lundi 1 janvier 2024

The Carver's American Way of Life


 « Mon mariage venait de capoter et j’étais sans travail. J’avais bien une petite amie, mais elle était en voyage. Si bien que j’étais dans un bar, devant un demi de bière. Deux bonnes femmes étaient assises à quelques tabourets du mien, et voilà qu’une des deux s’est mise à me parler. »

C’est la fin de l’année, ou le début de la nouvelle, je ne sais plus… Et si je sortais une bonne bouteille de whisky. Et si je sortais un bon bouquin américain. Et si je sortais justement un recueil de nouvelles de Raymond Carver. Carver, Ça fait longtemps que je n’ai pas lu Raymond. Je sens que c’est ce qu’il me faut pour accompagner mon Smoke Stack, je souffle sur la poussière qui s’envole des pages de mon bouquin, retombe au pied de mon verre au goût fumé. Voilà je suis en Amérique, une Amérique d’un autre temps certes, mais les « charmes » de la vie américaine à la sauce Carver opère toujours avec moi.

« Tais-toi, je t’en prie », supplie-je. Le silence s’impose pour écouter les battements de cœurs qui cognent dans ces maisons pavillonnaires. Lorsque les volets se ferment. Ou lorsque la porte s’ouvre pour récupérer une bouteille de lait. Dis, c’est quoi cette bouteille de lait. Ecoute petit, oublie le lait, viens lire avec moi ces histoires, de couples, d’enfants ou de chiens. Il y en a pour tous les goûts, et même si tu n’aimes pas le fumé de mon whisky. Comme il y en a pour toutes les vies, du moment qu’elles soient ordinaires. Et si je mettais un 33 tours de Tom Waits ?

« - Bon dieu, quelle chaleur ! dit-il. On a encore de la bière ?
- Oui, je crois qu’il en reste, répondit-elle en le suivant dans la cuisine.
Il avait les cheveux mouillés. Elle y passa les doigts tandis qu’il s’asseyait. Elle lui ouvrit une bière et s’en versa un peu pour elle-même dans une tasse. Il but à petites gorgées, le regard fixé sur la fenêtre enténébrée de l’autre côté des vitres. »

Avec Raymond, il ne se passe rien d’extraordinaire, simplement des tranches de vies, simples, basiques, communes. Il y est question, d’amour, un peu, de couples, souvent et de solitude, beaucoup. Rentrer avec un roman de Carver n’est jamais gage d’une grande éclat’, d’un moment festif, et pourtant le plaisir y est toujours, je parle en mon nom propre. Les hommes boivent et se retrouvent seuls. Les femmes boivent aussi et se sentent seules. On discute couple et amertume autour d’un verre, d’une bière. On imagine rupture autour d’une bière, dans un bar, sans strip-teaseuse (pas d’éclat’, on est toujours dans du Carver). On se sent triste dans ce bar, dans sa cuisine, la porte du frigo qui se referme sur les canettes de bières… Et souvent il y pleut sur les vitres comme sur les visages. 

Il ne se passe rien... et pourtant je l'adore... cet écrivain qui peut écrire trois pages simplement sur un pauvre type qui pisse dans un urinoir...

« Tais-toi, je t’en prie », Raymond Carver.
Traduction : François Lasquin.



« Quand l'orchestre s'interrompit à nouveau, Ralph chercha les toilettes des yeux. Il distingua des portes qui semblaient animées d'un mouvement perpétuel à l'autre extrémité du bar et il mit le cap sur elles. Il titubait un peu. Il était ivre à présent, il le savait. Une des portes était surmontée d'un bois de cerf monté sur écusson. Un homme la poussa, entra ; un second la retint, sortit. Ralph entra à son tour et se joignit à la file qui s'était formée devant l'urinoir. Tandis qu'il attendait, il se mit à fixer d'un œil hypnotisé les deux cuisses écartées et la vulve ouverte maladroitement dessinées sur le mur au-dessus d'un distributeur de peignes en plastique. Sous le dessin, on avait griffonné : BOUFFE- MOI, et plus bas encore une autre main avait inscrit : Betty M. bouffe les minettes, RA 52275. La file avança et Ralph suivit le mouvement, le cœur serré à la pensée de cette Betty. Il accéda enfin à l'urinoir et se soulagea. Le jet lui fit l'effet d'un éclair jaillissant. II soupira, se pencha en avant et appuya son front à la paroi. Oh ! Betty, songeait-il. Sa vie avait changé, il s'en rendait bien compte. Du fond de son ivresse, il se demanda s'il existait d'autres hommes qui, en se penchant sur un incident isolé de leur vie, étaient capables d'y déceler les prémices d'une catastrophe qui bouleverserait par la suite le cours de leur destinée. Un moment encore, il resta dans cette posture puis il abaissa son regard et s'aperçut qu'il s'était pissé sur les doigts. Il alla au lavabo et, jugeant préférable de ne pas user de la barre de savon douteuse se fit couler de l'eau sur les doigts. Tandis qu'il déroulait l'essuie-mains, il approcha son visage du miroir tout piqué et se regarda dans le blanc des yeux. Un visage : que peut-il y avoir de plus banal ? Il toucha le miroir du doigt, puis s'écarta pour laisser passer un homme qui voulait user du lavabo. »

B O N N E   A N N E E   ! ! ! 

12 commentaires:

  1. Tout est bon chez Carver... Et ça, ce n'est pas à taire !! :-)

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  2. Tout est bon et universel chez Carver !! C'est Idil qui m'avait dirigée vers lui... Je l'associe immédiatement à "short cuts" (film).
    Je n'étais pas venu te lire depuis des mois et des mois (avec ma fin active sur Babelio / suis plus apaisée depuis que j'y suis en parfaite anonyme et n'y trie que ma bibliothèque).
    Je te renouvelle mes meilleurs vœux pour 2024, avec bien entendu des lectures à profusion !! :-)
    À plus tard, "ici ou ailleurs" ^^

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  3. (il est très tard... Je suis encore en mode décalée... La rentrée pourtant lundi :'/ )

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    1. ou très tôt, selon certaine partie du monde, donc peu importe le décalage horaire, le temps, l'heure, les minutes, les secondes...

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  4. Bonne année 2024 ! Et plein de belles lectures :-)

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    1. Bonne année également, à toi, à vous, aussi...

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  5. Je viens de l'emprunter. Jamais lu Carver. Mais logique de lire Tais-toi je ten prie après avoir lu Le silence. J'ai confiance. En général quand il ne se passe pas grand-chose ça me plait.

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    1. Encore jamais lu Carver... J'ose même pas imaginer cet incroyable (mé)fait...
      Bonne lecture ;-) avec le silence...

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  6. Quand l'ordinaire touche au sublime. Les héros bien fatigués du quotidien de Carver nous ressemblent en bien des points. Et vice-versa. Formidable recueil l'ami.

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    1. Merci à toi d'être venu repasser dans la poussière de ce site pour donner ton ressenti sur la découverte Carver. Loin d'être un héros, je me sens bien fatigué de ce quotidien qui me fait dire que feu Carver écrit sur moi...

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