A l’orée de la forêt des Trois-Frontières, je respire ses parfums, je l’observe longuement de la terrasse, de cette pension reculée où je me repose une choppe de bière à la main. Loin du brouhaha de la oktoberfest, j’apprécie son calme, ses légendes, ses couleurs. Dans un lieu proche de la fantasmagorie, un roman d’Hermann Hesse en poche ou dans la tête, je m’y enfonce avec l’envie, presque obsessionnelle de découvrir le mystère des Trois Frontières, envoûté par le visible et l’invisible.
« J'étais seul sous de grands arbres, et m'assis. Des hêtres sans fin (ceux-là atteignaient les quarante, cinquante mètres de haut, ou plus encore ? Rarement j'en avais vu d'aussi grands) me regardaient ; de là-haut, du dernier étage de leur feuillage, une nuit boréale, une de ces nuits de juin bleu pétrole gouttait. Par de petites trouées tombaient des bris de clarté lunaire. Les troncs tanguaient dans le vent, crissant comme les mâts d'un vieux brick. Et parce que le balancement des branches était très lent, on aurait dit qu'un chef d'orchestre, là-haut, dirigeait un mouvement funèbre. »
Le pack de bières dans le sac-à-dos, je m’engouffre au cœur de ces trois frontières, presque imaginaires au fin fond de l’Allemagne. Chaque matin quittant mon sanatorium de luxure ou de solitude, je divague dans la poésie de ces lieux. A la recherche de… la vie… l’arbre… la femme… le sourire d’une vie. Et chaque jour je m’enfonce un peu plus, une musique intérieure qui m’attire comme un concert à Köln au tréfonds de la forêt ou de mon âme.
« Autant dire que la forêt des Trois-Frontières me manque. Manquent l’arôme et l’air lourd de ses soirs humides, l’infusion de ses feuilles dans les flaques tièdes après l’orage. Manque la voilure des hêtres, le toit d’ardoise des grandes sapinières, au loin, et le mystère des silhouettes surgies entre chien et loup au fond des tailles, élucidé dès qu’on s’approche d’elles : tronc foudroyé, souche obèse ou roche à visage humain, termitière, fourmilière. Me manquent, le soir, la vue des monts en enfilade comme des dromadaires au repos, la ligne d’horizon en dents de scies. Fuir d’ici, fuir ! »
Et plus je m’enfonce au cœur de la forêt, plus j’ai l’impression de m’enfoncer au cœur de la folie. Une femme perdue et je sombre dans la bière, dans les méandres des hêtres, j’erre dans un labyrinthe de mal-être sous le regard de plus en plus sombre de la lune, la nuit froide et humide se distille dans mes pensées obscures, me promenant jusqu’aux trois frontières, éviter le précipice et les falaises. J'ai envie d'une Paulaner, j'ai envie d'un Gewurtzraminer, et ainsi je découvrirais peut-être le mystère des trois frontières...
« Le Mystère des Trois Frontières », Eric Faye.
Trois frontières, trois alcools pour éviter le précipice.
RépondreSupprimerUne Paulaner, un Gewurtzraminer... et le troisième?
Je sens que t'as encore une p'tite soif...
Pour la rime, initialement, j'avais noté aussi un Jägermeister comme troisième précipice, mais n'en ayant probablement jamais bu, j'ai dû le supprimer au moment de poster ce billet...
SupprimerCa semble effectivement sombre comme une forêt wagnérienne. Ca me tente. Et il n'y a que chez toi pour écouter Amon Düül. Prosit.
RépondreSupprimerJ'accepte volontiers d'être le seul ou le dernier à écouter encore en 2022 Amon Düül :-)
SupprimerJe ne re trouve plus le bouquin, j'ai dû le déposer dans une boite à livres. Désolé... sinon...