dimanche 30 juin 2024

Barnes la Tendresse

 "Quand on voit Dixon, on a le sentiment, si on y a vécu toute sa vie, d'être plus intéressant qu'on ne l'est, ou bien de boire plus qu'on ne boit, ou encore les deux. Rien n'est tout à fait à sa place, ni les couleurs, ni les dimensions, ni les proportions des choses entre elles, et le tout dégage un charme certain. La bibliothèque est trop petite et peinte en une espèce de bleu-vert douteux. Le bazar est trop grand par rapport aux autres bâtiments. Les maisons, du moins la plupart d'entre elles, ne semblent pas être disposées selon un schéma particulier. Le bar est juste de la bonne talle pour la ville, mais il est situé trop près de la route. En face du bar, il y a une petite construction, depuis longtemps abandonnée, qui avait dû être un garage avant que les voitures ne l'abandonnent à leur tour. Il n'y avait qu'une seule voiture garée devant le bar, immatriculée dans le comté de Missoula."
 
  Plains, comté de Sanders, Missoula. A peine 1000 âmes dispersés sur 1.5 km2. Fondée en 1883 sur le Northern Pacific Railway, son nom s’est progressivement raccourci, comme son nombre de chevaux, passant de Wild Horse Plains à Horse Plains puis Plains. Après cet interlude géographique qui pose une ville dans son décor, une plaine blanche et déserte en hiver, le cœur gelé, Barnes la Tendresse s'engouffre dans son bar préféré, l'unique. Poète et policier, il a quitté la grande ville pour s'isoler, oublier les vicissitudes de l’âme humaine des cités pour des réflexions autour d’une ligne de pêche sur une rivière gelée la moitié de l’année. Poète et policier, voilà qui pose l’homme, à Missoula si t’es pas indien ou bison, tu es forcément poète. Et dans tous les cas, alcoolique car la seule distraction au jour tombé reste le bar qui œuvre pour réunir toutes les âmes en peine de Plains.

dimanche 23 juin 2024

La Zizanie du Major

  
"La venue de la nuit semblait accentuer la frénésie des zazous, gorgés de cognac. Des couples dégouttants de sueur parcouraient des kilomètres au pas de course, se prenant, se lâchant, se projetant, se rattrapant, se pivotant, se dépivotant, jouant à la sauterelle, au canard, à la girafe, à la punaise, à la gerboise, au rat d'égoût, au touche-moi-là, au tiens-bien-ça, au pousse-ton-pied, au lève-ton-train, au grouille-tes-jambes, au viens-plus-près, au va-plus-loin, lâchant des jurons anglais, américains, nègres, hottentots, hot-ce-matin, bulgares, patagons, terrafuégiens, et kohêtera. Ils étaient tous frisés, ils avaient tous des chaussettes blanches et des pantalons serrés du bas, ils fumaient tous des cigarettes blondes.  [...]Pour mettre un peu d'entrain, il déboucha quelques nouvelles bouteilles et se versa une large rasade. Il rinça son œil de verre dans le fond de son verre, et, le regard plus brillant que jamais, s'élança vers une fillette."
 
  Un piano à queue, une trompette et quelques verres de cognac, les ingrédients nécessaires à la loufoquerie de la suprise-party du Major. Beaucoup de folie pour un peu de cognac, beaucoup de cognac pour un peu de folie. L'élixir des Charentes dansent devant le tourne-disque du Major, ses convives dansent autour du liquide ambrée, des déhanchements furieux pour sortir de leurs camisoles et du swing, de la valse, du bop, le jazz et la belle Zizanie. Il lui a fallu d'un regard d'un sourire, sur un air de jazz, pour que le Major tombe amoureux de cette sublime femme, d'une crinière brune et de jambes élancées qu'il écarte de sa trompette jouissive - oh pardon monsieur quel beau trombone vous avez-là. Et c'est chaud, c'est bon, c'est humide, ça coule dans la folie, dans l'absurdité, dans l'amour. Le jazz c'est l'amour. L'amour c'est mon jazz. 

lundi 17 juin 2024

J’aimerais Tant Voir Syracuse


J'entrevois un léger rayon de soleil à travers les persiennes fermées de ma chambre. Je n'ose les ouvrir, de peur d'illuminer un peu trop ma vie. Alors je prolonge cette chaleur par un ristretto dans la demi-pénombre de cette chambre d'hôtel, réfléchissant au programme de la journée, de ce week-end. Un bouquin sur le lit, quelques jours en Sicile, j'aimerais tant voir Syracuse. Dans la chambre d’à-côté, au bord de la séparation, Luisa et Melvil ont entrepris également ce petit séjour, avec le vain espoir de se replonger l'un dans l'autre, dans des corps et des âmes entrelacés, comme on plonge dans un verre de vin à la robe grenat.

Au bord de la piscine, lui avec ses lunettes noires plonge dans l’âme d’une blonde. Elle, bikini blanc, se noie dans les rayons orangés d’un Spritz illuminé par le soleil couchant. Alors que mon regard se porte à la hauteur de l’âme de Luisa, je perçois un mélange de tristesse et de peur. Le couple est arrivé hier, dans une voiture avec l’aile cabossée, me questionnant ouvertement si ce « désagrément » matériel serait à l’origine de la noirceur perçue sur leur âme.  

« Dans la foulée, j'ai commandé un apéritif, et nous avons pris place sous la verrière, dans le salon du jardin à plantes tropicales. Le serveur n'a pas tardé à réapparaître, son plateau à la main, porteur de nos deux apéritifs à base de vin pétillant, d'une lumineuse couleur orangée. Il a déposé les deux verres, accompagnés d'olives et d'une serviette grenat. »

lundi 3 juin 2024

La Mélancolie d'un Vieux Shérif


  Le blizzard s'installe dans le Wyoming, le vent se mêle à la neige, les rues de Durant s'illuminent de quelques lampions colorés. Le shérif Walt Longmire s'apprête à installer un sapin devant son office, joyeux Noël. Mais avant, il doit passer à la maison de retraite où le corps de Mari Baroja a été découvert ce matin, totalement froid. Mais bon à cet âge-là, cela ne sera qu'une formalité administrative. Walt se voit déjà ce soir, au coin de la cheminée, une bouteille de Gouden Carolus Whisky Infused, une merveille cette bière, presque aussi sombre qu'une nuit sans lune, la lune a d'ailleurs déserté son paysage depuis quelque années, on dirait.
 
  "Des salves piquantes de neige dévalaient les Hautes Plaines à cinquante kilomètres à l'heure. C'était comme si la météo avait décidé de passer de défavorable à épouvantable à la minute où j'avais trouvé Anna Walks Over lce dans la poubelle. La colère que je ressentais était comme le vent. La rage n'a pas sa place dans le maintien de l'ordre, et je lui résiste la plupart du temps, mais elle est là, guettant les brèches ouvertes par les passions, attendant que je trébuche ; et je venais de faillir."