l’équation est simplissime. Et c’est donc partie pour un road-trip où la distance ne se mesure plus en kilomètres ou en miles mais en pack de six…

« Il s'ouvre une nouvelle bière en conduisant. Deux packs et demi jusqu'à Lee's Ferry. Là-bas, dans le vaste Sud-Ouest, Hayduke et ses amis mesuraient les temps de route en packs de six. L.A.-Phoenix, quatre packs ; Tucson-Flagstaff, trois packs ; Phoenix-New York, trente-cinq packs. (Le temps est relatif, avait dit Héraclite dans un passé lointain, et la distance dépend de la célérité. Le but ultime de la technologie des transports étant l'anéantissement de l'espace, la compression de tous les être en un unique point idéal, il s'ensuit que les packs de six sont d'un secours précieux. La vitesse est la drogue ultime et les fusées carburent à l'alcool. Hayduke avait bâti cette théorie tout seul, sans aucune aide extérieure.) »
     
Et comme la bière s’invite à chaque action, celles-ci se font de plus en plus délirantes. Je prends du plaisir à les suivre, souris avec eux de leur bêtise, de leur incompétence parfois, mais cet amateurisme fait du bien, un coup de baume au cœur, pour des gens qui en ont du cœur. Et des convictions, dont le mot d’ordre reste toujours : Sabotage ! Mon premier Edward Abbey, auteur dans le genre visionnaire écologiste - roman écrit au milieu des années soixante-dix, écrivain militant, nature-writer à l'humour débordant. Nul doute que certaines idées ont été reprises et mises en œuvre par quelques petites bandes locales qui s’émeuvent de voir leur paysage défiguré de la sorte par le pouvoir du pétrole et du dollar. Une sorte de désobéissance civile.

« Formidable fleuve. Barrage plus formidable encore. Vu du pont, l'ouvrage présente une vertigineuse paroi concave de béton armé, implacable et mutique. Barrage à gravité, huit cent mille tonnes de solidarité solidement ancrées dans le grès navajo qui forme depuis cinquante millions d'années le lit et les murs du canyon. Bouchon, opercule, coin obèse fiché dans la pierre pour canaliser via des vannes et des turbines la force du fleuve hébété. 
Fleuve jadis formidable et désormais fantôme. A mille cinq cents kilomètres de là, vers l'aval, les âmes des mouettes et des pélicans volettent à l'aplomb du delta asséché. Les âmes des castors remontent le courant en se glissant, nez en avant, sous la surface dorée par l'ocre du limon. Les grands hérons allaient jadis se poser, pattes pendouillant, légers comme des moustiques, sur les bancs de sable de l'estuaire. Les tantales craquetaient dans les peupliers. Au fond des canyons, les cerfs en arpentaient les berges. Aigrettes neigeuses parmi les tamaris, et leurs plumes qui ondulent dans la brise du fleuve... »
 
« Le Gang de la Clef à Molette », Edward Abbey.
Traduction : Jacques Mailhos.
 

 « - On est où, là, putain ? (Yeux injectés de sang, mains tremblantes, Hayduke a l'air fatigué et déprimé.) J'ai besoin d'une bière. »

4 commentaires:

  1. Elle m'a l'air bien sympathique cette virée ecolo.
    Shane McGowan aurait pu convenir à l'illustration musicale, lui qui était accro à la Guiness dès ses 5 ans (oui c'est pas un modèle pour la jeunesse) mais ses clips manquent de cow girls en short moulant.

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    1. alors que le short moulant fait la musique :-)
      je vais quand même aller écouter un peu plus Shane, maintenant qu'il n'est plus, c'est quand même honteux...
      et la virée un brin écolo et déjanté est fort bien sympathique.
      d'ailleurs étonnant qu'il n'y ait pas eu un film "officiel" du roman...

      Le entre-guillemets, parce que je viens de lire que la veuve de l’écrivain Edward Abbey avait essayé de stopper devant la cour fédérale il y a quelques années le tournage de « Night Moves » de Kelly Reichardt, avec Jesse Eisenberg, Dakota Fanning et Peter Sarsgaard, dont le scénario présentait d’étonnantes similitudes avec le livre d’Edward Abbey, « Le Gang de la clef à molette ».

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  2. Bon, maintenant il vous reste à lire "Le retour du gang" (l'affrontement avec un monstre, et une surprise...)! ;-)
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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    1. Pour le moment, pas trop envie de lire le retour du gang. Je préfère rester sur cette première bonne impression. Par contre, oui j'ai envie de découvrir les autres romans d'Edward Abbey...

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