samedi 7 août 2021

Âme Bandée


Réveillé, je suis dans un état second. Ecroulé, je me suis sur mon lit hier soir. La tête en vrac, le cœur mouillé, l’inverse est plausible, je ne sais plus. Le trou noir, j’erre dans des souvenirs sans fond, contrairement à la bouteille vide. Aucune idée ne vient, l’esprit vide lui aussi, j’ai perdu quelques heures de ma vie. 

Que s’est-il passé, trop bu, amnésie localisée, trop lu, les bras plâtrés, les jambes plâtrées ; et la tête, alouette. Une crêpe Suzette ? Je perds la tête. 

L’âme bandée, une vie à l’hosto et pour passer le temps un bouquin, j’aurais pu choisir la bible, après tout la fin est toute proche, non, j’ai pris un feel-good. Qu’est-ce qu’il m’a pris ? 

Un moment de faiblesse, l’ivresse instantanée, pris le premier roman près de la lampe de chevet, besoin de m’achever. Un livre feel-good, et avec ça, j’espère un « Bon Rétablissement » ? 

Pfff… Besoin d’un grand verre, plutôt… Whisky ou vodka, un truc sans eau en tout cas. J’ai déjà trop bu la tasse.  

« Depuis, l'eau a coulé sous les ponts. Et, si je n'ai pas coulé récemment avec elle, on peut dire que j'ai failli. On m'a repêché in extremis, il y a quelques jours, au milieu de la Seine.

Pour être plus précis, à deux mètres du bord, ce qui est bien suffisant pour sombrer dans la vase avant de remonter des semaines plus tard, tout mou et tout spongieux comme les bouts de pain qu'on balance aux canards.

On m'a vidé les bronches, plâtré ici et là. J'avais dû ricocher sur la pile du pont. Suicide raté, soirée trop arrosée, agression ? On se perdait en conjectures.

Moi, j'étais comateux, et donc sans opinion. »

Alors, je commence, premières pages, premiers chapitres, je ne vais pas m’attarder, un vieux à l’hosto, pas très bandant comme histoire, même les infirmières ne font pas d’effort, moi, j’essaye bien de la lever, pourtant… oui, pourtant, pris dans le délire de la situation ou dans le délice de l’écriture, je trouve un demi-sourire à chaque page, ne va pas me demander d’afficher un sourire complet, vieux je suis, con je reste. Pourtant, j’enchaine, les situations, burlesques, drôles, un peu de cynisme, un soupçon d’ironie, et la satire dans tout ça. Manquerait plus qu’un satyre. Ah, non, là je ne vais pas me mettre encore en scène. J’adore, finalement. Ces doux moments passés à l’hosto. Amer, j’entends la mer. Amen, je ressens cette peine.  

« Merci de mettre un peu de baume sur mes plaies.

En parlant de baume, attends d'avoir goûté au kouing amann que je vais te ramener, tu verras, c'est une véritable expérience mystique : les voix célestes, la lumière blanche tout au bout du tunnel... Après, ta vie prendra un autre sens. Tu en seras transfiguré.

Tu bois quoi, avec ce truc-là ?

Bonne question... Un cidre brut, pour rester régional ? Mais je pourrai dire aussi un coteaux-du-layon, un vouvray, un petit jurançon, un riesling vendanges tardives, un champagne, un crémant... ?

Il y a tant de chemins qui mènent au bonheur ! »

Il faut se rendre à l’évidence, les romans feel-good ne sont pas légions sur les étagères poussiéreuses de mes bibliothèques. Oui, j’ai plusieurs bibliothèques, par contre je n’ai qu’une seule cave. Le rapport, aucun… Quand on lit du feel-good, on se sent presque heureux, le temps d’une page ou de deux cent cinq pages, alors on se prend à parler de sa vie, qui n’a aucun rapport avec une vie à l’hosto, exception faite que vieux comme jeune, les infirmières, ça le fait aussi. Surtout celles qui ont le sourire. Peut-être qu’elles lisent des romans feel-good pour avoir tout le temps le sourire, au milieu de ce monde de bras cassés. Surtout qu’il n’y a pas que le bras qui est cassé dans mon cas. 

Envie d’un chocolat pour accompagner la bienveillance de cette bière à défaut d'un Côteaux-du-Layon ? Merci… 

« Il faut se rendre à l’évidence, la plupart des femmes n’ont pas besoin de nous : un ballotin de chocolats leur suffit amplement à remplacer l’orgasme. »

« Bon Rétablissement », Marie-Sabine Roger.



7 commentaires:

  1. Difficile de lire le vert sur le fond :-)
    Bon, tout ce qui se passe de près ou de loin à l'hôpital c'est non.

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    1. OK, message compris. J'enlève le vert et garde mon verre.
      Je regarde toutes les séries dans les hôpitaux, accroc à ces petites histoires. Pour ce roman, c'est du distrayant tout en étant bien écrit.

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  2. Si même les infirmières ne font pas d'efforts... c'est la FDM. De quoi débander l'âme à vie...

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    1. C'est que par ces temps-ci, les infirmières en ont vu passer et trépasser des âmes... De quoi faire débander toute une vie...

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  3. Une lecture légère mais pas tant que cela, en fin de compte.....

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    1. non pas tant que ça, mais une bonne découverte. Mais normal, quand on y met du coteau-du-layon et du vouvray...

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