dimanche 26 janvier 2020

HP. Ignition


Un banc sous un arbre, quelques pigeons s’y sont abandonnés. Une note de silence, la musique de ma vie. Je m’assois. Quelques oiseaux fredonnent leurs ébats envolés. Seul. Mon regard se pose sur cette grande bâtisse qui se dresse devant moi, à l’ombre du soleil. D’un autre âge, austère malgré son nom fleuri, j’ai la triste impression de me retrouver face à une prison sans barreaux. Les Primevères, HP. Ignition.

« Je refusais de manger. Ils ont fini par me poser une sonde afin de m’alimenter. Chaque soir, avant d’aller me coucher, un infirmier fait rentrer le tube par mes narines. Deux poches de liquide opaque me nourrissent. Le tube remplit mon estomac. Je ne connais pas son goût, j’imagine un lait concentré chimique saveur protéines, glucides, lipides, vitamines. Vers quatre heures du matin, un infirmier vient me changer les poches. Deux litres par nuit. Gavée, comme une oie. J’attends l’abattoir. Mon corps rejette le liquide, il a compris. Il goûte : oppression, soumission, détention, gavage, remplissage. Il dégoûte. »


Des envies de respirer… Souffler… Mourir. Bianca, Simon et Raphael. L’ombre de Bowie aussi. Toujours présent dans ce genre de roman, les romans de Loulou. Je ferme les yeux, entends une voix. Major Tom ? Décollage imminent. Houston, j’ai un problème. L’anorexie, les peines de cœur, un cutter, les veines qui saignent, l’âme qui souffre, peine. Elle s’allonge sur le carrelage froid de la salle de bain. Le sang coule, rouge sang, comme le rouge à lèvre d’une putain, comme le ketchup sur l’assiette du gamin. Dix, neuf, huit, elle lâche le cutter, sept, six, cinq, quatre, se réveille dans des draps blancs, trois, deux, un, odeur aseptisée, décollage.


« Arrivés à l’hôpital, on monte dans nos chambres. Le lit d’en face est vide. Je m’assois sur le mien, mets mon casque. J’écoute Bowie, « Space Oddity », ma chanson préférée. Je l’écoute en boucle. Bowie est un vrai génie. »

Des infirmières, des visites, des absences. D’envie, de rêve. Se sentir seul, mal à l’aise dans cette putain de vie. Aimer. Et perdre. Can you hear me, Major Tom ? Renoncer. A vivre ; à mourir. Continuer, un couteau ? Pourquoi ? Survivre et chopper un cancer, le mal à la mode, irrémédiable et diablement banal. Survivre et rester sur ce banc à l’ombre de la lune. Bianca vient s’asseoir sur ce banc, je la regarde, avec toute la tristesse qui sied à mon regard. Je branche une double prise jack, deux casques, une musique, singularité spatiale de ces deux êtres, mal hêtre, les glands filent sous la pluie, comme une pluie de météorites. Elle a le regard déjà ailleurs, de l’autre côté de l’océan.

« Je me retrouve seule dans le jardin sur le banc sous le magnolia. J’ai mal au cœur. Mais au moins, je ressens quelque chose. Et ça, c’est déjà bien. »

« Bianca », Loulou Robert.

« Il est dix heures, je lis Baudelaire allongée sur mon lit. Le poison.

L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,
Allonge l'illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,
Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l'âme au-delà de sa capacité. »


15 commentaires:

  1. Salut, le BIson
    "Le sang coule, rouge sang, comme le rouge à lèvre d une putain".
    N est-ce pas un cliché ?
    Beaucoup de femmes portent ce rouge.
    Il m arrive de porter du rouge à lèvre de ce ton...
    Encore une joyeuseté, cette lecture !
    Ecoutons Bowie! Il animera ce dimanche après-midi.10, 9,8...

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    1. Tu m'as démasqué, je ne suis que cliché et joyeuseté...

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    2. Salut, le Bison
      Ta chronique m a permis de redécouvrir le poème de Baudelaire et de le relire en entier. Merci, Bison

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    3. C'est déjà ça... Toutes les excuses sont bonnes pour se replonger dans le spleen de Baudelaire

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    4. "Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire..."
      Oui, si l on cherche un vers ou un poème, chacun nous interpelle.

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  2. Loulou...
    Pleine de fièvre, de fureur, une femme à l'étât brut.
    J'aurais eu envie de m'asseoir près d'elle sur ce banc, à l'ombre de la lune.
    Je viens de terminer Hope puis Je l'aime...
    Vite me plonger dans Bianca, ce livre à l'aurore des autres...
    Sujet Inconnu n'est pas très loin...
    À la lumière de ses mots, ce doit être touchant de la rencontrer.
    Merci :-*

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  3. merci toujours pour tes conseils bouquins. Jamais déçu lorsque j'ai pu en dégoter

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  4. Magnifique vidéo. Les regards en extase de ceux qui ne tapent pas des mains sont magnifiques. Il y a même un sosie de Ziggy.
    Et cette voix, c'est pas possible. Et beau, oui...

    Le livre ? Bien cruel et triste.
    Le mal-être existentiel, un fléau.

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  5. Oh la la, toujours pas lu Loulou là, quel relou !

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    1. oh le relou... Et en plus tu l'a rencontré sans avoir lu ce premier Loulou. L'histoire de Loulou démarre ici et est plus belle à chaque nouvelle œuvre, plus puissante, plus émouvante.

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  6. ... et on dit "merci" à qui pour THE photo ?!! ^^

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