Le vieux, tout en sueur, flic à la retraite consciencieux à la Memory of Murders, grimpe les vingt étages à pieds, portant sur son dos des cages en bois, des pigeons voyageurs enfermés. De là-haut, il voit Séoul se lever, l'immensité se dresser à lui comme ces barrières montagneuse au loin. De l'autre côté, le Nord, sa vie d'avant, sa famille est-elle encore en vie. Un jour, il enverra ses pigeons avec peut-être des messages accrochés à leurs pattes, je suis en vie, je pense à vous, paix, harmonie, amour toujours, évidence... Le soleil se couche dans la rivière Han, M. Cho redescend alors, toujours par les escaliers, c'est pas tout ça, mais maintenant il est concierge de cette immeuble, les promoteurs l'ont appelé le Good Luck !
D'un poil soyeux, elle descend au salon de coiffure, se faire admirer, se faire caresser, la petite chatte. Kitty, un peu rebelle, un peu solitaire. D'où vient-elle, qui est-elle, à se parer de la lumière du soir, à se cacher à mon regard, à venir se coller à moi, le poil mouillé. Une messagère, de l'amour, de la vie, une chatte qui feule de plaisir entre les étages du Good Luck ! Je ferme les yeux, et je continue de sentir cette jolie chatte aux poils noirs venir se frôler à moi... Doux rêves. Caresse.
"Je crois que Salomé frissonne quand je dis ces mots. Pour elle, je le sais, les histoires ne sont pas seulement des histoires, ce sont aussi des sensations qui l'effleurent, qui brûlent sa peau, des coups d'aiguille dans ses jointures, des vagues lancinantes derrière ses yeux. Elle les demande et elle en a mal, elle les craint. Il me semble que j'entends les battements de son cœur à travers la peau de ses avant-bras, je vois les pulsations sur son cou renversé, à la hauteur des jugulaires.
Mais je dois continuer, coûte que coûte, même si chaque histoire que je raconte à Salomé lui enlève un instant de vie."
Sur scène, la jeune filles aux jolies jambes. Une voix, digne des plus grandes églises, foi religieuse ou pas, je l'écoute me chanter du Dalida, je l'imagine me réciter l’Albatros, ou mes roucouler des mots doux comme les pigeons de M. Cho. Mes mains qui remontent sur ses jambes. Doux rêves. Caresse. Jusqu'à son triangle aussi soyeux que les poils de Kitty. Mon esprit s'égare, encore, toujours... Faiblesse de l'imagination. Son manager lui a loué un appartement dix-septième étage du Good Luck. Tout est lié dans cette vie-là. Je te pose ici des histoires sans queue ni tête, comme quand on pose un verre sur un comptoir, une mousse blanche qui s'y dépose, une lumière qui se vide. Toutes les histoires ont une fin, même pour les contes urbains. Lève les yeux, Bitna l'étoile de Séoul y brille. C'est elle qui raconte toutes ces légendes inventées - ou avec un soupçon de réalité, comme une pointe de piment dans le kimchi - moyennant une enveloppe contenant 50 000 wons. Salomé se nourrit de ces histoires, immobilisée dans son fauteuil par une maladie incurable. La fin s'approche, mais en attendant, Bitna lui apporte quelques rêves qui volent et s'envolent comme des pigeons voyageurs à travers la vie de Salomé, une vie qui n'existe plus que dans les pensées imaginaires d'une lectrice et d'une auditrice, qui propose un voyage littéraire onirique pour oublier le temps d'une histoire la solitude des êtres dans cette vie bouillonnante à Séoul ou ailleurs. Un ange au milieu du silence.
"Je
n'ai rien dit, je crois que quelqu'un comme Salomé n'a pas besoin de
mots pour la consoler, ni de pitié. Juste de contes, pour la faire
voyager."
"Bitna, sous le ciel de Séoul", J.M.G. Le Clézio.
J'ai entamé plusieurs Le Clezio. Malgré la beauté de l'écriture ça me tombe des mains.
RépondreSupprimerMais Salomé c'est le plus beau prénom du monde non ?
Je ne sais pas mais effectivement Salomé, c'est vraiment très joli. Surtout en ces temps-ci. Il devrait y avoir plus de Salomé dans le monde, le monde en serait peut-être meilleur.
SupprimerEt pour Le Clézio, c'était mon premier essai (il y en aura peut-être d'autres), une belle tentative entre les poteaux (ma quinzaine rugby).
SupprimerMon premier J.M. G Le Clézio, qui m'a été offert par des amis chers, juste pour le titre (à cause de Séoul) - ils m'avaient dit ;-)
RépondreSupprimerTypiquement le genre de Bon Bouquin que j'aime. Il m'a manqué tout de même une pointe d'émotion qui aurait pu le faire basculer dans la catégorie des "Très Bon Bouquin", le kimchi aurait pu être plus épicé. ;-)
Supprimer3,5 étoiles pour moi, donc tu as été plus généreux que moi... Un kimchi se doit d'être épicé++ :)
SupprimerJe n'ai personnellement pas accroché du tout à ce titre, alors que je suis plutôt bien disposée envers cet auteur ! "Désert" est l'un de mes romans préférés ..
RépondreSupprimerIl a de "bonnes presses" ce désert chez certains lecteurs...
SupprimerJ'en ai lu quelques uns de le Clesio, Frida et Diego, que j'ai adoré <3
RépondreSupprimerCelui qui n'avait jamais vu la mer, je devrai le relire...
La ritournelle de la faim, il m'est tombé des mains.
J'aimerais sans doute celui-ci, qui côtoie la solitude des êtres...
Une véritable experte à JMG.... Celui-là devrait donc de plaire, il n'y a pas de raison, entre solitude et poésie, de belles histoires à conter autour du feu, avec un verre de rhum...
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