mardi 8 novembre 2022

Saudade

Une fille se promène dans les rues de Lisbonne, sur les pentes de l'Alfama. La fille du chanteur, c'est ainsi qu'on la nomme, qu'elle se décrit. Elle n'a pas eu d'autres existences que celle-là. On lui annonce son père mort, disparu sans laisser de traces. On lui montre une photo, légèrement floue. Son père, chanteur de rue, dans une rue de Lisbonne. Elle qui n'a jamais eu de vie, de mère, de père. Elle qui a toujours été dans l'ombre de cette homme, idole adulée avant de devenir ermite retiré.
 
"À l'ombre des arbres, des types en sandales, bermudas et tee-shirts, cheveux en pagaille et barbe de six jours, sirotent des rhums arrangés en attendant la fin du monde, sans inquiétude apparente. Je prends place et les imite, me laisse bercer par l'alcool. Les lèvres couvertes de sucre et de vanille, me noie dans la douceur de leur langue, dont je ne saisis rien, pas le moindre mot. Je regarde l'heure. Comme hier la nuit sera longue à venir. Rien ne la presse. Aucun agenda, aucune occupation."
 
Saudade. Une musique mélancolique, triste et chaloupée, se coule le long du Tage. J'y retrouve mes vieilles idoles, mon adolescence. Sur les pentes escarpées de la ville, j'aperçois Daniel Darc et Alain Bashung. évaporés dans la brume. Au détour d'un chapelle, il me semble croiser l'ombre d'une Patti Smith et d'un Bertrand Cantat. La nuit, les airs  s'improvisent. Appuyée contre un réverbère, Marianne Faithfull y fume sa cigarette, sous la lumière bleutée et incandescente de la lune. Dans les rues de Lisbonne, mes pas me guident vers tous ces bars et restaurants, mon esprit flotte dans le courant de cette musique, une guitare, un fado, l'ombre de mes souvenirs. Je plonge dans la nuit blanche, comme du haut d'une falaise. Plus rien ne s'oppose à la nuit.

 
Lisbonne, des étoiles dans le ciel, une nuit sans fin, comme une lune sans bleu, des bleus qui se retrouvent dans l'âme. Et puis le silence de la nuit. Un silence aussi fort que la voix de Leonard Cohen. Un silence qui enveloppe ces vies. Je murmure alors, dans ma tête, une dernière chanson de la ville silencieuse... Au moment d'entamer le second couplet, les fantômes de Jeff Buckley et de Nino Ferrer reprennent en chœur le refrain. Une chanson, une ville, un silence. Et un verre de Porto...

"Un promontoire me retient. De l'asphalte surgissent des arbres mauves, dévorés de ciel. L'estuaire se déploie en contrebas, lacéré de rubans turquoise, virant au gris aluminium à la faveur d'un nuage. Puis de nouveau la ville s'abandonne.
Plus rien ne s'oppose.
Tout consent à la noyade."

 
 "Chanson de la Ville Silencieuse", Olivier Adam


"La foule l'avait porté comme un Christ sans croix. Et il avait descendu la bouteille de bordeaux réglementaire tandis qu'il chantait sa reprise de Lilac Wine." 
 
La fin d'un concert,
l'homme adulé, une idole,
tee-shirt blanc et sueur d'alcool ;
La nuit se perd
dans les gouttes de sa peur,
il plonge dans l'eau, je pleure.

8 commentaires:

  1. Je ne joue ni saudade ni fado mais ton escapade portugaise est bien séduisante. Et si l'on y croise de beaux fantômes, Cohen, Bashung, Smith, Faithfull, Ferrer, Buckley fils...🍷

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  2. Un bon choix Jeff Buckley. Parce que c'est toujours un bon choix musical et à cause des "relations" avec son père.
    Une grande tristesse quand j'ai appris sa mort. Il avait tant à faire, tant à chanter.
    A bientôt.

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    1. Autant j'aime Jeff autant j'aime Tim. Triste, comme leurs voix. Mais d'une émotion incroyable...

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    2. Tout pareil pour moi. Autant Tim que Jeff. Dire qu'ils se sont si peu connus. 🎸

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  3. Quel clown ce Jeff !
    Quelle magnifique version.
    "Mon" Time de Giveon (toujours en boucle) m'a tout de suite fait penser à Lilac wine.

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    1. Grand Jeff. Et un Giveon que je ne connaissais pas avant de découvrir "Ton" Time

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  4. M'étais un peu perdue dans ce roman... Malgré la belle écriture de Olivier A.

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