jeudi 5 mars 2020

Euskal Balea

Elle s'appelle Oyana et voulait juste descendre au dépanneur, acheter quelques bières pour la soirée. Prendre un truc à manger pour une soirée tranquille à Montréal, à deux pas de la rue Sherbrooke. Une radio qui crépite, flash-info annonçant la dissolution de l'ETA. Un monde qui bascule, le sien. Les souvenirs resurgissent de son passé, d'une grande violence.

C'était il y a bien longtemps, elle prenait des photos de touristes sur la plage entre deux services dans un bar. Un soir, elle devait juste conduire une voiture, parce qu'un ami le lui avait demandé. Et puis la déflagration d'une bombe, une mère et son fils, simple dommage collatéral. Impossible à en supporter plus.

« J'ai erré dans la maison en me demandant ce que je pouvais emporter. J'ai photographié chaque pièce. J'ai choisi des vêtements : ma robe noire à pois blancs que tu aimes tant, mon pull en laine ramené de Calgary, mon manteau en cuir verte que tu m'avais acheté sur un coup de tête dans Kensignton Market. On était allés passer quelques jours à Toronto pour fêter nos dix ans. J'aurais pu prendre des CD mais ceux que j'aime sont déjà dans ma playlist : Bach, Sati, Tom Waits, Richard Desjardins, Brassens, la trame sonore de Broken Flowers, Janis Joplin, Gotan Project... J'ai quand même craqué pour le Stabat Mater de Vivaldi par Andreas choll et My World is Gone d'Otis Taylor. Par besoin de t'expliquer le pourquoi de ce titre. Côté bouquins, je me suis restreinte à trois. An Unfortunate Woman de Brautigan. Encore un signe ? La Femme aux lucioles de Jim Harrison et, parce que j'en ai tiré le début de cette confession, Alexis ou le traité du vain combat. J'ai aussi failli prendre La femme qui fuit mais je n'avais pas assez de place. Je te laisse mes Pléiades d'Hemingway, de Baudelaire et de Rabelais. J'emporte quelques bijoux.
C'est drôle de réaliser que, tout à coup au moment du départ, tant de choses auxquelles je croyais tenir m'apparaissent insignifiantes. Elles ne servaient qu'à consolider le château de cartes de ma vie.  »


Elle se souvient d'avoir vu, enfant, un cachalot s'échouer sur la plage de Cenitz. Son regard triste, celui de la baleine, d'une grande vacuité, comme s'il n'avait pas compris ce qu'il faisait sur ce banc de sable. Maintenant, elle prend son appareil photo pour capter le regard des baleines à l'embouchure du Saint-Laurent. Un exil qu'elle pensait irréversible, sans ce petit communiqué sur les ondes locales d'un fait de l'autre bout de l'Atlantique.

Comprendre ses choix, passer de l'oubli au souvenir, revenir sur ses traces et revivre l'invivable.  Et tout quitter une seconde fois, pour boire un kalimotxo.
Oyana est née le jour où Luis Carrero Blanco, premier président du gouvernement de Franco, tutoya les étoiles orchestrées par l'ETA, opération Ogro. Est-ce une façon de lier son destin à celui de l'ETA, elle qui pendant toute son adolescence ne s'était pas senti concerné par cette cause basque, malgré ses origines ? 


« Elle sent son sexe qui pénètre dans son vagin. Il s'enfonce en elle. Son sexe est dur et lisse. Il entre dans son corps en cadence : et une, et deux, et trois, et quatre. Il serre ses fesses à deux mains pour aller un peu plus loin. Il lui mordille le cou, lui lèche les oreilles et enfonce sa langue dans la bouche. Leurs lèvres s'emmêlent. Elle lui prend aussi ses fesses pour l'encourager. Elle compte dans sa tête les coups : et un, et deux, et trois, et quatre. Elle sent son sexe, leurs sexes, l'afflux sanguin dans les zones érogènes, elle sent son poids sur elle, la sueur de plus en plus prégnante entre leurs deux corps. Elle serre les fesses et contracte les muscles de son vagin pour resserrer l'étreinte, qu'il vienne au plus vite, qu'il éjacule une bonne fois pour toutes et qu'on en finisse. Elle en a marre : et une et deux et trois et quatre. Elle l'encourage de quelques hummmm, haaahaaa, ouiiiiiiiii et enfin il crie haahaaaaah et elle sent le sperme chaud en elle qui bientôt coulera sur les draps. Il a joui, c'est fait. Elle est seule à savoir qu'entre eux c'est fini. »

Un grand merci pour ce voyage entre le Québec et le Pays Basque, l'évocation des baleines me plonge souvent dans une autre dimension. Le Pays Basque, je ne connais pas mais je sens que je ne suis pas si loin de lui.

« Oyana », Eric Plamandon.

« Attachons les épaves aux vessies des baleines. »

8 commentaires:

  1. Cenitz, Guéthary, Saint Jean de Luz, mon pays ma montagne :-)

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    1. Je ne sais pas pourquoi, mais dès que je me suis décidé à mettre un titre en basque, j'étais sûr que tu allais venir fureter dans le coin ! :-)

      Mais franchement, le kalimotxo...

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  2. Le Pays Basque, c'est magnifique, j'y suis allé plusieurs fois, j'adore.
    Le Québec, c'est magnifique, je n'y suis pas encore allé, j'adore quand même.
    Eric Plamandon, je l'ai découvert il y a peu et j'ai adoré son écriture.

    Pour ceux qui seraient dans le coin, Eric Plamandon sera au Texte Libre à Cognac, le 31 mars à 18H30.

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    1. Pour ceux qui seraient dans le coin, je serai à boire un verre de Cognac, le 31 mars à 18H30.
      :-)

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  3. Il y a quelque chose de beau et fort dans le regard des baleines. Ce doit être magnifique d'arriver à le croiser...
    Je ne connais que la musique de leur souffle dans les eaux du St-Laurent et leur danse aquatique, majestueuse.
    J'aime les baleines, c'est une histoire d'amour.
    Et j'aime nataq, seconde histoire d'amour.
    Et si on se prenait un p'tit verre ?

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    1. ça doit être si magnifique de croiser la route de ces baleines en canoë... dans le silence de leur souffle...
      et ce nataq, choisi parce qu'il était cité en exergue par l'auteur, je le trouve si beau, si déchirant, si émouvant... et putain, je viens de voir que tu avais mis en ligne ce poème le 15 octobre 2014...

      "...
      A ton signe, à ta voix, recueillis sous tes lances,
      Des troupeaux de bisons réclamant sacrifices,
      ..."

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    2. Si je n'avais qu'un seul poème à emporter dans le silence de mes grandes étendues sauvages et solitaires, ce serait sans doute nataq...

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    3. Je te comprends, et mis en musique avec le flot de Desjardins, c'est tout aussi magnifique...

      Ouvre les yeux et vois cette nuée d’oiseaux
      A l’assaut de la mer inconnue, où vont-ils?

      http://www.lamarreedesmots.com/article-nataq-richard-desjardins-124778630.html

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