mardi 22 septembre 2020

Le Cactus Solitaire

Je la vois de l’autre côté du quai, elle attend probablement le train d’une direction opposée à la mienne. Je la suis du regard. Je l’imagine s’appeler Guadalupe, guapa de la palapa. Le ciel s’assombrit, un orage s’abat sur les toits de Santa Helena, une rousse apparaît au milieu du tableau comme un parasol en papier au milieu d’un verre de piña colada. L’eau fraîche ruisselle sur son corps nu, caresse sa peau, lèche ses humeurs. Je regarde ses paupières, le sourire de celles-ci provoqué par ces fines rides qui habillent sa vie. Je sors mon zoom, n’y vois pas de mauvaises intentions, guapa, je suis photographe de paupières. 

Je pénètre dans le restaurant bondé, un parfum de chili, hot hot los jalapeños, du bruit et des rires, jolies mexicaines aux jambes caramélisées ; je pénètre dans les toilettes, celles pour dames. Je respire, sent ces odeurs, observe ces traits de rouges à lèvres sur un miroir, observe ces traces jaunes d’urine le long de la cuvette. J’hume cet exquis parfum, n’y vois pas d’esprit malsain, guapa, je suis chasseur d’odeur. Et je te respire Fleur, je vais te chercher à travers toutes les toilettes de la ciudad.

Je me promène dans un parc, en pleine ville, en plein Japon. Autre destination à laquelle je t’emmène le temps d’un paragraphe, d’un verre de saké ou d’une promenade automnale dans les serres du jardin botanique. Splendeurs de mots et des images, j’ai délaissé la solitude mexicaine pour croiser la solitude japonaise. Des histoires d’âmes tourmentées sur la vie, sur l’amour, sur le couple. Cela fait peur, je te l’avoue, car si tu es un chèvrefeuille, et si j’adore son parfum, je me rends compte guapa, dans cette serre tropicale, que je suis un cactus solitaire.

C’est étrange, c’est surprenant, mais c’est aussi magique et triste, spleen solitaire de quelques histoires fascinantes.

« Une nuit, je me réveillai en sursaut après un cauchemar dont je ne pus me souvenir. La lune presque pleine pénétrait à travers le shôji, baignant la chambre d ‘une lumière bleutée. Le corps de Midori était presque entièrement allongé sur le mien, respirant sereinement dans un sommeil profond. Ses jambes et ses bras en laçaient les miens, imitant les branches d’un lierre ou d’un chèvrefeuille. C’est ainsi que je le découvris : ma femme était une plante grimpante, souple et brillante. « C’est pour cela qu’elle aime tant la pluie, pensai-je, alors que, moi, je ne la supporte pas. »

La nuit s’achève, une bouteille vide de tequila, ma lune s’en est allée, comme sur un autre quai, Il est temps d’aller me coucher, how do you sleep…  


« Pétales », Guadalupe Nettel.

Traduction : Delphine Valentin.



8 commentaires:

  1. Mexique - Japon : un grand bond. Mais partout dans le monde, des femmes splendides et de la solitude.

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    1. la solitude peut pousser dans toutes les âmes quelque soit le terreau apportée...

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  2. Ne jamais laisser filer une belle lune...

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    1. je ne suis qu'à peine une poussière d'astre qui n'a donc rien pour retenir la plus belle des lunes...

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  3. Le bison reste pour moi une énigme.
    Quelle activité professionnelle peut laisser autant de temps... pour la lecture... et pour une telle consommation de liquide... ^^

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    1. Il y a certaines énigmes qui ne méritent pas qu'on s'y penche plus que le temps de boire une bière...

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  4. Ça me semble un très beau recueil d'âmes solitaires qui ne demandent qu'à être comprises...
    "magique et triste", c'est aussi le spleen de toutes vies humaines, certaines plus bouleversées et bouleversantes que d'autres.

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    1. et certaines sans saveur, c'est aussi ça le spleen de certaines vies.
      Mais ce recueil est très beau... Autant la couverture ne m'emballait pas, autant l'écriture m'a ébloui et totalement conquis.

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