mardi 23 août 2022

Txikiteo

"J'avais besoin d'un été paresseux et de temps libre pour errer dans l'atmosphère surannée de cette bourgade touristique un peu clinquante, ou pour flâner sur les rives du gave bouillonnant surplombé d'arbres centenaires et de charmants ponts de pierre. Je voulais avoir du temps pour me reposer, pour rêver, pour écrire." 

Été, et si je te proposais une dernière virée au Pays Basque... Juste pour se reposer, pour rêver, pour écrire loin de la ville, loin de la côte ou de ses vagues. Un été dans l'arrière-pays, un été où l'on circule à bicyclette ou en carriole à chevaux. Un été où la bière s'appelle Uhaina comme les jeunes femmes. Un été où je croise le destin de Katya.

Que dire de Katya... Elle est belle, elle est sublime, elle est l'ombre de la lune, elle est le souvenir d'antan. Elle ne laisse pas indifférent ceux qui côtoient son sourire. Sous son ombrelle tournoyant, elle flâne près de l'ancien kiosque à musique, un lieu maintenant où la végétation a repris ses droits. Son coin à elle, son lieu de recueillement, sa "bibliothèque" dans la nature. Elle aime le silence de ce coin de verdure, et lire sous la treille même si à cette époque là, une jeune femme qui lit n'est guère bien vue. 

Mais qu'entends-je ? Ne serait-ce pas la musique d'une txitsu... Ne serait-ce pas la fureur d'une banda... qui égayent les rues pavées de la place du village...
 
"La saynète prit fin dans le crescendo suraigu de la flûte txitsu et les roulements de tambour. Les applaudissements éclatèrent et la foule se pressa autour des interprètes pour les inviter à un txikiteo. Je venais d'employer ce mot basque pour expliquer où étaient conduits les acteurs, et Katya me demanda de le traduire.
- Le txikiteo consiste à faire la tournée des bistrots. On boit un verre de vin à chaque arrêt.
- Et selon vous, combien y en a-t-il dans le village ?
- Vingt-cinq ou trente, en comptant les buvettes qu'on a installées devant chaque boutique.
- Mon Dieu, Jean-Marc. Et ils vont faire le tour de trente débits de boisson ?
J'éclatai de rire.
- Ce n'est pas la performance qui compte, mais la dévotion dans l'effort. Les Basques n'ont guère de talents spécifiques, en dehors de leur prédisposition pour la danse et les travaux de force, mais ils deviennent héroïques quand il s'agit de boire à une fête." 

Guidé par la mélancolie et la découverte du txikiteo, je me dirige vers le centre-village, là où il y encore plusieurs bistrots à vue. Le bon temps dans ces villages d'avant-guerre. Chacun paye sa tournée, nous naviguons, le pas de plus en plus chaloupé au fil des étoiles, de bars en bars, pour les plus jeunes. Et en ce temps-là, la place du village est entourée de bistrots. Les anciens, eux, nous accompagnent, communion des générations, mais en restant à la même place, la même chaise, le même comptoir toute la soirée. Jusqu'au bout de la nuit, dirait-on maintenant. Mais quand finit la nuit ? Quand la lune bleue se couche ou quand je n'ai enfin plus soif...
 
A propos de lune, j'imagine les reflets de Katya sous celle-ci. Je la vois se déshabiller jusqu'au corset blanc, dentelles épicées qu'on voudrait bien caresser. Mais la décence et les convenances de l'époque font que mon regard lubrique ne s'égare pas au delà de ses courbes. Mon regard amoureux se perd dans ce Pays Basque, ah les histoires d'amour, ah (la jouissance), oh (le plaisir), quelles qu'en soient les conséquences. On ne résiste pas au sourire de Katya, une fois qu'il vous harponne, il s'ancre dans les sables mouvants de la passion, du désir, de l'amour, jusqu'à en oublier mon verre d'Uhaina ou le vert de l'Izarra... A la folie... Cruelle, celle des hommes...  

"J'atteignis un café bondé de grands-pères assis devant un verre, visage couperosé allumé par la boisson et la fête. Je me dirigeai vers le comptoir et aperçus alors M. Tréville attablé avec des paysans basques âgés. Sur leur table trônait, presque vide, une bouteille d'Izarra, cette délicieuse, coûteuse et forte liqueur basque au goût de fleurs des montagnes. Il était évident que M. Tréville offrait la tournée et que les vieux Basques payaient de retour son hospitalité en répondant à ses questions sur les coutumes et traditions locales." 

"L'été de Katya", Trevanian.
Traduction : Emmanuèle de Lesseps.
 


 

2 commentaires:

  1. Être l'ombre de la lune, c'est une belle destinée en soi, je trouve...

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