lundi 24 juillet 2017

Bière, Cachaça, Rhum

« - Je viens des regrets, je vais vers le rêve et je suis là par hasard.
Silence perplexe. Jamais personne, à Esmeralda, n’avait proféré de phrases aussi sibyllines. »

Le soleil semble se coucher dans la moiteur de la jungle. Seul au comptoir, je bois ma bière en silence, silence de la jungle. Clac, un moustique en moins, tâche noire et sang sur le comptoir. Le silence se fait de nouveau, silence de la jungle. Le serveur me sert un verre de cachaça. Le perroquet se tait. L’atmosphère se bloque. Il se trame un truc. Et dans truc, je n’entends rien de sexuel, à mon grand regret, la seule pute du village est avec le colonel. Un truc du genre spirituel, un verre de rhum se pose sur le comptoir. Il fait soif. Pour contrer le triptyque chaleur-humidité-moustique, en Amazonie, on compose avec bière-cachaça-rhum. Le remontant de la vie. La musique de la vie. D’ailleurs, à propos de musique, suis-je le seul à l’entendre ? Je me retourne, personne dans la taverne. J’ai déjà oublié que je suis du genre à boire seul, dans ma vie. Le silence s’est subitement tu. Des notes sortent du fleuve. Un piano blanc qui vogue le long du Rio Negro. Étonnant. Je crains d’avoir trop bu. Et pourtant, tout le village est là, sur les rives d’Esmeralda, curieux de cette musique, et de cet étranger qui joue du piano assis, les yeux fermés.

Il s’appelle Amazone Steinway, Amazone comme le fleuve, Steinway comme le piano. La musique de la vie, la vie est un long fleuve pas aussi tranquille que l’Amazone.


« Amazone Steinway se leva de sa chaise, s’approcha du bar à pas lents et mesurés, posa son verre vide sur le comptoir et fit signe à Cerveza de le resservir. Le barman s’exécuta aussitôt avec plaisir. Le musicien prit alors son nouveau verre de bière, le porta à ses lèvres et but une longue gorgée dans un profond silence. »

Pourquoi son piano blanc a-t-il échoué là ? Et lui donc, quel est son secret ? Il y a du mystère dans l’air, des questionnements qui me poussent à me retrancher sur mon comptoir. Une nouvelle bière, un nouveau verre de rhum. J’oublie le cachaça. L’exotisme a du bon chez les femmes, pas dans mon verre.

Alors que j’écoute la musique d’Amazone Steinway, les yeux clos, le cœur battant de souvenirs, d’ondes tropicales et de désirs sensuels, une voix me guide vers Esmeralda. Elle me susurre ses notes, et surtout elle me transporte dans la moiteur de l’Amazonie, pour une belle histoire d’amour et de regrets, de jazz et de musique, de bières et de rhums. Mon élément, doigts de pied en éventail dans le hamac, une blonde qui m‘apporte une bière, une brune qui m’évente avec sa feuille de bananier. Dis Steinway, tu peux me jouer un air, un de tes standards free. Oh oui, mon élément, mon univers, les moustiques en plus attirés par mon sang mêlé au rhum brun du coin.   

« C’était une nuit de pleine lune, avec une chaleur torride, des centaines de moustiques venus en cohortes des sources de Solimões et pas mal d’électricité dans l’air. Une nuit à finir fin saoul, sans un sou, entre les cuisses d’une femme. »

La musique s’aventure dans mon cœur comme un moustique le ferait dans mon oreille. La lune illumine la jungle amazonienne. De verte, elle prend une teinte bleutée, un bleu-lune qui donne envie de s’y perdre. Une nuit d’une chaleur qui donne envie de se baigner nu dans une rivière de bière – l’onirisme du roman me charme si bien que je remplace sans états d’âme l’eau boueuse par des litres de cervezas locales. Une chaleur telle qui me voit finir la tête, la langue entre les cuisses d’une femme dégoulinante d’une sueur ambrée. Écoute. Le silence. Le jazz. Le silence de ma vie. 

« Le noir contre le blanc. Le jazz contre le silence. La musique contre la vie.
Quelque chose de beau.Juste pour commencer cette histoire. »


« Amazone », Maxence Fermine.


10 commentaires:

  1. Vu ( & aussi entendu ) la belle brésilienne à Marciac en 2004 ou 5 je ne sais plus, un bon souvenir & une superbe soirée.
    Merci pour ce moment dirait Nabilla Trierweiler :-)

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    1. La chance... Marciac... Elias... une belle brésilienne... j'adore sa voix, son jazz un peu mou, mais qui donne envie de prendre son temps... pour écouter du jazz, pour écouter une brésilienne... pour boire un verre de rhum...

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  2. Super ton billet. Il me remet en tête ce titre de Manset : Oh Amazonie, je te l'avais dit / Un matin, je reviendrai / J'ai survolé la piste, Amazonie / Et de mes doigts comme un pianiste, Amazonie / Dans la glaise j'ai modelé son corps.
    Je ne connais pas Maxence Fermine. J'ai jeté un oeil sur sa bibliographie. Les titres de ses livres donnent envie.
    A bientôt.

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    1. Ah Manset et la Mort d'Orion. Le summum de la musique... Merci pour ce souvenir... En mauvais fan de l'artiste, sur quel album est-ce ? Ayant mis au firmament la mort d'Orion, je n'ai pas poussé la curiosité plus que ça sur ses autres albums... sachant qu'il ne pouvait faire mieux...

      Maxence Fermine, c'est souvent une invitation au voyage, comme un peu Manset où l'idée que je m'en fais...

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    2. Oh Amazonie est sur l'album Manitoba ne répond plus qui date de 2008.

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  3. Ah celui-là... celui-là je veux le lire, il me tarde même de le découvrir. Pour le silence, la musique, l'exotisme et le suc qui s'écoule. Pour Fermine et sa plume douceur... <3

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    1. et le suc qui s'écoule entre les cuisses d'une femme... je prolonge tes mots et ta pensée, parce qu'il n'y a rien de meilleur que ce suc dans un profond silence... ou dans le silence d'une musique exotique :-)

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  4. Dans l'antiquité un peuple de femmes se coupaient le sein pour avoir un meilleur tir à l'arc, on les appelait les Amazones.

    Amazone un livre précieux que j'ai dans ma bibliothèque.

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    1. J'ai vu Wonder-Woman, l'Amazone la plus connue de notre Terre, et je n'ai pas remarqué qu'elle avait un sein coupé, pourtant, elle tire bien à l'arc... :-)

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    2. Et à lire avec une Chouffe Soleil, bien évidemment...

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