mercredi 1 janvier 2020

Un Canon sur la Tempe


Jim, un calibre .44 Magnum dans la poche. Jim, le père de David. Jim, fatigué, lassé, usé par la vie. Une putain de vie, alors il a bien le droit d’avoir son flingue sur lui. Pour être toujours prêt. Le canon froid et métallique dans la bouche, sur la tempe, sous le menton. Sentir cette tension. L’objet de cette attention : le suicide. D’un père, d’un proche.

Jim souffre, intérieurement d’abord. Mais il arrive à exprimer à minima ce malaise qui campe en lui depuis trop longtemps. On pourrait croire à un début, celui de la conscience et de la prise en charge, psychiatre et médicaments pour soulager la peine, un soutien familial. Pourtant, il ne cesse de clamer qu’il veut en finir, qu’il va en finir. Une balle dans le magnum et l’explosion finale.

« J'aurais dû être un meilleur père, un meilleur époux, un meilleur chrétien, un meilleur dentiste, un homme meilleur. Dans mon enfance, je posais des collets, et pour être totalement honnête, j'aurais aimé passer ma vie en forêt, loin des gens, mais j'ai été obligé de discuter avec eux tous les jours, et je dois encore parler. Je suis censé sourire, aussi, mais je ne crois pas que ça me soit arrivé depuis une décennie ou deux. Chaque nouvelle année n'est qu'une période à traverser, du temps à passer, rien à désirer. »

David Vann réussit à mêler fiction et réalité, dans cette histoire familiale, une odyssée mortuaire entre la Californie et l’Alaska, les derniers jours de son père. C’est puissant, c’est intense, c’est puissamment triste. On connait tous l’issue d’un tel drame. J’aime David Vann parce qu’il ne me ménage pas, parce qu’il met des mots sur mes maux. Il y a des livres tristes comme il y a des vies tristes.

Le brouillard qui s’engouffre dans la plaine, s’immisce dans la tête. Les étoiles au loin. Une lune bleue qui se dévoile à peine et semble se cacher de mon regard. Je lève les yeux, à chaque fois, je me dis que c’est la dernière fois que je la vois, trop de souvenirs derrière moi. Il y a des évidences comme ça, dans la vie, comme celle de pointer un calibre dans la bouche.        

« Je ne peux pas être sauvé, dit Jim. Merci d'essayer, mais j'ai vécu trop d'heures en solitaire. Ça continue encore et encore, et tout est douloureux. »

Merci. Il faut avoir une sacrée paire de Joes pour oser m’offrir un tel livre.

« Un Poisson sur la Lune », David Vann.
Traduction : Laura Derajinski.


« Si épuisé. La sensation rugueuse des draps bon marché, l'odeur de moisi que dégage ce vieux motel, des oreillers trop fermes, mais il parvient quand même à dormir, heureusement, et quand il se réveille, il fait nuit dehors. La désorientation d'une sieste au milieu de l'après-midi, se réveiller à la fin d'un moment indistinct, le sentiment d'avoir perdu quelque chose. Mais calmé à présent, après son repos, plus autant de désespoir.
Il bande et il a besoin d'uriner. Il essaie de se branler mais n'arrive à penser à rien, et il n'a pas de porno à regarder, alors il abandonne. Il se demande s'il baisera encore avant de mourir. Sans doute que non. Mis sur le banc de touche. »

15 commentaires:

  1. Salut, le Bison
    Eh bien?! En voilà un roman pour bien commencer l année : bonjour, le moral!
    Le titre "Un poisson sur la lune" permettait d imaginer tout à fait autre chose...
    Mais, bon: c est le 1er commentaire que je poste ici et je ne sais pas encore ce que je vais trouver sur ce blog, mon inscription etant très récente.
    Quoi qu il en soit, je garde le titre en tête, si jamais le bouquin croisait ma route.

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    1. Tu n'y trouveras rien que de la poussière mais soit la bienvenue tout de même, d'autant plus que tu es le premier commentaire de l'année, ça s'arrose. Parce qu'en plus de la poussière, tu trouveras aussi de quoi te nettoyer le gosier de toute cette poussière...

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  2. Une paire de Joe, c'est quoi, des Santiags ??????? ;-)
    Meilleurs voeux Le Bison.

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  3. Celui ou celle (mais "celle" n'a pas une paire de Joe en principe...) doit très bien ou très mal te connaître...

    A la mort de l'amour de ma vie "on" m'avait offert "Notre besoin de solitude est impossible à rassasier", un éloge (sublime certes) du suicide.
    La délicatesse...

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    1. En "principe", "celle" a justement une paire de jos ;-)

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  4. David Vann est dérangeant et c'est pour ça que je l'aime. Il me bouscule, m'ébranle, me transporte du côté noir de la lune, là où les âmes sont écorchées à vif. Et j'aime les âmes fragilisées, j'ai la chance d'en côtoyer chaque jour, elles sont mille fois plus belles et vraies que n'importe quelle autre...
    Tiens je vais le lire bientôt ce David Vann, et pourquoi pas même y faire la prochaine escale, en Alaska?...
    Thiéfaine, la classe pour ce premier janvier, j'adore... <3
    p.s.: En "principe" oui mdrrrrrrrrrrrrrrr ^^
    Il faut oser à la hauteur de ses Joes ha ha ha

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    1. Cette vidéo de HFT est magique, sublime ; ce regard, ces ombres, un grand homme.

      Dérangeant, un sujet qui ne me quitte pas, jours et nuits, obscured by the clouds, et dark side of the moon. Les ombres d'une vie - ou d'une mort.

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    2. Tiens... et d'ailleurs, en tant qu'autochtone... comment tu écris les Jos... je n'arrive pas à trouver d’orthographe commune...
      Jos, Joes... je crois même que Réjean Ducharme écrit Djeaux...

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    3. Pour la petite leçon de québécois du soir : on écrit un joe, deux joes, une paire de joes, des Joes généreux, majuscule requise...

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    4. tabarnak, je l'avais donc écrit bon le premier coup avant de me raviser. Je corrige de nouveaux.
      Par contre, la majuscule est systématiquement de rigueur quelque soit la générosité, question de respect :-)

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  5. Où comment bien commencer l'année...ou pas !

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  6. j'admire cet auteur ! arriver encore une fois à nous pondre un sublime roman avec tout son vécu. C'est triste certes, mais ça parle de la vie. Alors profitons en pour la "vivre" pleinement ! bonne année au passage ! ;-)

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  7. Avant... j'ai noté Désolation (à cause de toi ;p)

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