jeudi 22 juillet 2021

La Ristigouche

Je me prélasse dans la baie des Chaleurs, la panse pleine et la queue frétillante. Je remonte la rivière me faufilant entre les roches et les pattes d’ours affamés, les mouches volent dans la brillance des reflets du clair de lune. Entre ombres et lumières d’une forêt ancestrale, je voltige vers mes racines ancestrales. Je suis #Taqawan et fier de l’être. Chacun ses penchants, moi la queue frétillante du saumon, ça m’émeut.

« Dans l’Ouest des Etats-Unis, au milieu du dix-neuvième siècle, pendant qu’Herman Melville écrit Moby Dick, des hommes à cheval, armés de longs fusils, abattent les troupeaux de bisons. Pour certains, il s’agissait d’une stratégie d’élimination des Indiens. De nombreux peuples millénaires de ces contrées ayant basé leur existence sur la symbiose avec le bison, il suffisait de l’exterminer pour faire disparaître ceux qui en vivaient. Un siècle plus tard, l’histoire de ces milliers de carcasses pourrissant au milieu des plaines du Wyoming ou du Dakota souligne la cruauté des colonisateurs. On parle désormais d’un génocide par tuerie interposée.
Dans l’Ouest, l’homme blanc a réussi à éliminer les Indiens en éliminant les bisons. Dans l’Est, il y avait des saumons. On les a pêchés à coups de barrages, de nasses et de filets jusqu’à l’épuisement des stocks. Les Indiens aussi sont épuisés. »

Pow-wow d’un autre temps, les festivités indiennes ne sont plus de joie. Elles deviennent émeutes, répressions, assassinats. La Police distille ses lacrymos, ferme les ponts qui mènent à la réserve, viole des jeunes indiennes… La violence en somme, une autre génération de lutteurs, mais toujours cette incompréhension entre les peuples. Je suis #Mi’gmaq et fier de l’être, une eau-de-feu pour laver la poussière en bouche. Chacun ses penchants, moi le whisky poussiéreux, ça m’émeut.

« Elle tire une seconde porte. Une bouffée de chaleur lui rend la sensation d’humidité du mois d’août. Il doit faire au moins vingt-cinq degrés. C’est l’été avec le soleil en moins et les odeurs de bière et de tabac froid en plus. Un couple joue au billard. Il est en veste de chasse carreautée. Elle porte un t-shirt de Judas Priest. Ses seins font gonfler l’image de la lame de rasoir sur l’album British Steel. »

Taqawan, c’est une histoire de pêches et de lois qui virent à l’affrontement. C’est une sombre histoire, noire et triste, qui se mêle de l’Histoire des Amérindiens et de Céline Dion. C’est une promenade dans la nature, sur les rives de la Ristigouche. C’est comprendre un peuple, des bisons et des saumons, une forêt des rivières. C’est affronter le maudit anglais et le colonisateur français. Taqawan c’est à la fois être saumon et mi’qmaq. C’est tremper sa « tartine » dans du sirop d’érable et la lécher de gourmandise comme on se nourrit de légendes d’antan d’un peuple millénaire venu jusqu'en Gaspésie, qui remonte comme le saumon la rivière juste pour continuer à vivre, mais même là, les droits lui sont barrés par une réalité plus mercantile.      
 
« Quand ils font griller la viande de castor sur le feu, les Mi’gmaq conservent précieusement les os de l’animal. Quand ils font cuire une outarde dans la braise, après avoir brûlé les plumes et rôti l’oiseau, ils récoltent soigneusement le squelette. Quand ils mangent du poisson, les arêtes qui ne serviront pas d’ornements ou d’aiguilles sont minutieusement préservées. Si un chien s’empare d’un seul bout d’os, c’est un mauvais présage. Après le repas, les reliques des poissons sont rendues à la mer. Après le festin, les os du castor sont rejetés près des huttes de ses congénères. Après la mangeaille, les ailes, les cuisses, la tête et la carcasse du grand oiseau sont remises dans la rivière ou dans le lac. C’est ainsi depuis des millénaires. Pour que les poissons reviennent, pour que les oiseaux réapparaissent, pour que les castors continuent de nourrir le peuple, comme l’orignal, le lièvre et l’ours, il faut redonner à la nature ce que la nature nous a donné. D’ailleurs, depuis que cette tradition n’est plus observée, il y a parfois dans le cours des choses comme un os. »

« Taqawan », Eric Plamondon.
Merci, érablement.



« Le silence régnait dans l’établissement. On n’entendait plus que la toune de Charlebois : Eastern, Western, pis Pan American… Leclerc était déjà dehors et le gros en train de se relever criait dans son dos :

- M’as te tuer, mon ostie de charogne. Attends-moé au tournant ! »



5 commentaires:

  1. J'ai bien aimé ce roman, la façon dont il est construit, par touches, l'anecdotique se mêlant naturellement à l'Histoire.

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    1. oui, la structure du roman est très intéressante avec ses "chapitres" culturels, historiques, politiques qui permettent en plus de se laisser porté par le saumon de découvrir un pays, un peuple...

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  2. Ah ça oui, les maudits anglais... ^^
    N'y a que les saumons et les bisons de vrais, Céline Dion, ou pas, et le sirop d'érable pour se la tremper......
    Heureuse que tu aies aimé

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    1. je peux faire quand même l'impasse sur Céline ? :-)

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    2. tu peux aussi imaginer Anne Dorval chanter Céline, avec le débit. Ça change la vision des choses..... ^^
      Plus hot, plus exotique, fucking plus trippant

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