dimanche 21 mars 2021

Les Escales de Nad' et du Bison : Cuba

Lieu : La Havane
Lever du soleil : 7h36  | Coucher du soleil : 19h39
Décalage horaire : - 5h
Météo : 31° ressenti 38°. Beau temps peu nuageux, rafales de sud 25 km/h.
Coordonnée GPS : 23° 07' 58" Nord, 82° 22' 58" Ouest
Musique : El Quinto Regimento / Los Cuatro Generales / Viva La Quince Brigada, Charlie Haden
Un Verre au Comptoir : Rhum Clément




« - Faut que tu évolues, Pedro Juan. [...]
- J'aime pas qu'on me touche le derche.
- C'est du machisme, ça. Tu dois apprendre à jouir par-devant et par-derrière.
»


Je débarque sur l'île, poussière de Havane. Un cigare, un rhum, une pute. C'est mon univers, ma prison, ma musique. Dans la rue aux couleurs bariolées, les palaces sont abandonnés, des saxophones jouent des mélopées libres comme le vent d'Est, l'air est chaud et humide. Je m'appelle Pedro et je suis accroc. Addict comme on dit maintenant. Je suis vieux, j'ai survécu à l'île, je me suis repenti mais en 1969, une putain d'année, j'avais quinze ans, et je découvrais l'amour avec Dinorah, une vieille pute quarante ans bien tassée, chaude et humide. Mais son sourire et son expérience firent mon bonheur, surtout celui de ma queue lorsqu'elle s'aventurait dans sa bouche. Sa langue tournait autour de mon gland, moi le vendeur ambulant de glaces, et j'avais beau me retenir pendant des heures, au final, je giclais toujours autour de ses lèvres. J'avais le sexe en feu, tant elle en redemandait. Et entre deux pipes, je laisse le cigare au repos, et j'ouvre la bouteille de rhum. Une giclée dans le gosier, une autre entre ses seins, je lèche cette douceur ambrée. OH!, enlève ton doigt de mon cul, je suis pas de ce genre-là. Le soleil se couche au-delà de la mer, les étoiles se réveillent, elles sont mon guide, elles sont là pour me rappeler que de l'autre côté de l'océan, il y a l'Amérique. Ils rêvent tous de mythes, mais les légendes sont rares à Cuba, et la tristesse m'emplit chaque nuit lorsque je fixe la lune bleue au plus profond de son âme. J'ai honte de ce que je suis, alors à la lumière d'une bougie de contrebande, je sors ces vieux livres interdits Truman Capote, Faulkner, Erskine Caldwell, Jean-Paul Sartre, Marguerite Duras, Nietzsche, Wright Mills, Sherwood Anderson, Carson McCullers, Hermann Hesse, Dos Passos, Hemingway... Et je rentre dans ma bulle, mon île, mon rhum. On ne quitte pas comme ça la poussière de sa vie.
 

Viva la república española de Cuba! Cette île aux eaux turquoise que l’on quitte toujours avec regrets, avec autant de douleur que la poussière d’une vie. Siempre, toujours... Cuba laisse en chacun de nous une empreinte que même les ouragans les plus mortels n’arriveront jamais à emporter. Le manque s’insinue au fond de nos tripes, ce soleil qui brûle la peau, le vent des îles, sous un palmier. Viens te fondre à ma peau fiévreuse, salsa corps à corps, danse lascive, érotique. Et puis, ferme les yeux, écoute le silence et la mélodie marine des vagues qui s’échouent sur le sable fin et chaud, le sel marin, saveur iodée qui chatouille tes lèvres de mille feux brûlants. Je suis à toi, mi isla, mon « il », des heures à nager dans tes eaux bleu turquoise, en compagnie de Pedro et Rafaël.
 
« Dinorah exerçait un contrôle fabuleux sur les muscles de son vagin. On aurait cru une main. Ou une tenaille. Elle me serrait la pine avec, la massait, l'étirait, l'aspirait dans le jus qu'elle produisait en surabondance, cette crème naturelle... C'était une main, une tenaille et une bouche... trois en un, l’appareil ! Elle aurait pu le faire breveter. Il y a peu de femmes qui sont capables de faire ça. Une pompe à succion entre les cannes. »
 
Je suis d’ailleurs, hasard ou coïncidence, attablée avec Pedro dans une rhumerie du village. 1969, une crisse d’année. Dinorah flotte au son de la musique, paix à ton âme vieille pute! Guidée par la lune et les étoiles, blue moon, étoile du Sud. Cette bourgade est pleine à craquer d’âmes esseulées. Ça pue le mauvais rhum qui te brûle la gorge, une odeur de vomi d’ivrogne, un nuage d’alcool et de tabac, de sexe passé date. Viva la libertad! Rhapsody in blue de Gershwin est sur la plaque tournante, piano et orchestre, fiesta. Cha-cha-cha, son y triple mango! Rafael Moya est ce gars à l’implacable instinct de survie, il nous rejoint, Pedro et moi, d’ailleurs il est là, pas très loin, dans un nuage de cigare cubain. Cohiba por favor! Sa nouvelle demeure : la prison, pavillon des idéalistes. Né à Trinidad, prisonnier politique cubain, il a dix-sept ans. Dix ans de prison pour atteinte « aux biens de l’État et conduite immorale ». Desgraciado, tabarnak!!! Les histoires ne sont jamais très nettes entre les vices, les viols dans les petits recoins obscurs, des bourreaux de trois cent livres qui te reluquent le cul, une terreur derrière les barreaux. Il faudra lui passer sur le corps à Rafaël, il en a vu d’autres. Mierde, sírveme un ron por favor! Tengo sed. La poussière d’une vie…

