jeudi 1 juillet 2021

Sous Acide Lysergique

"Écrire sur la musique c'est taper des monosyllabes : rock jazz hip-hop rap soul funk dance house grunge blues raï, et bien sûr il y a le reggae, la salsa, le gospel, le flamenco et le raggamuffin, mais si tu décomposes ça sera toujours une syllabe plus une syllabe, parce qu'écrire sur la musique c'est comme taper sur les touches d'un clavier, c'est une touche à la fois, même si tu tapes vite, tu peux aussi faire des combinaisons de touches, on appelle ça des raccourcis clavier, mais personne n'est dupe, surtout pas ton ordinateur qui plante deux fois sur trois, alors sois sage sois fou mais si tu écris sur la musique ne te prends pas trop pour Glenn Gould quand tu t'assois à ton bureau, parce que Glenn Gould n'écrivait pas sur la musique, lui, il laissait écrire la musique sur Glenn Gould et ça s'entend, tu peux l'entendre ahaner et pester, mais il aimait ça, chacun son clavier.
Si tu veux vraiment écrire sur la musique, tu sais ce qu'il te reste à faire, tu te lèves et tu montes sur l'estrade, tes mains sont dans ton dos et tu te tiens bien droit, puis tu articules en regardant un point situé quelque part entre Alpha du Centaure et Bételgeuse, tu prends ta respiration et surtout celle des autres et tu te lances, tu dis tout, tout et très vite, et dis Dallapiccola Dandrieu Danzi Daquin Davis Delibes Diabelli Dittersdorf Donizetti Dukas Dusapin Dvorak Dutilleux Dylan Dylan Dylan - c'est comme la gamme c'est comme le morse, et tu le sais oui tu le sait la révolution ne sera pas télévisée, the revolution will not be televised mais la dictée, elle, en revanche, sera musicale, si tu veux vraiment écrire sur la musique.

Les yeux fermés, je suis du genre à plonger les mains dans l'acide, et sans gants. C'est que l'univers de Claro ne m'indiffère pas. Il a croisé mon chemin par le biais de ses traductions de la grande littérature américaine, celle qui est déjantée et qui surprend son lecteur. Puis, j'ai découvert ses romans, du moins un avec cette dose de LSD nécessaire à la littérature de l'âme, avant de parcourir des nouvelles, des poèmes, des essais. Inculte que je suis, dans une édition qui porte bien son nom, Inculte, je m'en ressers un verre dès que l'occasion se présente. Bien que l'univers soit totalement décalé, pour ne pas dire étrange ou survolté, je survole ses jeux de mots et de mains, le clavier cannibale avale les phrases et couche sur papier ses pensées, ses mystères.
 
Je me dis que forcément il faut être sous LSD pour capter l'essence des propos de Claro, moi je suis à fond dans le malt ou le houblon, alors j'ai par moment des difficultés à le suivre, mauvais carburant ou inculture chronique. Mais j'y reviens, sans honte, même si je n'arrive pas à me regarder dans le miroir, si la honte d'une vie, ce serait donc une sorte d'addiction aux pensées de Claro et ce genre d'addiction ne se soigne qu'en thérapie. Sauf que je ne veux pas d'un psy grincheux qui sourcille de mon silence. Je m'allonge sur le canapé, cuir noir odeur de poussière, me met à nu devant mes maux, elle nue dans ses mots, je lui parle de son cul, de ma littérature libidineuse, de ce besoin de lécher les pages des romans pour enlever la poussière des vies antérieures.
 
Je me dis que les mots de Claro sont une mélodie, des accords mineurs qui se passent de majeurs, pourtant le majeur est l'âme de la vie, une musique sous acide lysergique, avec des mélopées libres d'un saxophone furieux, des riffs épris d'une guitare sauvage, des hallucinations sonores d'une vie de poussière, le clavier mécanique d'un mélomane inculte. Je me dis que Christophe Claro c'est comme Frank Zappa ou Glenn Gould. A la première écoute, à la première lecture, je ne comprends pas grand chose. Je sens l'anguille sous roche, le serpent entre tes cuisses et si de prime abord, je ne capte pas l'essence même de sa pensée, n'effleurant qu'à peine la page comme je caresserai le bout de ton sein droit, j'y reviens m'abreuver de son flot comme je reviendrai me ressourcer pour boire à la fontaine de tes cuisses.   

"Le cul est le cul est le cul, pénétra-t-il la substance du monde dont rien dont rien ne laissait paraître qu'elle fût à ce point divisée en son milieu afin que toutes sortes d'objets puissent y trouver une place de choix. Comme tout fondement, qu'il soit métaphysique, modestement physique, ou ostensiblement pornographique, la base où asseoir ces nouvelles certitudes reposait pour lors sur la place centrale du vaste canapé de cuir rouge, lequel trônait à la façon d'un missile dans un coin de la salle d'attente. Elle ne va pas tarder à vous recevoir, avait lipstiqué la voix de la standardiste, et vous pourrez alors entrer dans le saint des saints, cette dernière expression délivrée comme s'il s'agissait d'une formule étrangère, nécessitant un accent différent. Il consulta la cadran galbé de sa montre et vit l'aiguille des minutes se roidir à l'instant de fendre le zéro pourtant introuvable sur n'importe quel cadran horloger. Derrière lui, à son insu, en plein mur, un hublot laissait couler à la verticale de sa paroi extérieure une unique goutte de pluie brûlante qu'il aurait volontiers léchée s'il avait su voler, chose inconcevable pour lors. Dans son cerveau passé en mode veille, diverses tâches en souffrance émettaient une très faible luminosité. Entre un agenda renouvelé automatiquement par la time machine de son ordinateur interne et un book de pics directement téléchargées d'un serveur nippon spécialisé dans la pixellisation des vulves européennes, magnifiquement posé sur la table du souvenir tel un cendrier rond en ivoire dont la légère dépression située en périphérie semble attendre la belle et bonne et consumable volonté de la cigarette, un cul emblématique dont il avait oublié le pedigree et l'indice de résistance lui servait de satellite, point trop gibbeux et suffisamment marmoréen pour qu'il puisse, à volonté, ou dans l'inconscience de la détente, y glisser soit un doigt n'ayant servi à rien d'autre qu'à un défilement d'écran tactile, soit un stylet en caoutchouc conçu dans des buts qu'il était inutile de définir avant usage."       
 
"Plonger les mains dans l'acide", Claro.



2 commentaires:

  1. Si Claro fait jaillir de ton âme les frétillements de tes majeurs et qu’il te fait t’abreuver à la fontaine de jouvence, il te pardonnera forcément de ne pas tout capter ses mots qui jaillissent sous l’acide ou une Val-Dieu. Amen.
    (j'me demande parfois si j'aurais pas mieux fait de rester au bord du lac plutôt que de déblatérer le cul sur une pelouse de McGill. Crisse...)

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    1. McGill ou un bord de lac... les deux sont tentants... mais bon, je dois avoir aussi une préférence... c'est où qua le bière est plus fraîche ?

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