Je ramasse un balai abandonné et balaie ainsi devant le rideau de ma vie la poussière amassée par une nuit sauvage de stupre. La trique au réveil, les lèvres sèches, donne-moi ton rhum lui dis-je, donne-moi ton foutre me dit-elle, le soleil déjà levé et la sueur qui dégouline, déjà, encore, de ses cuisses, de mes aisselles, une odeur de débauche. Je lèche l'ambre de cette vie à Cuba, terre d'accueil, île de prisonniers. Des putains et du rhum, je m'allonge sur cette plage isolée, le regard sur la myriade d'étoiles qui entourent la lune, des putains et du rhum. Pendant des heures, des jours, je garde ce silence en moi, pour moi, le regard triste porté vers la lune, les verres de rhum s'enchaînent, les éjaculations se déchaînent, un saxo furieux crie sa rage en mélopée, Cuba, île de toutes les luxures, Cuba, île de tous les rêves, Cuba, île de tous les désenchantements. Cuba, pulsion de ton cul, ô abandonne-toi dans mes sauvages pensées, prend une guitare, joue-la salsa corps à corps ou rhumba cœurs enrhumés, la sauce épicée de la vie, le rhum de l'envie. Cuba, fièvre allure, les yeux clos, la mélodie iodée des vagues s'échouent sur la plage comme autant de radeaux abandonnés, tristes sorts d'une échappatoire impossible. Un cigare, odeur de fumée, le tabac roulé entre les cuisses d'une cubaine, ce doux parfum de fumet, respire entre ses cuisses, sent ce bonheur mouillé les rêves pornographiques à peine léchés par le flux et le reflux de la marée, le va et vient de moi en toi.   

« Je vis parmi les poètes, les lesbiennes, les peintres et les musiciens, les bourreurs de cul les plus jeunes et les plus charmants qui soient, les troubadours et leurs guitares, les alcooliques et les drogués, les putes et les fous. En pleine décadence, quoi. L'abolition du bourgeois. L'enfer. C'est le bonheur, mon très cher et tendre, de vivre sur une terre vacante, au milieu du feu ardent... »
 
C’est dans ces odeurs de cigares, de promiscuité et de cubaines aux senteurs des îles que le maquilleur d’étoiles - Chichi - entre en scène. Hasard d’une rencontre dans un port de pêche havanais, ça sent le barracuda et autres poissons aussi puants qu’incommestibles pour le commun des mortels. Les gens prennent un coup, le soleil frappe de plein fouet. C’est ainsi que se croisent Chichi, Pedro et Rafaël, trois âmes écorchées. Les deux derniers mendient un refuge, ils sont poursuivis par la police cubaine et là-bas, ça n’rigole pas, si tu ne veux pas finir à Guantanamo, te quedas callado…! C’est alors qu’ils se retrouvent chez Chichi - quinquagénaire distingué - dans un hôtel particulier, bordel bas de gamme pour gens en mal de vivre. On y trouve là un harem de femmes artistes, car Chichi, notre maquilleur d’étoiles, peinturlure les visages des chanteuses, danseuses et divas à froufrous et faux diamants pré-révolution, en autant que ça brille sur les planches des cabarets et music-halls, poudre, fard, rouge à lèvre, nuances de bleus aux paupières, rallonge de cils et faux semblants, il les rend sublimes, quoi qu’elles le sont déjà. Pedro est aux anges dans ce décor, Rafaël préfère la caresse des hommes sur sa peau, jeune prostitué homosexuel. Chichi le prend en charge, il ne sera pas au bout de ses peines, il connaîtra l’amour des sens, s’en abreuvera, s’y saoulera, moyennant un impressionnant pactole de pesos cubains. Viva la vida!

La nuit havanaise se poursuit jusqu’au petit matin. Los Latinos, Beatriz Marquez, Compay Segundo, Ibrahim Ferrer, Benny Moré, Raul Paz, Manuel Licea... Dans le silence du ciel étoilé, je prends part à la fête, Candela de Eliades Ochoa sur la platine. Cette voix et ces notes qui m’emportent vers le large. Je voudrais y rester… Sous la lueur bleue de la lune, la dernière goutte d'un rhum, le dernier souffle d'un saxo, j'entends encore la contrebasse de Charlie Haden résonner en moi, El Quinto Regimento / Los Cuatro Generales / Viva La Quince Brigada, des airs révolutionnaires, Liberation Music Orchestra. Cette chaleur et ces notes qui m'emportent vers la nuit. Je voudrais y aller... 
 
 
« Vent glacial, rues désertes et sombres. Il me fallait une pute, une bouteille de rhum, un vieux pédé à agresser... »
 
« Le Nid du Serpent », Pedro Juan Gutierrez.
« Le Maquilleur d'étoiles », Joel Cano Obregón






Les Escales, 
un trip littéraire composé à 4 majeurs,
amarrée des mots et de la poussière.

Prochaine escale : Italie

3 commentaires:

  1. Un rhum Clément, notes aromatiques boisés d'épices et de fruits. Sais-tu que la classe tu l'as en tabarnak toé!
    Et si on se prenait de la Grappa en terre italienne? Ou un bon Prosecco de la King Valley? :D

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